dimanche 9 septembre 2018

ECR : le temps de l’abolition est venu

Pour Mathieu Bock-Coté (texte ci-dessous) le temps de l’abolition du programme d’éthique et de culture religieuse (ECR) est venu. Un seul bémol, il faudrait savoir ce que contiendrait le cours proposé pour le remplacer. La France a depuis longtemps des cours d’éducation civique souvent critiqués y compris par la gauche bien-pensante incarnée par Médiapart. Pour le philosophe de l’éducation Jean-Claude Michéa y voit ainsi, au lieu d’une « instruction civique effective », « une forme quelconque d’éducation citoyenne, bouillie conceptuelle d’autant plus facile à répandre qu’elle ne fera, en somme, que redoubler le discours dominant des médias et du showbiz, [sous forme de] forums de discussion (conçus, cela va de soi, sur le modèle des talk-shows télévisés) » [1]

Il était temps que la question identitaire prenne sa place dans une campagne qui avait jusqu’à alors des allures d’élections municipales. Et il serait maintenant temps d’aborder le cours Éthique et culture religieuse, que la CAQ a déjà dit vouloir réformer, et que le PQ entend abolir, comme vient de nous le rappeler Jean-François Lisée dans une lettre importante rappelant ses engagements nationalistes.


Cela fait plusieurs années maintenant qu’on parle d’ECR. Si on prend la peine de lire sur l’histoire de ce cours, on comprendra que ses principaux théoriciens l’ont pensé comme une thérapie pour ouvrir une société québécoise qu’ils jugeaient à tort maladivement fermée et hostile à la différence. Il s’agissait, dès l’origine, d’un cours visant à fragiliser l’identité québécoise en inculquant une nouvelle vision du monde à la jeunesse. Autrement dit, il fallait la déconstruire pour la reconstruire sur de nouvelles bases.

Depuis quelques années, la mission politique d’ECR est devenue encore plus claire. On s’en souvient, en 2007-2008, le Québec a traversé la crise des accommodements raisonnables. Dans ce cadre, les Québécois ont fait le procès du multiculturalisme qui inverse le devoir d’intégration et les condamne à devenir étrangers chez eux. Depuis, la question identitaire s’est installée dans le paysage politique — c’est elle qui suscite les passions, désormais. Ce n’est pas surprenant : partout en Occident, elle est présente.

Mais cette critique a été très mal prise par les tenants du multiculturalisme qui y virent une flambée d’intolérance. Pour eux, ECR devait servir à réformer les mentalités québécoises et prévenir toute future crise du même genre. À défaut de convaincre les adultes des vertus du multiculturalisme, ses partisans se sont tournés vers les enfants. On peut y voir une entreprise de rééducation identitaire autoritaire menée par ceux qui veulent convertir de force le peuple québécois au multiculturalisme.

Car contrairement à ce que laissent croire ses partisans, il ne s’agit pas d’un cours visant à transmettre des connaissances sur les religions. Il s’agit d’un cours visant à convertir la jeune génération à l’idéologie des accommodements raisonnables, et fondamentalement, à développer un réflexe hostile à l’endroit du nationalisme, qu’on accusera de crispation identitaire, et même de racisme. ECR entend graver une alternative dans la tête des élèves : soit vous êtes multiculturaliste, soit vous êtes raciste.


Parlons directement : il s’agit de propagande dans le cadre scolaire. Certes, on peut trouver des professeurs qui l’enseignent d’une telle manière qu’ils proposent aux élèves une matière valable. Mais sur le fond des choses, au nom de la « diversité », il s’agit de normaliser tous les signes religieux, quels qu’ils soient, même le voile intégral, c’est-à-dire le niqab. Il s’agit de programmer l’esprit des élèves pour qu’ils jugent inconcevable la critique de tels symboles. Il faut abolir tout sens critique chez eux pour qu’ils soient paralysés dès qu’on parle « d’ouverture à l’autre ». Si jamais ils ressentaient néanmoins un malaise devant le multiculturalisme, ils devraient alors en avoir honte, en s’accusant de leur ouverture insuffisante. La philosophie diversitaire programme un réflexe culpabilisant dans la population, qui doit s’en vouloir lorsqu’elle réagit négativement à l’idée de sa conversion forcée au multiculturalisme.

Plus fondamentalement, il s’agit de disqualifier une toute conception de la culture québécoise d’abord ancrée dans l’expérience de la majorité historique francophone.

Je suis un indépendantiste convaincu. Mais si on me proposait d’inculquer mes idées politiques aux enfants à l’école, je n’y opposerais. Tout comme il faudrait s’opposer à ce que l’école enseigne le fédéralisme, le socialisme ou le conservatisme. L’école ne doit pas endoctriner les enfants, mais leur transmettre un patrimoine de civilisation, une culture, des connaissances.

[Note du carnet : nous pensons qu’il est impossible d’enseigner en toute « neutralité » des faits sociaux ou moraux. On fera toujours des choix dans la transmission de connaissances, d’une culture, d’une civilisation. On occultera des faits, on mettra en avant des événements, on fera ressortir inévitablement certaines œuvres et figures de proue plutôt que d’autres. Tout cela en fonction d'une grille de lecture qui ne peut être absolument neutre. Ce qui est vrai, cependant, c’est que l’État (distinct de l’école qui peut être libre) doit éviter de trop prendre parti et de minimiser cet endoctrinement a fortiori quand une forte minorité des gens s’y oppose. Ce qui fut le cas pour ECR. Les programmes d’éducation gouvernementaux doivent donc être laconiques, s’abstenir de juger et de donner trop de détails sur la façon de donner un cours en prenant position, par exemple, pour la diversité ethnique ou religieuse comme valeur à privilégier. C’est aussi une raison pour défendre la liberté pédagogique des écoles : plus les écoles sont libres, plus elles s’opposeront efficacement à des politiciens qui pourraient être tentés de corriger les problèmes sociétaux qu’ils voient dans l’électorat « populiste » grâce à une école qui éduque la prochaine génération d’électeurs.]

ECR fait exactement le contraire. Il instrumentalise la pédagogie au service de l’idéologie pour fabriquer un nouveau peuple qui ne déplaira plus aux idéologues multiculturalistes.

Jean-François Lisée a raison : l’heure est venue de l’abolir.




[1] Jean-Claude Michéa, L’Enseignement de l’ignorance et ses conditions modernes, Climats, 1999, 110 pages. (ISBN 978-2082131230).


Voir aussi

ECR — Ouverture au dialogue ou pédagogie du conflit pour ébranler l’identité de l’enfant et introduire une dissonance ?

ECR — Dix ans plus tard, le ministère considère corriger les manuels qu’il a pourtant approuvés

Dix ans plus tard, Sophie Durocher découvre que la valorisation de la « diversité » relativise ses valeurs « laïques » (ce n’était pas grave tant que c’était les valeurs des catholiques réactionnaires, voir comment son mari saluait l’arrivée du cours d’ECR devant Mme Morse-Chevrier en 2008) :

Le pire exemple : dans une mise en situation intitulée « La collation », on rencontre Kamila et Laurence. Le ventre de Kamila gargouille et Laurence lui propose de partager sa collation. Kamila refuse. « Je ne mange pas parce que c’est le ramadan » explique Kamila. Pendant un mois, il est interdit de manger pendant la journée, il faut attendre le coucher du soleil. Quand Laurence apprend que le ramadan dure un mois, elle s’écrie : « C’est terrible. Tes parents t’imposent cela ? Moi, je t’assure que personne ne pourrait m’obliger à faire une chose pareille ».

Et Kamila lui répond : « Ne t’inquiète pas. Je le fais au nom de ma foi et je suis très heureuse de le faire. »

On nous prend pour qui ? Qu’une ado parle de sa foi et affirme que cela la rend heureuse de jeûner alors qu’elle est en pleine croissance, on veut faire croire aux enfants que c’est normal, anodin ? Il y a des enfants allergiques au gluten et d’autres qui jeûnent pendant un mois à cause de « leur foi » ?

Mais attendez, ce n’est pas tout. Les élèves doivent répondre à un certain nombre de questions, après avoir lu l’histoire de la collation.

« La réaction de Laurence à l’égard de la diversité est-elle appropriée ? ». [note du carnet : ce genre de questions n’est pas rare dans les manuels ECR]

Tu parles d’une question piège !

C’est approprié ou pas de critiquer une religion (ou une manifestation d’une religion) ?

Imaginez un enfant qui déclare que la réaction de Laurence est tout à fait appropriée et qu’elle aurait même pu aller plus loin ?

Comment sa réponse sera-t-elle vue par le bienveillant prof d’ECR ?

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