jeudi 11 mars 2021

Silos raciaux ou chasses gardées ?

L'écrivain catalan Victor Obiols ne traduira finalement pas la poète noire Amanda Gorman, vedette, auprès des médias progressistes, de l'investiture du président américain Joe Biden en janvier dernier. Son profil a été jugé inadéquat. 

Il y a un mois, c’était aux Pays-Bas qu’une controverse a éclaté sur la personne choisie pour traduire la jeune poète américaine. On m'a dit que je ne convenais pas [...]. Ils n'ont pas mis en doute mes capacités, mais ils cherchaient un profil différent, celui d'une femme, jeune, activiste, et de préférence noire, a expliqué mercredi Victor Obiols à l'Agence France-Presse (AFP).


Billet originel du 2 mars 2021

Aux Pays-Bas, Marieke Lucas Rijneveld (en cravate ci-contre), la traductrice blanche de la récente coqueluche progressiste noire qui avait fait sensation auprès des médias pro-Biden lors de l’investiture de Joe Biden, a préféré jeter l’éponge après de nombreuses critiques sur sa capacité à comprendre l’œuvre d’une auteur de couleur. Pourtant, Marieke Lucas Rijeneveld se dit non binaire et a un pedigree progressiste impeccable. [Plus de détails sur cette polémique ci-dessous.]

Il est juste de déplorer cette compartimentation ethnique, cette création de silos de l’expérience humaine selon la race. C’est une critique libérale classique (assez juste dans ce cas). Selon la logique essentialiste qui a mené à l’abandon de Mlle Rijnveld, l’œuvre d’une poétesse noire ne saurait être traduite que par une autre noire, fût-elle d’un autre continent, d’un autre milieu social et d’une autre génération. Quand on atteint un tel point d’incommunicabilité avec des traducteurs blancs pourquoi même traduire dans ces circonstances pour un public blanc comme celui qui lit le néerlandais ? Ou l’incommunicabilité n’existe-t-elle que pour les emplois rémunérés, mais pas chez les lecteurs blancs qui eux paient pour acheter l’œuvre magistrale qui ne pouvait être comprise par une traductrice blanche ? Peu importe si le lecteur blanc comprend pour peu qu’il paie, se taise ou se repente ?

Il faut, en effet, se demander si ces hauts cris ne sont pas aussi une ruse pour jalousement se constituer des chasses gardées : tout ce qui parle des noirs ou a été créé par des noirs ne sera traduit, interprété et analysé que par des noirs (par ici les boulots de traducteurs, critiques et acteurs noirs) afin d’éviter « toute appropriation culturelle ». Quant aux œuvres écrites par des blancs ou mettant en scène des personnages blancs à l’origine, elles devront accueillir plus de diversité : on aura donc une reine viking noire, une reine d’Angleterre noire et Achille le blond sera noir (par ici les boulots de traducteurs, critiques et acteurs noirs).

Le beurre et l’argent du beurre tout en culpabilisant les méchants blancs qui ne se soumettraient pas en frappant avec force leur poitrine pour tous les péchés de leurs ancêtres, bien au-delà de quatre générations.

Le dieu woke est bien plus implacable que celui de l’Exode qui « puni[t] l’iniquité des pères sur les enfants jusqu’à la troisième et la quatrième génération ». 

 


Marieke Lucas Rijneveld, plus jeune lauréate du prix international Booker pour son roman L’inconfort du soir regrette d’avoir dû abandonner son travail. Elle aurait aimé « garder la force, le ton et le style » d’Amanda Gormans.

Marieke Lucas Rijneveld, devenue l’an dernier à 29 ans, la plus jeune lauréate du prix international Booker pour son roman L’inconfort du soir, avait été choisie pour cet emploi de traducteur par l’éditeur néerlandais Meulenhoff.

Mais après des critiques aux Pays-Bas sur le choix d’une traductrice blanche, Marieke Lucas Rijneveld a annoncé sa démission de son emploi de traducteur du poème de Gorman, The Hill We Climb.

« Mon cœur et mon esprit sont toujours remplis des événements de ces derniers jours », a déclaré Marieke Lucas Rijneveld, lundi soir sur Twitter, ajoutant vouloir publier un poème sur la polémique de ces derniers jours, intitulé « La poésie unit, réconcilie et guérit ».

Le choix en tant que traducteur de Marie Lucas Rijneveld — dont le roman décrit les effets d’une tragédie sur une famille religieuse d’éleveurs bovins, du point de vue d’une jeune fille — avait déclenché de vives réactions sur les réseaux sociaux des Pays-Bas.

La militante Janice Deul, qui est noire, a déclaré qu’il s’agissait d’« un choix incompréhensible », ajoutant comprendre les personnes « qui ont exprimé leur douleur, leur frustration, leur colère et leur déception sur les médias sociaux ». Selon elle, la maison d’édition a manqué une « occasion » en n’employant pas une personne noire pour traduire l’œuvre d’Amanda Gorman. Marieke Lucas Rijneveld est « blanche, non-binaire et n’a aucune expérience dans ce domaine », a-t-elle affirmé.

Vendredi, Marieke Lucas Rijneveld s’est déclarée choquée « par le tollé » autour de son « implication dans la diffusion du message d’Amanda Gorman ». Je comprends les gens qui se sentent blessés par le choix de Meulenhoff, avait-elle déclaré sur Twitter.

Marieke Lucas Rijneveld a affirmé toujours bénéficier du soutien de l’équipe d’Amanda Gorman, ajoutant que cela aurait été une « mission formidable et honorable » de traduire sa poésie. « J’aurais mis tout mon amour dans la traduction du travail d’Amanda, considérant que la plus grande tâche est de garder sa force, son ton et son style », a-t-elle ajouté.

Amanda Gorman, 22 ans (ci-contre), est devenue une célébrité auprès des médias pro-Biden après avoir récité, lors de l’inauguration du président américain Joe Biden, The Hill We Climb, un poème de son cru inspiré par l’émeute du Capitole américain et dans lequel elle déclare avec grandiloquence que la démocratie « ne peut jamais être vaincue définitivement ». La militante Gorman est une sociologue diplômée de Harvard.

La traduction française de l’œuvre d’Amanda Gorman est réalisée par la chanteuse belgo-congolaise Marie-Pierra Kakoma, qui porte le nom de scène [en anglais bien sûr] Lous and the Yakuza.

 

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