samedi 25 septembre 2021

Ces Kényans qui aident les étudiants anglophones à tricher

Votre prof vient de vous rajouter un énième devoir à faire pour la semaine prochaine. Et en plus de ça, vous avez toujours votre mémoire à boucler, celui sur lequel vous n’avancez plus depuis des semaines. 

Vous vous demandez comment vous allez arriver à tout gérer. Ce sentiment, on l’a tous déjà vécu. Pour résoudre ce problème, certains étudiants peu scrupuleux n’hésitent pas à faire appel à des services de « rédaction universitaire ». 

Un euphémisme pour parler de triche. En résumé, cela consiste à faire faire ses travaux scolaires ou universitaires par des rédacteurs à l’autre bout du monde, contre rémunération. Si le phénomène existe aussi en francophonie à très petite échelle, il est surtout répandu dans le monde anglo-saxon. La BBC a donc décidé d’y consacrer une grande enquête. Celle-ci l’a conduite au Kenya, véritable plaque tournante de ce commerce très particulier.

Des profils « blancs » pour rassurer

Bien sûr, le Kenya n’est pas le seul pays à s’engouffrer dans la brèche de la triche organisée, on peut par exemple également citer l’Inde ou encore l’Ukraine. Mais il est l’un des plus actifs, pour plusieurs raisons. Il s’agit d’un pays anglophone, avec un bon système éducatif, mais où les perspectives économiques sont souvent très faibles, surtout pour les jeunes.

Pourtant, les étudiants qui font appel à ce type de services ne savent souvent pas que leurs travaux sont rédigés à l’autre bout du monde. En effet, les plateformes de mises en relation entre étudiants et rédacteurs mettent souvent en avant des profils d’universitaires blancs. Mais, derrière ces faux comptes et les fausses photos, se cachent parfois plusieurs Kényans qui triment pour réaliser le plus de devoirs possible afin de s’assurer des revenus supérieurs à la moyenne. « C’est une question de survie », disent-ils.

Beaucoup de ces sites sont basés aux États-Unis et en Europe de l’Est et la part payée à ces sites peut représenter jusqu’à la moitié des frais. Le montant payé par le client varie selon qu’il s’agit d’une simple rédaction ou, à l’autre bout de l’échelle, d’une thèse de doctorat complète. 

Sortir de la pauvreté

« Mes parents ne peuvent pas me permettre de continuer mes études. J’ai donc compris que je devais chercher un moyen de subvenir à mes besoins et peut-être aussi de contribuer aux revenus de la famille dans son ensemble », explique David, un étudiant kényan en dernière année à l’université. Tout son temps libre, il le consacre à son activité de rédacteur. « Je peux travailler du lundi au vendredi, de jour comme de nuit, mais la fin de semaine, je me la garde pour mes études ». En aidant les Occidentaux à tricher, il peut non seulement poursuivre ses études, mais il peut également investir dans son avenir. « J’ai pu louer des terres agricoles dans mon village et engager de la main-d’œuvre pour faire pousser des cultures. »

Kennedy, un trentenaire, explique gagner « beaucoup plus qu’avant » depuis qu’il enchaine rédactions et autres dissertations. Aujourd’hui, il gagne 1710 dollars canadiens (1150 euros) par mois, soit un peu plus que le salaire moyen. Ironie de l’histoire, cet homme était auparavant… enseignant. « Parfois, il faut d’abord survivre avant de penser à la morale », explique-t-il. Lorsque la BBC lui demande si ça ne lui fait pas mal de penser que les étudiants qu’il aide gagneront plus que lui, il répond simplement : « nous ne luttons pas contre eux, mais contre la pauvreté ».

Selon Kennedy, les rédacteurs qu’il emploie peuvent compléter jusqu’à 200 rédactions ou examens en ligne par mois. « Vous vous connectez en utilisant les nom et mot de passe d’un étudiant et passez les examens à sa place », ajoute-t-il. 

Malgré tout, certains sont conscients d’œuvrer contre la société. Certains de leurs clients font en effet partie du milieu médical. « C’est vraiment dangereux, ça donne la chair de poule », confie un autre rédacteur qui souhaite laisser tomber tout cela dès qu’il aura trouvé un travail dans son domaine.

Sous-traitance

David est sous-traitant pour quelqu’un de plus expérimenté dans l’industrie qui a un compte de rédacteurs sur l’un des grands sites Web de rédacteurs étrangers. Mais obtenir un compte n’est pas facile. 

Certaines entreprises insistent pour que les candidats passent des examens universitaires. 

 

Une publicité avec un visage occidental placé sur le compte Facebook d’une « fabrique à rédactions » par des rédacteurs kényans

Un d’un groupe Facebook placé par un écrivain kényan vendant un compte d’usine d’essai avec une photo de profil blanche. source de l’image, Facebook Légende de l’image

Les comptes cotés cinq étoiles par les clients sont des produits très recherchés. Ils s’achètent et se revendent dans des groupes de rédaction universitaires. 

C’est ainsi que les étudiants tricheurs sont eux-mêmes bernés. Ils peuvent penser qu’ils font rédiger leurs essais par un rédacteur bénéficiant de témoignages élogieux. Mais en réalité, il peut s’agir simplement de quelqu’un qui a racheté un compte avec une bonne réputation. « J’ai acheté plus de 10 comptes », dit Kennedy. « Certains coûtent jusqu’à 500 000 shillings kényans (3 800 euros ou 5 700 $ canadiens). Il n’y a pas d’autre moyen d’obtenir des clients. » 

Posséder un tel compte est une chose à laquelle David aspire une fois diplômé. À seulement 23 ans, il forme déjà la prochaine génération. Il apprend les ficelles du métier à des rédacteurs débutants et leur refile de petits boulots pour les lancer. « De là, nous avons noué des amitiés et nous nous entraidons. C’est donc une industrie qui se développe. » 

Un fléau dur à combattre

Même si elles sont conscientes de l’existence de telles plateformes, les universités anglophones ne parviennent pas à endiguer le phénomène, plus difficile à détecter que le simple plagiat. 

Certains pays prennent des mesures. L’année dernière, l’Australie a interdit les services de vente de rédactions. Une législation similaire est également envisagée en Angleterre. Mais on ne sait pas encore dans quelle mesure ces lois parviendront à arrêter un commerce qui traverse si facilement les frontières internationales. 

Si ces pays ne trouvent pas un moyen d’interdire purement et simplement le recours à ces pratiques, celles-ci risquent donc de perdurer de nombreuses années.

Sources : La Libre et la BBC


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