mercredi 1 février 2023

Robert Plomin: « La génétique influe plus sur notre personnalité et notre réussite que l’environnement »

Extraits d’un entretien donné par le psychologue et généticien américain Robert Plomin. Dans son dernier ouvrage, L’Architecte invisible, il montre que nos capacités intellectuelles et autres aspects de notre personnalité seraient profondément influencés par notre génétique. Il invite à se saisir de cette révolution pour mieux cibler nos faiblesses et encourager nos talents. Selon Plomin, le 1 % de notre ADN qui nous rend uniques détermine à plus de 50 % ce que nous sommes. Nos capacités intellectuelles, notre introversion ou extraversion, notre vulnérabilité aux maladies mentales, et même le fait que nous soyons ou pas du matin, tous ces aspects de notre personnalité seraient profondément façonnés par les différences d’ADN dont nous avons hérité. Robert Plomin, pionnier de la génétique comportementale, s’appuie sur les recherches de toute une vie pour démontrer que l’ADN serait bien le facteur majeur qui construit notre personnalité. Nos familles, nos écoles et notre environnement importent, mais ils n’ont pas le même poids que nos gènes. Raison, selon Plomin, pour laquelle parents et enseignants devraient accepter les enfants tels qu’ils sont, plutôt que d’essayer de les modeler et de les faire aller dans certaines directions.

— Vous dites que l’environnementalisme — l’idée que nous sommes ce que nous apprenons — a été le point de vue dominant en psychologie pendant des décennies. Comment l’expliquer ?

Robert PLOMIN.  C’est une très bonne question. Je pense que la réponse est d’abord historique. La génétique comportementale a commencé au début des années 1900. Les premières études sur les jumeaux et l’adoption ont été réalisées dans les années 1920. Mais avec la Seconde Guerre mondiale, le rôle de l’Allemagne nazie en particulier, il est devenu impossible de parler d’influence génétique. Et je pense que le comportementalisme [l’idée que l’individu est conditionné par son environnement] a comblé ce vide. Cette idée résonne également avec l’idée démocratique d’égalité selon laquelle l’environnement est tout puissant, que n’importe qui peut réussir. C’est un raisonnement assez logique à première vue.

L’environnement peut faire une différence. Mais alors, pourquoi certaines personnes sont-elles schizophrènes et d’autres pas ? Pourquoi certains enfants ont-ils du mal à apprendre à lire et d’autres l’apprennent très facilement ? Nous devons nous demander empiriquement ce qui cause ces différences, et considérer la possibilité que des différences génétiques héréditaires expliquent certains de ces comportements. Dans le passé, on pouvait contester les études faites sur les jumeaux ou l’adoption. Mais avec la révolution de l’ADN, cela devient de plus en plus difficile de contester la part d’héritabilité de certains comportements. Mais il y a beaucoup de domaines des sciences sociales où les données ne comptent plus. On les ignore, on les met sous le tapis.

— On retrouve cette tendance dans les gender studies, qui ignorent le donné biologique de la différence des sexes…

 Vous avez encore le droit de dire que la différence des sexes existe en France ? J’ai toujours peur qu’on me pose la question quand je donne une conférence. Les hommes et les femmes sont-ils biologiquement différents ? Appelez-les comme vous voulez, mais quand vous avez la moitié de la population avec deux chromosomes X, l’autre moitié avec un chromosome X et un chromosome Y. Cela fait beaucoup de différences. […]

— Assiste-t-on aujourd’hui à une révolution ? La génétique est-elle de plus en plus prise en compte ?

 Il ne peut y avoir aucun doute à ce sujet maintenant, surtout quand on voit les progrès dans les domaines médicaux, y compris sur des choses comme l’obésité et les troubles psychiatriques. Il y a eu un revirement complet. La génétique est aujourd’hui largement acceptée, et on sait désormais que la révolution de l’ADN aura un impact majeur en termes de prédiction et de prévention de ces problèmes. Plutôt que d’attendre que quelqu’un fasse une crise cardiaque et d’essayer ensuite de la traiter, vous pouvez maintenant prédire quelles personnes ont un risque d’avoir une crise cardiaque plus élevé et donc faire de la prévention ciblée. Ce qui est devenu évident en médecine se répercutera, je pense, dans d’autres champs des sciences sociales. Maintenant en Angleterre, les études sur la parentalité prennent en compte le critère génétique.

— Vous avez formulé le concept de l’inné de l’acquis. Pouvez-vous nous expliquer ?

 Il y a des centaines de variables environnementales qui sont utilisées dans les sciences sociales, mais disons que les plus importantes sont les événements de la vie, les choses qui vous arrivent, et la parentalité. Mais si vous étudiez ces paramètres dans une conception génétique comportementale, comme une étude de jumeaux ou une étude d’adoption, vous trouvez une influence génétique sur ces variables prétendument environnementales. C’est très étonnant. […]

Par exemple, une étude d’adoption suédoise publiée en 2018 montre que le lien entre le divorce des parents et celui de leurs enfants est de nature génétique, pas environnementale. La probabilité de divorce est plus élevée pour un individu si c’est sa mère biologique qui ne l’a pas élevé, qui a un jour divorcé, et non pas ses parents adoptifs.

—   En gros, la génétique inverse la corrélation…

 Oui, c’est assez contre-intuitif. Évidemment, lorsqu’on voit des ressemblances entre le comportement des parents et celui des enfants, il est difficile de ne pas y voir une variable environnementale. Par exemple, les parents qui lisent beaucoup à leurs enfants ont des enfants qui lisent mieux. Mais si vous y regardez de plus près, vous vous apercevez qu’il y a une dimension génétique. Dans les études environnementales en Angleterre, on a isolé l’élément le plus explicatif de la réussite scolaire des enfants : le nombre de livres dans la bibliothèque des parents. Plus vous avez de livres sur vos étagères, plus votre enfant réussit à l’école. On s’est dit que cette variable était purement environnementale, et on a même proposé de remplir des camionnettes de livres et de déposer des livres à la porte, par exemple, des familles les plus pauvres afin qu’elles aient plus de livres chez elles, en supposant que cela permettra aux enfants de mieux réussir. En fait, on s’est rendu compte que cette variable avait une dimension génétique.

— Vous voulez dire qu’il y a un gène de la lecture ?

 Pas un gène, mais il y a une influence génétique. Les livres n’ont pas d’ADN. Mais pourquoi certains foyers ont-ils plus de livres que d’autres ? C’est parce que les parents les ont mis à la maison. Certains parents lisent beaucoup plus que d’autres parents et cela est lié à leur niveau d’instruction. Et ces choses montrent toutes une influence génétique substantielle. En tant que grand-parent, j’aime lire des livres à mes petits enfants.

Mais pourquoi certains d’entre eux en raffolent et d’autres pas ? Je pense que la génétique explique une partie de nos goûts et de nos appétences et que c’est libérateur pour les parents : rien ne sert d’aller à contre-courant des dispositions naturelles de l’enfant, il faut les encourager, trouver quelles sont les choses qui les intéressent et pour lesquelles ils sont doués. Être un bon parent, c’est être réactif aux talents de l’enfant, pas de penser qu’ils sont une boule d’argile que l’on peut modeler à sa guise.

— La génétique explique donc que les frères et sœurs d’une même famille sont si différents…

Tout à fait. Pourquoi des frères et sœurs, qui ont grandi sous le même toit, reçu exactement la même éducation, fréquenté les mêmes écoles, ont une réussite scolaire différente ? C’est en réalité un point très fort pour la génétique. Il y a un dicton qui dit, un parent est environnementaliste jusqu’à ce qu’il ait plus d’un enfant. C’est vrai, car avec le premier enfant, on peut tout expliquer sur le plan environnemental et culturel. Et c’est bien là le problème d’une explication qui explique tout, et donc n’explique rien. Mais ensuite, quand vous avez votre deuxième enfant vous remarquez qu’ils sont différents très tôt dans la vie alors que vous leur donnez la même éducation. Les parents doivent réaliser que leurs enfants sont à 50 % différents. Les différences individuelles dans la façon dont les enfants réussissent à l’école sont l’un des trucs les plus héréditaires qui soient, jusqu’à 60-70 %.

— La réussite scolaire est héréditaire ?

 Oui. Le chapitre qui a attiré plus d’attention dans mon livre est celui intitulé : pourquoi les parents comptent, mais ils ne font aucune différence. Les enfants ne peuvent pas grandir seuls. Ils ont besoin de parents. Et la vie est plus agréable si les parents aiment et soutiennent les enfants. Mais la manière dont les parents éduquent leurs enfants ne fait aucune différence dans la façon dont leurs enfants réussissent à l’école par rapport aux autres enfants. Il n’y a pas d’influences parentales systématiques à l’échelle de la famille. Mes parents ont poussé ma sœur plus fortement que moi à l’école, mais ça n’a pas fait beaucoup de différence. Je sais que c’est difficile à accepter, mais les preuves sont accablantes. En fait, la réussite scolaire est plus héréditaire dans les premières années scolaires que le test d’intelligence générale.

— Doit-on en conclure que l’éducation ne sert à rien ?

Les écoles comptent, mais elles ne font aucune différence. Beaucoup de gens dépensent des centaines de milliers d’euros pour mettre leurs enfants dans des écoles privées dès la maternelle pour qu’ils finissent par aller à Oxford ou à Cambridge. Mais ce que nous montrons, c’est qu’avec l’ADN seul, nous pouvons expliquer 15 % de la variance des différences entre les enfants sur les tests de réussite scolaire.

La qualité de l’école, pour laquelle les gens déménagent et dépensent tant, ne joue que pour 4 %. C’est bien d’aller dans une école privée riche où il y a des cours d’art et des installations sportives. C’est plus joli, mais ça ne change rien. Et c’est la même chose avec la parentalité. C’est beaucoup mieux pour les enfants si leurs parents sont gentils avec eux, aimants et encourageants, mais cela ne fait aucune différence. Ce sont les mêmes enfants qui deviendront schizophrènes.

— Votre discours est en fait assez antifreudien : ce n’est pas la faute de vos parents !

 Exactement. Les parents ne doivent pas se culpabiliser, arrêter de penser qu’ils vont façonner leur enfant pour qu’il soit ce qu’ils veulent qu’il devienne. Vous pouvez le faire dans une certaine mesure : si vous voulez que votre enfant soit un grand musicien, vous pouvez lui donner beaucoup d’impulsion. Mais s’il n’a pas de talent musical, ça sera difficile. Il ne sera jamais vraiment bon. Et donc il est mieux en tant que parent d’essayer de comprendre ce que vos enfants aiment faire, ce qu’ils font bien et de les aider à l’accomplir.

 Vous êtes assez agacé par la pensée positive et les discours éducatifs bienveillants du type « tout le monde peut devenir président de la République ». Ces discours mensongers sont-ils dangereux ?

 Maintenant que Trump a été président, ça devient assez vrai (rires). On dit que l’on peut être tout ce que l’on voudrait être, qu’il n’y a aucune limite. Mais la plupart des gens n’y arrivent pas. Alors qu’est-ce que ça veut dire ? Que c’est leur faute ? C’est ce qu’implique ce genre de discours. « Vous n’avez pas assez essayé, si vous ratez, vous ne pouvez vous en prendre qu’à vous-même ». Cela crée d’énormes frustrations.

— Votre livre pose une question essentielle, celle de la méritocratie. Si une bonne part de notre destin est génétique, le risque n’est-il pas de légitimer l’existence de castes génétiques ?

 C’est une bonne question et j’essaie d’y répondre un peu dans mon livre. Je ne pense pas que la méritocratie soit incompatible avec la génétique, c’est même le contraire ! D’ailleurs, la plupart des génies ne viennent pas de parents qui sont en haut de l’échelle sociale. La plupart d’entre eux sont au milieu. Si vous regardez les enfants des groupes les plus bas et les plus socialement défavorisés, certains ont des prédictions ADN pour la réussite scolaire qui sont beaucoup plus élevées que n’importe qui d’autre dans le spectre.

Et donc si la méritocratie fonctionne vraiment, si nous nous débarrassons de ces différences environnementales et traitons vraiment tout le monde de la même manière, alors vous vous retrouverez avec une héritabilité plus élevée parce qu’il ne vous reste plus que les différences génétiques. […]

— Avec la recherche génétique, on est désormais capable de prédire notre avenir dès la naissance, et même avant. Ne craignez-vous pas une forme d’eugénisme ? Bienvenue à Gattaca n’est qu’une dystopie fantaisiste ?

Beaucoup de gens parlent de ces risques, mais moi je vois d’abord le bien qui peut découler de cette révolution de l’ADN. « Bienvenue à Gattaca » a été écrit en 1969 et c’était incroyablement prémonitoire puisque c’était bien avant que le génome humain ne soit séquencé dans les années 1990. Ce film évoquait des tests génétiques à la naissance, qui indiquaient que le héros du film avait un risque très élevé de maladie cardiovasculaire.

Toutes ces choses sont possibles maintenant. Mais je pense que la dystopie présentée dans Gattaca n’est pas une conséquence inéluctable. Gattaca est un gouvernement totalitaire encadré par des sortes des Stormtroopers nazis. Il faut quand même rappeler que beaucoup de gouvernements totalitaires n’étaient pas génétiques comme les nazis ou Gattaca, mais plutôt des gouvernements environnementalistes. Songeons à Staline, Mao, ou la Corée du Nord. Ce sont des gouvernements totalitaires qui niaient les différences individuelles et pensaient que l’environnement était tout. Ils pensaient au contraire que les gens étaient des pages blanches qu’on peut recréer à loisir. Les gouvernements totalitaires sont très mauvais et qu’ils ne s’appuient pas sur la science. Ils utilisent la science comme une feuille de vigne pour dissimuler ce qu’ils font. 

Source : Le Figaro


L’Architecte invisible
Comment l’ADN façonne notre personnalité
par Robert Plomin,
publié aux Presses de la Cité/Perrin,
Paris,
le 20 mars 2023,
336 pages,
ISBN-10 : 2 258 200 229

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