jeudi 9 septembre 2021

Chine — Xi Jinping s’impose dans les programmes scolaires pour consolider son pouvoir

Le dirigeant chinois veut formater la pensée des élèves avant le congrès de 2022, mais le projet n’est pas sans risques.

Rentrée austère pour les écoliers chinois. Désormais privés de jeux vidéo pendant la semaine, les élèves vont devoir en plus potasser la « pensée de Xi Jinping ». L’apprentissage des doctes paroles du président chinois est désormais obligatoire dès l’école primaire, dès cette rentrée.  

« Cher camarade, tu es prié d’apprendre par cœur les phrases d’or de grand-père Xi Jinping, qui sont pleines de sens profond et méritent d’être savourées » annonce l’introduction d’un nouveau manuel destiné aux élèves de 10 ans, truffé de photos du président, et que Le Figaro s’est empressé de commander. Xi gagne ici un nouveau surnom affectueux, pour mieux amadouer les écoliers, relève espérée du Parti communiste chinois (PCC) qui a fêté son centenaire en fanfare le 1er juillet. Dès la première page, le grand homme trône en costume Mao martial à la tribune de la place Tiananmen, saluant la foule d’un sourire débonnaire.

« La pensée de Xi Jinping sur le socialisme aux caractéristiques chinoises » a été ajoutée aux programmes des écoles primaires, et du secondaire à raison d’une session par semaine pour les classes concernées, a annoncé le ministère de l’Éducation, le 24 août. Une nouvelle relayée mezza voce par les médias officiels, comme si cette nouvelle étape dans l’établissement d’un culte de la personnalité risquait de froisser certains parents dont la plupart découvriront cette nouveauté dans les prochains jours. Les élèves doivent « consciencieusement étudier la pensée de Xi pour maîtriser la vérité et écrire un chapitre glorieux de la lutte incessante pour le bien du peuple », explique un manuel destiné aux collégiens. Cette réforme vise à « mouler l’âme des jeunes élèves », a justifié Gu Yuehua, vice-directrice pour l’éducation de la prospère province du Jiangsu.

Depuis son arrivée au pouvoir en 2013, la « patrie » est entrée dans une « nouvelle ère » de renaissance, expliquent les manuels. Après avoir mis en valeur le « rêve » chinois, slogan du président, le deuxième chapitre rappelle que « le Parti est la clé du succès de la Chine », pilier central de la vision de Xi. Bien sûr, le pays est une « démocratie », mais la priorité est « la sécurité nationale », explique le manuel, et chaque citoyen doit se mobiliser pour la défendre au quotidien, dans un contexte d’affrontement stratégique sans merci avec les États-Unis. Les écoliers sont ainsi appelés à pointer du doigt les traîtres, à l’image des volontaires de quartier qui quadrillent le district de Xicheng à Pékin pour dénoncer les comportements suspects.

Il s’agit d’un nouveau seuil franchi dans la personnalisation du pouvoir en Chine, un an avant le crucial congrès du Parti de 2022 qui doit propulser le dirigeant de 68 ans vers un troisième mandat sans ­partage, à l’encontre des règles ­suivies par ses prédécesseurs. « Tout converge vers la préparation du congrès. L’entrée dans les manuels vise à imposer un autoritarisme personnel », décrypte un universitaire pékinois, qui souhaite garder l’anonymat.

À l’heure de la Révolution culturelle, les jeunes Chinois avaient dû apprendre par cœur les citations du Petit Livre rouge de Mao, et depuis la répression de Tiananmen, ils ont droit à d’énergiques cours « d’éducation patriotique » mais aucun successeur du « Grand Timonier », de Deng Xiaoping à Hu Jintao, n’avait osé s’imposer dans le corpus obligatoire des écoles du pays le plus peuplé du monde. 

« Xi est le premier leader depuis Mao à utiliser sa propre image pour imposer son pouvoir » juge Rana Mitter, sinologue à l’université d’Oxford.

« La pensée de Xi Jinping sur le socialisme » a été intégrée dans la Constitution en 2018 à l’issue du précédent congrès, et est devenue omniprésente dans les discours des officiels et dans les institutions, les cadres étant appelés à l’étudier assidûment. Dix-huit centres de recherche consacrés à l’étude de ce texte ont été récemment fondés couvrant l’ensemble des sujets stratégiques allant de la diplomatie à l’écologie, accentuant l’omniprésence de ce « prince rouge », fils d’un compagnon de route de Mao.

Après avoir imposé sa ligne au sein du Parti lors de son premier mandat, Xi affiche son objectif de reprise en main idéologique sur l’ensemble de la société, et sur le long terme. L’université mise au pas, Xi s’attaque aux écoles secondaires et primaires. « Il s’agit d’une campagne de “rectification” de l’éducation, avec pour objectif de créer des masses vouées au système », juge Alex Payette, fondateur du cabinet d’analyses Cercius. Une supervision accrue du secteur de l’éducation est entrée en vigueur le 1er septembre, pour s’assurer que la ligne du Parti est enseignée correctement dans les classes.

Sans surprise, aucune critique directe n’a filtré, depuis l’annonce de la réforme, dans un pays cadenassé par la censure. Mais l’entrée de Xi dans les écoles n’est pas sans risque pour le dirigeant, dans une Chine toujours hantée par les drames de l’ère maoïste. Les parents sont d’abord préoccupés par le succès de leur rejeton dans un contexte socio-économique qui s’assombrit. « Ils préfèrent que leur enfant étudie les maths que l’idéologie. L’éducation patriotique a été un succès, mais s’affirmer fier d’être chinois ne signifie pas qu’on veut se ranger au garde-à-vous derrière une personne. Cela pourrait être contreproductif », pointe William Callahan, spécialiste de l’éducation en Chine à la London School of Economics.

L’interdiction des jeux vidéo pour les mineurs en semaine, et limitée à une heure le week-end, décrété fin août s’inscrit également dans une reprise en main des esprits sans précédent depuis des décennies. « Xi veut imposer un culte de la personnalité, mais la société a changé », pointe Alex Payette, qui prédit des retours de bâton.

Source : Le Figaro

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