vendredi 14 juillet 2023

L'armée américaine a un problème de recrutement de poids

L’armée américaine et l’armée de l’air, qui cherchent désespérément à combler leurs déficits de recrutement, font un effort considérable pour recruter des immigrés, en leur offrant la possibilité d’obtenir la citoyenneté en quelques semaines. (11 juin 2023)

Quelle est l’ampleur de la crise du recrutement ? 

Au cours du dernier exercice budgétaire, l’armée de terre a manqué son objectif de recrutement de 15 000 soldats en service actif, soit 25 % de son objectif. Ce déficit a contraint l’armée à réduire ses effectifs prévus en service actif de 476 000 à 466 000. Et l’exercice comptable en cours risque d’être encore pire. Les responsables de l’armée prévoient que les effectifs du service actif pourraient diminuer de 20 000 soldats d’ici septembre, pour atteindre 445 000 soldats. Cela signifie que la principale force terrestre du pays pourrait diminuer de 7 % en seulement deux ans, à un moment où ses missions augmentent en Europe et même dans le Pacifique, où l’armée de terre fournit un grand nombre de moyens essentiels en temps de guerre, sans lesquels les autres services ne peuvent pas fonctionner.

Pour ne rien arranger, en 2022, quelque 40 000 soldats de la Garde nationale et 22 000 réservistes qui ont refusé d’être vaccinés contre le COVID-19 ne sont plus autorisés à participer à leurs tâches militaires, ce qui les prive également de certains avantages militaires. 

Crise des vocations, y compris dans les familles à tradition militaires

Jeunes recrues, sept. 2022
Seuls 13 % des jeunes Américains déclaraient qu’ils envisageraient de s’engager dans l’armée avant la pandémie. Ce chiffre déjà dérisoire est tombé à 9 % l’année dernière. Ce chiffre n’est tout simplement pas assez élevé pour assurer le flux stable de recrues sur lequel repose une armée de métier. Deux séries de données d’enquête permettent d’expliquer cette crise des vocations militaires.

Tout d’abord, le nombre d’Américains ayant confiance dans l’armée américaine a chuté au cours des dernières années. La confiance des Américains dans presque toutes les grandes institutions américaines a diminué, les données de Gallup montrent qu’elle a atteint son niveau le plus bas de tous les temps, à savoir 27 %, en 2022. Comparé à ces statistiques désastreuses, le fait que 64 % des personnes interrogées aient exprimé leur confiance dans l’armée l’année dernière constitue un soutien solide. Pourtant, ce chiffre était de 72 % en 2020 et de 69 % en 2021, soit une baisse de 8 points de pourcentage en seulement deux ans. Plus inquiétant encore, l’enquête du Reagan National Defense Survey a révélé des baisses encore plus importantes, la confiance dans l’armée américaine passant de 70 % en 2018 à seulement 45 % en 2021 (avant de remonter légèrement à 48 % en 2022).

Ensuite, certains signes précurseurs indiquent que moins de personnes dans les milieux militaires et leurs familles sont prêtes à recommander aux jeunes de s’engager dans l’armée. En 2019, près de 75 % des familles de militaires ont déclaré qu’elles recommanderaient le service militaire à un proche. Pourtant, ce chiffre est tombé à un peu moins de 63 % en 2021, ce qui représente une autre baisse importante en seulement deux ans. Étant donné que 80 % des jeunes qui s’engagent dans l’armée aujourd’hui ont un membre de leur famille dans l’armée — et que 25 à 30 % ont un parent dans l’armée — il se pourrait bien que davantage de familles de militaires détournent leurs enfants du service en uniforme pour les orienter vers des carrières civiles.

Il est difficile d’évaluer les causes exactes de ce déclin rapide, car, comme pour l’éligibilité, de nombreuses tendances différentes convergent en même temps. Le retrait chaotique des États-Unis d’Afghanistan est presque certainement l’une des raisons, car la plupart des Américains ont désapprouvé la manière dont l’administration Biden a exécuté ce retrait (y compris beaucoup de ceux qui soutenaient généralement la décision de se retirer). Une autre raison est la perception croissante que les chefs militaires américains s’impliquent trop dans la politique, en partie à cause de plusieurs controverses autour du président de l’état-major interarmées, le général Mark Milley. Enfin, les taux sans cesse croissants d’agressions sexuelles dans l’armée sont désormais bien plus largement connus depuis la disparition tragique et la mort de la spécialiste Vanessa Guillen en 2020, et les mesures disciplinaires prises par la suite à l’encontre de 14 officiers de l’armée à Fort Hood. En effet, dans une enquête réalisée à l’automne 2021, 30 % des Américains âgés de 16 à 24 ans ont déclaré que la possibilité de harcèlement ou d’agression sexuelle était l’une des principales raisons pour lesquelles ils n’envisageaient pas de s’engager dans l’armée américaine. (L’affaire Guillen a également conduit le Congrès à adopter l’année dernière de vastes réformes du système de justice militaire, qui pourraient éventuellement contribuer à atténuer ces préoccupations).

En outre, les partisans des deux bords politiques soulignent publiquement les différents problèmes auxquels l’armée est confrontée, ce qui peut dissuader leurs partisans (et les enfants de leurs partisans) d’envisager le service militaire. Les démocrates, par exemple, ont publiquement exprimé leur inquiétude face au problème de « l’extrémisme » dans l’armée.


 Les Républicains soulignent le caractère de plus en plus « woke » de l’armée. Les membres républicains du Congrès accusent l’armée d’utiliser des « données tronquées » de manière à masquer ces problèmes. En novembre, par exemple, les bureaux du sénateur Marco Rubio et du représentant Chip Roy ont publié un rapport intitulé Woke Warfighters, qui accuse l’administration Biden d’affaiblir la force militaire en prônant la théorie de la race critique, en soutenant les procédures de changement de sexe et en valorisant l’individualité des LGBTQ+. Dans un récent sondage, près de la moitié des républicains se sont dits d’accord avec l’affirmation selon laquelle « les pratiques “woke” qui sapent l’efficacité militaire » étaient l’une des raisons de leur perte de confiance dans l’armée américaine. Maintenant que les républicains ont repris le contrôle de la Chambre des représentants, ils ont l’intention de s’attaquer à ces questions en se concentrant sur ce que le représentant Jim Jordan a appelé « se débarrasser de tous les “woke” dans notre armée ». 

Faible chômage

Le très bas taux de chômage très bas pourrait être une autre raison aux difficultés malgré une hausse substantielle des bonis versés à l’enrôlement et de nouvelles chances données à des candidats recalés — souvent à plus d’une reprise.

Autre frein, la pandémie des deux dernières années a miné les efforts de recrutement. Les recruteurs n’ont pu aller à la rencontre des jeunes dans les écoles, les foires et les autres lieux publics.

Peu de recrues satisfont aux exigences

Le nombre de candidats dont le profil correspond aux exigences minimales de l’armée est très bas.

Ainsi, seulement 23 % des candidats de 17 à 23 ans répondent aux qualités physiques, mentales et morales exigées.

De nombreux candidats sont disqualifiés en raison de problèmes de poids, de drogue ou parce qu’ils ont un dossier criminel.

Il y a quelques années, ce taux de qualification était de 29 %.

Une obésité endémique

La principale cause de ce problème provient essentiellement de l’obésité des Américains. Aujourd’hui, 40 % de la population est concernée par le phénomène, sans compter les millions d’Américains en surpoids. Une situation que l’on retrouve évidemment chez les 34 millions de 18-24 ans, qui constituent le vivier des recrues de l’armée.

Un candidat sur trois est ainsi concerné par l’obésité, selon l’administration américaine.

Drogues, diplômes, casiers judiciaires

L’obésité n’est pas pour autant seule responsable de ce manque d’effectifs. Selon l’administration américaine, plusieurs éléments comme la consommation de drogue ou l’existence d’un casier judiciaire empêchent certains volontaires d’être retenus. Cela concerne environ 10 % des candidatures.

Autre obstacle — et non des moindres — souligné par le rapport : le niveau d’éducation des candidats. Ils sont en effet de plus en plus nombreux à ne pas disposer des diplômes nécessaires, équivalents au bac français/diplôme du cégep, pour pouvoir s’engager dans l’armée. Ce problème concerne un quart des candidats.

Classes de rattrapage

Pour donner une nouvelle chance à des candidats recalés dans le passé, les forces armées américaines ont mis sur pied des programmes de rattrapage où l’on enseigne de tout : calcul, grammaire, nutrition, hygiène, etc. Ceux qui réussissent le programme sont ensuite invités à commencer la formation de base.

Cela entraîne un autre problème, celui de l’entraînement. Pendant la pandémie, on n’a pas pu entraîner les gens comme on le fait traditionnellement.

Afin d’endiguer et de renverser la situation, l’armée américaine explore un large spectre de solutions. Il y a de tout. Y compris un appel à des militaires… youtubeurs.

Le recrutement dans les corridors des écoles secondaires et à l’entrée des supermarchés est archaïque, indique-t-on dans un article du journal Air Force Times dans lequel plusieurs youtubeurs comptant des milliers d’abonnés donnent leur opinion.

« Nous disons les choses comme elles le sont. Du moins, en ce qui a trait à notre vécu personnel, relève ainsi l’aviatrice de première classe et technicienne en santé mentale Dominga Harris. Les gens apprécient notre franchise sur ce que nous faisons… ou pas, sans enjoliver ce qui se passe à l’intérieur des rangs. »

Dans les forces navales, on essaie d’attirer les recrues avec de l’argent. Beaucoup d’argent. Un récent article du Navy Times indique que les incitations à l’enrôlement incluent des bonis à la signature pouvant atteindre 50 000 $ et un remboursement de prêts étudiants allant jusqu’à 65 000 $. Les deux mesures peuvent être combinées.

Des vétérans de la marine se font aussi offrir des bonis importants.

Les vétérans à la rescousse ?

Pour Matthew F. Amidon, colonel de la réserve des Marines et directeur de la section vétérans et familles militaires de l’Institut George W. Bush, une partie de la solution passe par l’influence des anciens combattants.

« Il y a 18,8 millions de vétérans dans ce pays et près de 80 % sont très fiers de ce qu’ils ont accompli en uniforme. Plusieurs sont des chefs d’entreprises et d’organisations. Nous devons donc nous assurer de mieux arrimer les relations entre ceux qui ont servi et ceux qui veulent servir », dit-il.

Le colonel Amidon, un Vermontois d’origine, croit aussi qu’il est temps de repenser les critères de sélection des candidats.

« Quand on regarde les domaines de combat de demain, comme la guerre cybernétique, est-ce qu’on a réellement besoin de gens qui vont tous répondre aux conditions physiques traditionnelles pour réussir ? On doit avoir cette conversation. »

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