mardi 14 octobre 2025

Au Sud rien de nouveau ?


Les « rencontres » entre migrants et agents de la police des frontières ont commencé à diminuer au cours de la dernière année du mandat de Joe Biden. Après l'arrivée au pouvoir de Donald Trump, elles ont chuté à leur plus bas niveau depuis des décennies (voir graphique au dessus ci-contre). À Tijuana, les travailleurs humanitaires affirment que les refuges pour migrants, autrefois bondés, sont aujourd'hui presque vides, à l'exception des Mexicains fuyant la violence dans leurs villes natales. Il ne semble pas s'agir d'une accalmie passagère. Presque personne ne se rend plus au nord en passant par le passage de Darién, une jungle dangereuse à la frontière entre la Colombie et le Panama qui était devenue une voie de passage pour les migrants du monde entier souhaitant demander l'asile aux États-Unis (voir graphique au dessous ci-contre). Une petite migration inverse a même commencé. Au moins 15 000 personnes, principalement des Vénézuéliens, sont retournées en Amérique du Sud depuis janvier.

M. Trump revendique la victoire sur la question qui a lancé sa carrière politique il y a dix ans. « À notre frontière sud, nous avons réussi à repousser une invasion colossale », a-t-il déclaré le mois dernier devant l'Assemblée générale des Nations unies. De nombreux experts en matière de frontières sont à juste titre sceptiques quant à l'efficacité des mesures coercitives seules. Ils affirment que la frontière entre les États-Unis et le Mexique est si longue (3 145 km) et les passeurs si rusés que les gens trouveront toujours de nouveaux moyens de la franchir. Cet argument a tenu bon, jusqu'à présent.

L'administration Trump a mobilisé toute la puissance du gouvernement fédéral pour mettre fin à l'immigration clandestine. Son approche « est multicouche, semblable à un oignon », explique Adam Isacson, du Washington Office on Latin America, un groupe de réflexion. Les démonstrations de force militaire, les sanctions plus sévères pour les personnes qui franchissent la frontière, les expulsions spectaculaires sans procès vers des prisons au Salvador et l'interdiction de l'asile se renforcent mutuellement. L'organisme des Nations unies chargé des migrations a interrogé des migrants au Mexique qui s'étaient mis en route pour les États-Unis avant de changer d'avis. La plupart ont cité les restrictions à la frontière, les changements de politique et la crainte d'être expulsés comme raisons de ne pas avoir traversé. L'approche de l'administration peut être résumée par un message publié sur une chaîne WhatsApp officielle : « Ni lo intentes » (N'essaie même pas).

Tout d'abord, considérons la puissance militaire déployée pour dissuader l'invasion présumée. Il n'est pas rare que les présidents des deux partis envoient des troupes pour aider la police des frontières dans ses tâches logistiques ou de surveillance. L'administration Trump est allée plus loin. Le président a ordonné au ministère de la Guerre ( c'est son nouveau nom) d'annexer certaines terres frontalières et de rattacher ces parcelles à des bases militaires proches (et parfois moins proches). La loi Posse Comitatus empêche les soldats fédéraux (il en va autrement de la garde national des États fédérés) d'arrêter des personnes, une tâche réservée aux policiers. Mais l'idée est que si un migrant franchit la frontière et pénètre sur ces terres annexées, les soldats peuvent le placer en détention pour intrusion sur une propriété militaire.

Ce n'est pas la seule mesure de dissuasion militaire. Des véhicules blindés Stryker et des avions de surveillance anti-sous-marins sont désormais présents dans les zones frontalières. Le projet de loi « One Big Beautiful Bill », adopté en juillet, prévoit près de 47 milliards de dollars pour poursuivre la construction du mur et l'équiper de caméras et de capteurs. Mike Banks, chef de la police des frontières, suggère que la présence militaire ne sera pas permanente. « Nous reviendrons à un point où nous contrôlerons la frontière sans avoir besoin de tout ce soutien », a-t-il récemment déclaré. Mais un retrait complet semble peu probable.

Deuxièmement, l'administration durcit le ton à l'égard de ceux qui osent encore franchir la frontière. Les interpellations à la frontière ont diminué, mais les procureurs fédéraux poursuivent de plus en plus de migrants pour entrée illégale. Certains éléments indiquent que la menace de poursuites pénales a réduit la probabilité que les migrants tentent de franchir la frontière à plusieurs reprises sous l'administration Obama. À l'époque, la police des frontières appelait cela « l'application des conséquences ».
Le troisième principe de la stratégie frontalière multicouches de M. Trump passe de l'application des conséquences à la sévérité en apparence implacable. Le processus habituel d'expulsion d'une personne, qui fait partie intégrante de l'application des lois sur l'immigration, a changé. Des agents masqués arrêtent des personnes dans la rue, les placent en détention (souvent dans des conditions peu commodes) et les renvoient parfois dans un pays où elles n'ont jamais mis les pieds. Les migrants de Basse-Californie disent aux travailleurs humanitaires qu'ils ont peur d'être emprisonnés indéfiniment aux États-Unis ou envoyés dans une prison salvadorienne. Pourquoi risquer sa vie pour traverser la frontière si c'est pour vivre dans la peur ?

La stratégie frontalière repose sur la suspension du droit d'asile décrétée par M. Trump. Les migrants pouvaient auparavant tenter d'échapper aux soldats et risquer des poursuites judiciaires si cela leur permettait d'obtenir une date d'audience et un permis de travail. Cette option n'existe plus. Dans un décret signé dès son premier jour au pouvoir, M. Trump a affirmé que « l'invasion » des États-Unis par les migrants lui permettait de refuser l'asile. Dans ce décret, il reconnaît que la plupart des présidents ont utilisé le pouvoir légal qu'il revendique pour empêcher de petits groupes de personnes d'entrer dans le pays, mais il affirme que son pouvoir s'étend à la restriction de l'accès à l'ensemble du système d'immigration du pays.

Cette décision est contestée devant les tribunaux. Un collège de trois juges de la cour d'appel fédérale de Washington a récemment statué que l'administration ne pouvait pas expulser des personnes vers un pays où elles risquaient d'être torturées, mais a autorisé le maintien de l'interdiction d'asile pendant la durée du procès. Les juges ont cité l'affaire Trump c. Hawaii, une affaire de 2018 qui a confirmé l'interdiction de voyager aux États-Unis pour les ressortissants d'une liste de pays, comme précédent pour la déférence judiciaire envers le président lorsque la politique d'immigration et la sécurité nationale sont étroitement liées. « Les tribunaux semblent certainement enclins à trouver des compromis qui leur évitent de déclarer complètement illégales les actions de Trump », explique Denise Gilman, experte en droit des réfugiés à l'université du Texas à Austin.

D'autres facteurs entrent également en jeu. Le Mexique a durci sa politique à l'égard des migrants afin de rester dans les bonnes grâces des États-Unis. Les migrants présents au Mexique ont commencé à voyager moins pour éviter d'être détenus et envoyés dans les villes du sud, près du Guatemala. De nos jours, le simple fait d'arriver à Tijuana est un exploit.

Cette situation va-t-elle durer ? « Si les tribunaux venaient à invalider l'interdiction d'asile, je pense qu'il est très probable que vous verriez beaucoup plus de gens arriver », déclare Andrew Selee, du Migration Policy Institute. 

Source : The Economist

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