dimanche 7 février 2010

Manifeste de l'Université-État

Carl Bergeron revient aussi sur le prêchi-prêcha du très prévisible Manifeste pour un Québec pluraliste.

Les intertitres sont de nous.
« Profond ennui devant une autre production de l'Université-État

Je dois admettre que j’ai rarement été plus démotivé qu’aujourd’hui à écrire un éditorial. Le Manifeste pour un Québec pluraliste suscite en moi un ennui prodigieux, et le commenter équivaut à commenter de nouveau ce qui a déjà été dit des dizaines de fois dans d’autres textes par les mêmes intellectuels-experts. Et pourtant, ce « manifeste » doit être commenté, en ce qu’il est représentatif d’une paralysie intellectuelle et politique qui éloigne chaque jour un peu plus le Québec de lui-même. Le Manifeste pour un Québec pluraliste n’est pas plus divertissant pour l’intellect que la « Politique nationale contre l’homophobie » ou que tout autre document gouvernemental destiné à asseoir le pouvoir de l’État thérapeutique. C’est, littéralement, un produit gouvernemental, ou de ce que j’ai appelé ailleurs « l’Université-État ». Le pouvoir intellectuel y donne le spectacle d’intellectuels qui ont renoncé à la souveraineté individuelle de l’intelligence, dans une logique de préservation systémique, fondée sur la seule appartenance de caste.
Le manifeste, signe du panurgisme des experts cooptés

Que ces intellectuels aient accepté de signer un manifeste pour communiquer leur « pensée » est déjà un signe de faillite intellectuelle. On ne signe pas un manifeste pour exprimer une pensée, laquelle est toujours de nature individuelle, mais pour manifester une appartenance à un pouvoir de groupe. C’est ce qu’ont fait les quelque 500 signataires de ce Manifeste pour un Québec pluraliste, parmi lesquels on retrouve surtout des universitaires, ou d’ex-universitaires vouant une fidélité de principe à leurs anciens mentors. Un rapide coup d’œil suffit pour repérer des auxiliaires de recherche en attente d’un renouvellement de contrat, des doctorants dans une position précaire, des disciples inaccomplis, des « citoyens concernés », des « activistes », et même une « citoyenne du monde et immigrante permanente » : toute la piétaille universitaire et la sous-piétaille militante y défile, sous le drapeau involontairement comique du « pluralisme ». C’est sans compter, naturellement, les signatures « fondatrices », dont celles de Jean-Pierre Proulx, Louis Rousseau et Georges Leroux ; des idéologues pro-ECR qui, comme nous le savons, sont tout à fait désintéressés dans cette affaire. Il va de soi qu’on retrouve également, parmi les signataires, les « experts » qui furent associés de près à la Commission Bouchard-Taylor, comme Daniel Weinstock, Marie McAndrew, Jocelyn Maclure et Maryse Potvin. Ce manifeste est le cri de ralliement d’une clique à ce point aveuglée par son idéologie qu’elle ose prendre pour un « acte citoyen courageux » ce qui n’est, au fond, que la manifestation la plus basse, la plus prévisible, de l’instinct grégaire.

Ne pas se rallier peut coûter cher en termes de réputation

C’est simple : ceux qui se rallient voient leur position renforcée dans le système ; ceux qui s’abstiennent voient leur position inchangée mais voilée d’un nuage de méfiance ; tandis que ceux qui s’opposent voient leur position affaiblie, sinon carrément compromise, selon le statut qu’ils occupent au sein du réseau universitaire. Le professeur titulaire opposant demeurera professeur titulaire, mais essuyera des calomnies, tout comme le doctorant en attente d’une ouverture de poste, qui demeurera pour très longtemps un doctorant en attente d’une ouverture de poste…

[...]

Prétendre rassembler des courants divers par ce manifeste est risible

Quand les « porte-paroles » du Manifeste, comme Weinstock, vont dire sur toutes les tribunes leur « fierté » de « rassembler » des gens de « différentes tendances politiques » et de « différents milieux » , on se tord de rire. Tous ces gens-là se fréquentent de près ou de loin, se croisent dans les mêmes lancements, les mêmes colloques, publient dans les mêmes revues, touchent les mêmes subventions, lisent les mêmes livres et régurgitent dans leurs articles la même vulgate pieusement reprise depuis des années. Pas étonnant, avec une individualité aussi horizontale, qu’ils n’aient pas hésité à fondre leur signature personnelle dans une signature collective.

Contenu intellectuel peu important : il s'agit de stigmatiser les critiques

Le contenu intellectuel du Manifeste est difficile à cerner et à apprécier, tant ce texte est motivé par des intérêts bien davantage idéologiques que philosophiques. Il cherche moins à éclairer la situation présente qu’à identifier et à diaboliser la critique, et ainsi se poser comme la norme démocratique irréfutable sans laquelle aucun débat véritablement « démocratique » ne saurait avoir lieu. C’est le « dialogue » tel que l’entendent les multiculturalistes. On le comprend rapidement dès le début, lorsque les signataires écrivent : « Une vision ouverte et pluraliste de la société québécoise subit les foudres conjuguées de deux courants en rupture avec les grandes orientations du Québec moderne. D’un côté, une vision nationaliste conservatrice voit le Québec d’aujourd’hui comme ayant trop concédé à la diversité culturelle. [...] De l’autre côté, une vision stricte de la laïcité récuse les manifestations religieuses ostentatoires dans la sphère publique. [...] Ces deux courants, a priori différents, se rejoignent d’abord dans une même attitude d’intransigeance envers les minorités ».

Critiquer les multiculturalistes, c'est une grave dérive selon ces mêmes multicultis

Critiquer le multiculturalisme équivaudrait à une « dérive ». Que ce soit par le défense dite « intégriste » de la laïcité, ou par la défense dite « crispée » d’un « patrimoine historique » fantasmé et affectivement surinvesti, la critique du multiculturalisme se nourrirait de passions malsaines. La « vieille gauche » social-démocrate, qui n’a pas pris le train de la modernité multiculturaliste, serait coupable de s’être laissée contaminer par l’intolérance des « conservateurs identitaires ». Appelée à revenir à la raison, elle est menacée, si elle poursuit sur sa lancée, d’être étiquetée à « droite », autant dire d’être bannie de l’espace public.

[...]

Ce sont de faux pluralistes, des imposteurs

On aura remarqué que les signataires ne se désignent pas comme des multi­cultu­ra­listes, mais comme des « pluralistes », ou à tout prendre comme des « inter­cul­tu­ra­listes », dans la mesure où ils disent vouloir favoriser les « rapports interculturels ». Or, ces faux «  pluralistes » n’ont pas davantage quoi que ce soit à voir avec l’authentique pluralisme politique qu’avec la démocratie libérale, dont ils se réclament par ailleurs dans leur défense orientée des chartes des droits. Leur « pluralisme » est une imposture rhétorique qui débouche sur un programme de dévaluation du demos, et parallèlement sur un programme de célébration du bios minoritaire.

[Note du carnet : de véritables pluralistes ne viseraient pas à imposer à tous un programme comme le cours ECR, ils tolèreraient le choix et la diversité dans ce domaine.]

Pour ces doctrinaires, l'identité majoritaire est seule odieuse

Ces authentiques doctrinaires suggèrent que « l’identité », qui serait condamnable comme expression d’une majorité, deviendrait soudain admirable en tant qu’expression d’une « minorité », laquelle peut être « culturelle » ou « sexuelle ». Il y aurait d’une part un « conservatisme identitaire », inhérent à la majorité, et d’autre part un « progressisme identitaire », qui se confondrait avec une défense du multiculturalisme. Le « nationalisme ou le prosélytisme des minorités » n’est jamais présenté sous un angle « identitaire », vous l’aurez remarqué, car « identitaire » est un mot honni et nauséabond. Les sophistes multiculturalistes préfèrent camoufler « l’identitaire » des « minorités » sous les oripeaux commodes de la « différence ». C’est plus chic, et ça sent plus bon.

La différence sacralisée, l'assimilation devient scandaleuse

La « différence » sacralisée, l’assimilation des immigrés se transforme en un scandale moral : « La position pluraliste considère que les membres des minorités ne doivent pas être victimes de discrimination ni d’exclusion sur la base de leur différence, et l’intégration des immigrants à la société québécoise ne doit pas exiger une assimilation pure et simple. Si l’immigrant doit s’efforcer de s’intégrer à la société d’accueil et de respecter ses lois et ses institutions, cette dernière doit veiller à lever les obstacles à son intégration. Le devoir d’adaptation est réciproque. » Ce passage n’a aucun sens. Les immigrés sont donc encouragés à cultiver leur présumée « différence identitaire » et à n’intégrer l’espace public que sous la forme de l’attribut biologique ou religieux, les deux pôles de négation de la parole politique, en même temps que la majorité de la société d’accueil se voit accusée de « discriminer » les « minorités » sur la base de leur « différence ». Que comprendre à cela ? L’assimilation des immigrés n’est-elle pas le meilleur moyen d’éviter la « discrimination » et « l’exclusion » ?

[...]

Nombrilisme philosophique

« Les critiques du pluralisme [lire : multiculturalisme], écrivent-ils, l’accusent souvent de rompre avec la trajectoire historique du Québec. Mais ce sont plutôt les tenants d’une laïcité stricte et d’un nationalisme identitaire conservateur qui choisissent la voie de la rupture. »

Pour les idéologues du socialisme multiculturaliste, il n’y aura toujours qu’un sens de l’Histoire : le leur. »

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