dimanche 23 juin 2019

Vision d'avenir : la Libra — la nouvelle devise électronique de Facebook


Extraits d’un texte de Stéphane Germain (Causeur)

Jadis libertarien, le fondateur de Facebook Mark Zuckerberg réclame désormais un meilleur contrôle d’internet par les États. Si le PDG du réseau social aux 2 milliards d’utilisateurs se pose en défenseur de la démocratie contre les « contenus haineux ».


Mark Zuckerberg, jadis chantre du libertarisme d’internet, a surpris tout le monde en réclamant le 30 mars1 une intervention plus forte des États dans la régulation de la Toile. Il a récidivé le 10 mai, en allant à l’Élysée baiser la babouche du président Macron qui souhaite que la France invente pour l’Europe un nouveau modèle de régulation d’internet. Sur sa lancée, Zuckerberg approuvait l’« appel de Christchurch » contre les [citations de] contenus terroristes ou extrémistes, lancé à Paris le 15 mai à l’initiative concertée de plusieurs dirigeants et copiloté par la Première ministre néozélandaise et Emmanuel Macron en personne.

L’adulescent le plus puissant de la planète en appelle donc désormais aux gouvernements pour mieux protéger les données et la vie privée des milliards d’utilisateurs de la toile. Plus globalement, il se pose en défenseur de la démocratie en invitant les autorités à l’aider à protéger les citoyens des « contenus haineux » et à préserver les élections des manipulations occultes dont les algorithmes de Facebook ont joué dernièrement les idiots utiles. De Trump ou Zuckerberg, l’idiot n’était peut-être pas celui qu’on croyait…

[...]

La bonne volonté affichée par le patron du média le plus puissant de la planète ne va cependant pas jusqu’à la revente des « sous-réseaux sociaux » qu’il a acquis — Whatsapp (1,5 milliard d’utilisateurs) ou Instagram (1 milliard). Du reste, on attendra encore longtemps un engagement de l’un des quelconques patrons des Gafam [Google Apple Facebook Amazon Microsoft] visant à cesser de racheter toute jeune entreprise prometteuse susceptible de lui faire concurrence. [...]

Quant aux États, ils auraient tort de prendre pour argent comptant les déclarations d’un gamin devenu plus puissant que la plupart d’entre eux — concédons que ceux qui disposent de l’arme nucléaire peuvent encore lui tenir tête. Après avoir appelé à une plus grande régulation de la toile par les gouvernements légitimes — sans rigoler — Zuckerberg a confirmé son intention de créer une cryptomonnaie sur le modèle du bitcoin. Offrir à deux milliards d’homo economicus la possibilité de commercer à l’aide d’une devise échappant au contrôle de tout État s’apparente à une déclaration de guerre contre l’un des derniers privilèges régaliens de nos vieilles Nations. Si l’on considère que lui et ses homologues des Gafam se rient depuis des années de la fiscalité en jouant à une espèce de saute-mouton, où la dernière étape est toujours un paradis fiscal, on incitera nos dirigeants à la plus grande méfiance. Le changement de pied de Zuckerberg devrait plutôt les amener à prendre conscience de l’aporie créée par ces hydres transnationales. Devenues des Stasi 2.0 privées, mais « cool », on ne peut ni les arrêter ni les laisser se développer.

Le plus surprenant, finalement, c’est que nous, citoyens, laissions faire et même encouragions. À quel scandale aurions-nous assisté si, dans les années 1990, France Télécom avait annoncé que l’opérateur enregistrait toutes nos conversations téléphoniques ? Aurions-nous accepté que la poste, jadis, lise et photocopie tous nos courriers ? C’est pourtant ce que font les Gafam depuis vingt ans dans l’indifférence générale. Ces groupes exercent désormais à l’échelle de la planète des missions de service public qui leur ont été abandonnées avec une inconséquence dramatique.

Les États-Unis ont su par le passé démanteler des sociétés dont le monopole leur semblait menaçant. ATT régnait jusqu’en 1982 sur le téléphone de 300 millions d’Américains, avant d’être scindée en plusieurs entités. L’ex-géant du téléphone fait pourtant figure de nabot inoffensif si on compare sa domination à celle exercée par Google ou Facebook. Les Gafam, qui enregistrent tous les faits et gestes de milliards d’individus, auraient logiquement dû, eux aussi, tomber sous le coup du Sherman Antitrust Act. Si les Américains hésitent à recourir à cette arme, c’est à cause de leurs concurrents chinois, les BATX, bien utiles au gouvernement dans la course à l’intelligence artificielle (côté face) et dans la mise en place d’un État policier (côté pile).

L’Europe [et le Québec] n’a plus beaucoup de temps pour échapper au destin qu’elle semble avoir accepté avec résignation : devenir une colonie numérique américaine, régie par les dogmes californiens en matière de mœurs et de société. Voilà un argument dont pro et anti-européens auraient dû s’emparer à l’occasion des élections du 26 mai dernier. Certes, seule la taille du continent peut faire le poids pour créer un Amazon ou un Facebook de ce côté-ci de l’Atlantique — un bon argument pour les pros. Mais comment ne pas s’étonner que notre indépendance numérique, essentielle, ait pu être autant négligée par une Union européenne décidément pusillanime dès qu’il s’agit de défendre ses intérêts vitaux ? En attendant, une chose devrait être claire : il ne faut pas faire confiance à Zuckerberg et consorts.

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