vendredi 12 février 2021

Radio-Canada : le pourboire, une pratique raciste et discriminatoire ?

Radio-Canada utilise une vieille ficelle : mettre un titre à l’interrogatif puis présenter un texte qui ne fait qu’appuyer la thèse qui devrait mener les lecteurs à répondre à cette interrogation par un oui. Oui, c’est une pratique discriminatoire.

Notons que l’article démontre surtout l’américanisation des journalistes radio-canadiens qui plaquent des analyses américaines sur une situation canadienne et québécoise. L’article commence ainsi en expliquant qu’aux États-Unis le pourboire remonterait à l’époque de l’esclavage.

 

L’article ajoute par la suite que « La pratique s’est ancrée en Amérique du Nord après la guerre de Sécession aux États-Unis, quand les esclaves récemment libérés cherchaient des emplois, limités par leur manque d’éducation. Ils recevaient des pourboires des clients qu’ils servaient plutôt qu’un salaire de leur employeur. » 

On ne voit pas très bien pourquoi cela est pertinent pour un média gouvernemental canadien, car le pourboire existait avant la fin de la Guerre de Sécession en Angleterre et en Europe. On ne voit donc pas pourquoi cette pratique au Canada serait le résultat de la fin de l’esclavage dans le Sud des États-Unis.
 
En outre, cette théorie qui voudrait que le pourboire aux États-Unis s’y soit ancré à cause de la fin de l'esclavage n’est pas confortée par les faits. 

En effet, jusqu’au début du XXe siècle, les Américains considéraient le pourboire comme incompatible avec les valeurs d’une société démocratique égalitaire [1]. En outre, les propriétaires considéraient les pourboires comme une forme de corruption possible d’un employé pour qu’il fasse quelque chose qui lui était autrement interdit, par exemple attribuer une plus grande portion de nourriture.

Jusqu’à la fin du XIXe siècle, les pourboires étaient très rares aux États-Unis, mais profondément ancrés en Grande-Bretagne[2]. À cette époque, les visiteurs britanniques aux États-Unis commentaient l’antipathie locale envers le pourboire. Les auteurs américains faisaient valoir que le pourboire était incompatible avec l’égalitarisme américain. Malgré cette tradition, le pourboire est devenu la coutume aux États-Unis au début des années 1900. Cette inversion des coutumes américaines en matière de pourboire s’explique en partie par le passage du plan américain (la pension complète avec le repas compris dans le prix de la chambre d’hôtel) au plan européen (repas à l’hôtel vendus séparément des chambres). Cette transition n’a été ni fluide ni rapide. Elle a pris une cinquantaine d’années, car l’industrie hôtelière n’était pas unanime sur la facturation séparée du prix des repas à l’hôtel. Les normes de comportement quant au pourboire se sont solidifiées très lentement. Pendant cette période transitoire passant d’une culture d’absence de pourboire à celle du pourboire généralisé, on a maintes fois fait appel au patriotisme américain et à la valeur de l’égalitarisme pour contrer la tendance au pourboire généralisé.

La prohibition en 1919 a eu un impact énorme sur les hôtels et les restaurants, qui ont perdu les revenus de la vente de boissons alcoolisées. La pression financière qui en a résulté a amené les propriétaires à accueillir favorablement les pourboires, comme moyen de compléter les salaires des employés [3]. Contrairement à la croyance populaire, le pourboire n’a pas été institutionnalisé en raison des bas salaires des serveurs, car la profession de serveur était assez bien payée à l’époque. En dépit de la tendance au pourboire comme comportement obligatoire, six États, principalement dans le Sud (les anciens États esclavagistes !), adoptèrent des lois rendant le pourboire illégal. L’application des lois anti-pourboire s’avéra problématique. La plus ancienne de ces lois fut adoptée en 1909 (Washington) et la dernière de ces lois fut abrogée en 1926 au Mississippi.

Usage de statistiques américaines pour extrapoler sur la situation ici

L’article du diffuseur public (plus d’un milliard de subventions par an) se poursuit par un appel à des statistiques américaines et à l’absence de statistiques canadiennes pour conclure que la discrimination existerait au Canada. Quelle rigueur !

 
Étymologie douteuse de « tip »

On ne sait pas très bien pourquoi, dans un article en français, la SRC se voit obligée de conjecturer sur l’origine du mot « tip » (pourboire en anglais).

Une fois de plus, rien n’est sûr en la matière. Selon le Dictionnaire étymologique en ligne [4] : 

La popularité de l’histoire de l’origine supposée du mot en tant qu’acronyme dans les tavernes anglaises du milieu du XVIIIe siècle ne semble pas plus ancienne que le livre de 1909 de Frederick W. Hackwood « Inns, Ales and Drinking Customs of Old England », où il était censé représenter « To insure promptitude » (sous la forme « To insure promptness », l’anecdote n’est racontée que depuis 1946).

On pense plus sérieusement que le mot « tip » serait dérivé d’un terme d’argot qui signifierait « donner », « passer », ce sens pourrait dériver d’un mot « tip » au sens de « frapper légèrement » (peut-être dérivé du bas allemand tippen, « taper »), mais cette dérivation est « très incertaine » selon l’Oxford English Dictionary [5].

Notes

[1] Segrave, Kerry (1998). Tipping: An American social history of gratuities. Jefferson, North Carolina: McFarland & Company. ISBN 0786403470.

[2] Cocks, C. (2001). Doing the Town: The Rise of Urban Tourism in the United States, 1850–1915. Berkeley, CA: University of California Press

[3] Mentzer, Marc S. (September 2013). “The payment of gratuities by customers in the United States: An historical analysis” (PDF). International Journal of Management. 30 (3): 108–120. ISSN 0813 — 0183. 

[4] https://www.etymonline.com/search?q=tip, voir aussi http://www.word-detective.com/2011/03/tip/

[5] “tip, v.4” Oxford English Dictionary. 2nd ed. 1989. Oxford University Press. ISBN 0-19-861186-2.

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