mardi 18 avril 2023

Agatha Christie, de nouveau dans le viseur des censeurs (finis les Nubiens, les Gitans, le Juif et les Indigènes en anglais)

Les éditions du Masque ont annoncé que les traductions françaises d’Agatha Christie allaient faire l’objet de «révisions», notamment la suppression de termes jugés offensants sur le physique ou l’origine de personnages, «s’alignant ainsi sur les autres éditions internationales» [anglaises].

«Les traductions françaises de l’œuvre d’Agatha Christie font l’objet de révisions habituelles et intègrent au fil des années les corrections demandées par Agatha Christie Limited [la société qui gère l’œuvre de l’auteur/autrice/auteure/aut(h)oresse], s’alignant ainsi sur les autres éditions internationales», a précisé lundi l’éditeur, qui fait partie du groupe Hachette.

Source : Libé

Billet du 27 mars 2023
 
L’œuvre de l’écrivaine britannique a fait l’objet d’une réécriture pour éviter « d’offenser » le lectorat contemporain.

Du nouveau au pays des lecteurs en sensibilité. Après Roald Dahl et Ian Fleming, c’est au tour d’Agatha Christie d’être dans le viseur de ces professionnels de l’indignation. D’après le Telegraph, les aventures des détectives Miss Marple et Hercule Poirot, qui doivent être publiées ou qui ont été publiées depuis 2020 ont été réécrites et modifiées par la maison Harper Collins ce, afin de supprimer tout langage potentiellement offensant à l’égard du lecteur moderne.
 
De toutes nouvelles éditions de l’intégralité des enquêtes de Miss Marple et quelques romans avec Hercule Poirot ont donc été créées. D’après le journal, ces versions incluent de nombreux changements dans les textes publiés entre 1920 et 1976, notamment concernant les descriptions, les insultes et les références ethniques. Ainsi, toute mention faite à une personne noire, juive ou gitane a été coupée.

Des coupes et des mots effacés ou modifiés
 
C’est ainsi que dans La Mystérieuse Affaire de Styles, le premier roman d’Agatha Christie publié en 1920, lorsque Hercule Poirot fait remarquer qu’un personnage est « juif », le mot n’apparaît plus dans la nouvelle version. Dans le même livre, une jeune femme ayant « un style gitan » devient simplement une « jeune femme ». D’autres phrases ont tout simplement été réécrites sans raison apparente. Dans le roman Mort sur le Nil de 1937, le personnage de Mrs Allerton se plaint qu’une bande d’enfants la harcèle et explique « qu’ils reviennent et regardent, et regardent, et leurs yeux sont tout simplement dégoûtants, tout comme leur nez, et je ne crois pas que j’aime vraiment les enfants. » Cela devient dans la nouvelle édition : « Ils reviennent et regardent, et regardent. Et je ne crois pas que j’aime vraiment les enfants. »

Outre des coupes dans les paragraphes, certains mots de vocabulaire ont été modifiés, voire effacés. Le terme « oriental » a disparu, des références au peuple Nubien — habitant de la région reliant le nord du Soudan au sud de l’Égypte — ont quant à elles été supprimées de Mort sur le Nil. Certaines formules complètement banales ont de même été effacées dans Le major parlait trop. C’est le cas de l’expression « belles dents blanches ». Dans le même livre, la description d’une femme avec « un torse de marbre noir » a été effacée. Dans Miss Marple tire sa révérence, un juge indien exigeant son petit-déjeuner ne le fait plus avec un « tempérament indien », mais un simple « tempérament ». Enfin, dans ce même ouvrage, le journal rapporte que le mot « indigène » a été remplacé par « local ».

Ignorance

La censure des éditions de Roald Dahl avait provoqué un émoi mondial en février dernier. L’écrivain Salman Rushdie, le Premier ministre britannique Rishi Sunak étaient notamment montés au front, appelant à ce que les œuvres littéraires soient « préservées » plutôt que « retouchées ». Cette fois-ci et concernant Agatha Christie, la romancière Joyce Carol Oates a relayé l’information sur son compte Twitter en prédisant la prochaine cible des sensitivity readers. « Next Louis-Ferdinand Céline. »

Précisons ici qu’une réécriture de Céline en France n’est pas près d’arriver. En effet, le droit moral français est imprescriptible. Voici ce qu’on lit dans le code de la propriété intellectuelle sous l’article L-121-1 : « L’auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son œuvre. Ce droit est attaché à sa personne. Il est perpétuel, inaliénable et imprescriptible. Il est transmissible à cause de mort aux héritiers de l’auteur. L’exercice peut être conféré à un tiers en vertu de dispositions testamentaires. »

Dans un entretien publié par Le Figaro, au sujet de la réécriture des œuvres de Roald Dahl, le linguiste Franck Neveu déplorait la « moralisation de la langue » des lecteurs en sensibilité. « Nous sommes en train de moraliser la langue or il n’y a pas de morale dans la langue, ce sont deux entités différentes. Considérer qu’on doive faire disparaître certains mots du dictionnaire ou de certaines règles de jeu comme dans le Scrabble ou des mots dans les romans de Roald Dahl, relève de l’ignorance la plus crasse du fonctionnement du langage. » Et de rappeler qu’il s’agissait moins d’une censure que d’une stratégie commerciale pour les héritiers de Roald Dahl alors que la plateforme Netflix a acheté les droits des œuvres de l’écrivain britannique.

Ce n’est pas la première fois que les œuvres d’Agatha Christie font parler d’elles. En 2020, Dix Petits Nègres, était devenu Ils étaient dix. Cette décision avait été prise par l’arrière-petit-fils de l’écrivain, James Prichard, pour ne pas « blesser ». « Quand le livre a été écrit, le langage était différent et on utilisait des mots aujourd’hui oubliés… » Rappelons d’ailleurs que déjà, lors de sa sortie aux États-Unis en 1940, le titre du livre avait été modifié pour devenir Et soudain il n’en restait plus.

De quoi se demander, avec tout cela, si Agatha Christie est encore l’auteur de ses propres romans…

Source : Le Figaro et The Sunday Telegraph

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