vendredi 13 janvier 2017

Institutrice (laïque/athée) dénonce le programme d'Éthique et de culture religieuse

Chantal Abran, enseignante suppléante au primaire, a écrit une lettre ouverte publiée par le Huffington Post :

Je suis enseignante au primaire depuis plus de 20 ans et suppléante depuis une dizaine d’années. J’ai connu l’abolition des Commissions scolaires confessionnelles et du cours d’enseignement moral et religieux. Je croyais que la volonté du gouvernement de sortir la religion des institutions scolaires était sérieuse. C’était avant l’avènement du cours d’Éthique et Culture Religieuse (ÉCR).

En tant que suppléante, j’ai souvent à donner les leçons d’ÉCR, que les enseignants titulaires délèguent volontiers. L’enfant est évalué, non pas sur des connaissances, mais sur ses compétences à reconnaître, dans un capharnaüm de mythes, de récits, de costumes et de babioles religieuses, ceux associés à une religion plutôt qu’à une autre, sans jamais remettre en question la notion de Dieu ou les différentes pratiques religieuses, et ce dans un objectif d’ouverture à l’autre. Dans les faits, les enfants du primaire n’apprendront pas grand-chose des grandes religions, à part qu’elles ont des lieux de culte, des guides spirituels, des cérémonies, des textes sacrés, des interdits et des obligations, mais surtout qu’elles sont toutes valables.

Survalorisation du phénomène religieux

Par contre, jamais l’athéisme, l’absence de croyance ou même la non-pratique religieuse ne sont envisagés. Les enfants sont encouragés à s’identifier à la religion de leurs parents ou à s’en choisir une. J’ai fait passer des examens ayant des questions du type : « Parmi les religions étudiées, laquelle choisirais-tu et pourquoi ? Donne trois explications ». Ou alors : « Parmi les fêtes religieuses que nous t’avons présentées, laquelle préfères-tu et pourquoi ? ». Ou bien : « Qu’est-ce qui te plaît dans la cérémonie hindouiste ou dans la célébration musulmane ? ». Les questions sont généralement posées au conditionnel, mais l’enfant est obligé de répondre pour obtenir ses points. Mon fils a eu à répondre à une question qui ressemblait à : Quel type de prière serait adaptée à ton mode de vie et pourquoi ? Les réponses attendues étaient : les prières du matin, du midi ou du soir... avec explications sur le temps propice à consacrer à la prière.

Il y a un vide pour les enfants dont le mode de vie n’est pas relié à une religion. Mon fils s’est déclaré bouddhiste à l’âge de huit ans, alors que rien dans son éducation ne le justifiait. L’influence venait de l’école. [Meuh, non, où allez-vous chercher cela, on nous a promis qu’il n’aurait aucune influence sur les croyances !] Des parents non-pratiquants se voient reprocher par leurs enfants certains comportements non conformes à l’orthodoxie de leur religion véhiculée en classe. D’autres parents non-croyants se retrouvent face à des enfants qui préfèrent croire en Dieu plutôt que de ne croire en rien.

Pourtant, les familles non pratiquantes ou non croyantes sont largement majoritaires au Québec. Peu d’enfants québécois de tradition catholique vont à l’église, ont reçu les sacrements ou même connaissent cette religion. Lorsqu’on leur en parle, cela a peu de sens pour eux. Est-il dans la mission de l’école de réintroduire, coûte que coûte, une pensée religieuse chez les enfants ? [Note du carnet : comme d’habitude les laïcistes passent du fait que nombre de parents ne sont pas pratiquants à l’idée qu’ils seraient donc opposés à ce que leurs enfants apprennent des faits sur leur religion, ce que Noël ou Pâques célèbrent par exemple (les manuels ECR du primaire enseignent d’ailleurs mal ces notions). Rappelons que les parents juste avant l’imposition de l’unique programme ECR au nom de la diversité, envoyaient très majoritairement leurs enfants au cours de religion plutôt que de morale laïque, alors que ces parents étaient tout aussi peu pratiquants !] N’est-ce pas aller à l’encontre de l’éducation des parents et de la liberté de conscience des familles ? [Note du carnet : pour certains, oui ; pour d’autres non. C’est tout le problème d’un programme unique obligatoire « offert » aux enfants.]

Et que dire de la liberté de conscience de l’enseignant, tenu de présenter toutes les religions sous leur meilleur jour, tout en conservant, conformément au programme du Ministère, « une distance critique à l’égard de sa propre vision du monde, notamment de ses convictions, de ses valeurs et de ses croyances ». Le cours ÉCR crée des malaises et des tensions dans la classe, mais l’enseignant est souvent démuni en raison de la posture professionnelle très particulière prônée dans le cadre du volet « culture religieuse » de ce cours. Que répondre à cet enfant de première année qui soutient qu’Allah est fâché si on mange du porc ? Quelle posture adopter face à cette élève de deuxième année qui apporte son Coran en classe, mais interdit à tous d’y toucher, à l’exception d’une autre petite fille musulmane, car seuls les musulmans touchent le Coran ? [Note du carnet : se rappeler que la diversité croissante du Québec est toujours un enrichissement...]

Une vision romantique et angélique des religions

Chacun fait de son mieux avec ce cours. Les professeurs cherchent désespérément du matériel pédagogique avec lequel ils sont confortables. Dans les manuels scolaires et les cahiers d’exercices disponibles, les religions sont souvent présentées de façon stéréotypée, voire même fondamentaliste. La croix dans le cou, la kippa, le hidjab représentent l’appartenance religieuse. Certaines pratiques archaïques et sexistes sont présentées sans aucune contextualisation ou analyse critique. Les religions sont édulcorées de leurs côtés sombres et présentées comme étant essentielles au bien-être personnel. En somme, c’est une vision romantique et angélique des religions qui est véhiculée. Or, sans éveiller le sens critique de nos jeunes, ce cours contribue à les rendre vulnérables face à l’influence de gourous et de dérives sectaires. Sans jugement critique, cet enseignement relève plutôt de l’endoctrinement à la pensée religieuse, et ne peut prémunir nos jeunes contre les dérives des fondamentalismes religieux.

Ce cours, bien qu’accompagné d’objectifs louables, a pour effet de promouvoir la pratique religieuse au Québec. Les parents n’ont pas accès au matériel pédagogique utilisé et ne savent pas vraiment ce qui est enseigné à leurs enfants. Les enseignants du primaire se contentent généralement de suivre les manuels sans faire de vague. Le sujet est délicat. Ils ont bien d’autres préoccupations professionnelles. ÉCR est le moindre de leurs soucis et je ne les blâme pas. Quant aux enseignants ÉCR du secondaire, comme ceux qui ont rédigé le blogue intitulé « Le vrai visage du cours Éthique et culture religieuse », il est normal qu’ils défendent leurs emplois. C’est pourquoi peu de voix s’élèvent pour dénoncer les aberrations de ce cours, allant à contre-courant de l’évolution séculière de la société québécoise. Pourtant, il serait plus que temps de mettre fin au volet « culture religieuse » du cours ÉCR, et d’achever ainsi la déconfessionnalisation de l’école publique au Québec.


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