dimanche 24 mars 2013

Études sur la réforme pédagogique : « plus de mal que de bien », portrait sombre

Au début 2012, les chercheurs Jean-François Cardin et Érick Falardeau de l’Université Laval ont interrogé 427 enseignants du primaire et du secondaire pour savoir ce qu'ils pensaient de la réforme, rebaptisée «renouveau pédagogique» en cours de route.

Les objectifs des États généraux

Les enseignants interrogés dressent un portrait sombre de la réforme. Elle n’aurait pas permis aux élèves de mieux réussir alors qu'il s'agissait pourtant de l'un des objectifs centraux de ce vaste bouleversement pédagogique. Au milieu des années 1990, les États généraux de l’éducation avaient fait consensus sur l’importance de mettre l’accent sur les matières de base (français, anglais, mathématiques, histoire et sciences) et d’être plus exigeants, tout en se donnant les moyens d’y parvenir. L’enseignant restait maître du choix de ses méthodes. Ce n’est pas ce qui est arrivé.

Sujet sensible

Le sujet est toujours sensible. Plusieurs commissions scolaires ont demandé à leurs enseignants de ne pas participer à l’enquête. Malgré cela, l’échantillon de répondants obtenu est suffisamment ample pour que les résultats de l’étude soient significatifs et «valables sur le plan méthodologique».
Selon Jean-François Cardin, « On pense que ces résultats sont très représentatifs du portrait global. Et le sentiment général n'est pas très positif. Les enseignants sont en désaccord avec tous les énoncés qui affirment qu'ils ont été capables d'améliorer les résultats de leurs élèves ».

Résultats très négatifs auprès des enseignants

Au primaire, les enseignants ont répondu non dans les proportions entre guillemets à des questions visant à savoir si les enfants étaient maintenant en mesure de mieux apprendre (69 %), mieux réussir (72 %), plus motivés (69 %), plus disciplinés (88 %) et plus autonomes (69 %). Le jugement est encore plus sévère chez les enseignants du secondaire, puisqu'ils sont en désaccord avec les affirmations précédentes dans une proportion qui dépasse souvent les 80 %. Cette réforme prétendait aussi, souvenons-nous, aider particulièrement les élèves en difficulté. Les enseignants estiment, dans une proportion de 81 %, qu’elle n’améliore pas la réussite des plus faibles.

Les chercheurs ne sont pas étonnés par ces résultats puisque, au départ, le renouveau pédagogique a été davantage conçu pour le primaire, où l'organisation de la classe permet davantage de souplesse.

Au secondaire, on a tenté d'adapter les mêmes modèles d'enseignement – travail d'équipe, pédagogie par projet, transversalité – sans toutefois changer la structure des classes, qui sont toujours dirigées par des enseignants spécialistes, expliquent-ils.

Les enseignants ne croient pas non plus que l'intégration des élèves en difficulté dans les classes régulières a été un succès. Au contraire, 75 % considèrent que cette intégration a fait fuir les élèves plus forts vers le réseau privé ou les programmes d'éducation internationale du réseau public (83 %), alors que 68 % estiment que cette intégration n'a pas permis aux élèves faibles de s'améliorer. Selon les éducateurs interrogés, «l'intégration n'a aidé personne», résume M. Falardeau.

Concernant la maîtrise du français, les réponses ne sont guère plus reluisantes. Les enseignants interrogés considèrent que depuis la réforme, les élèves ne maîtrisent pas mieux la lecture (66 %), l'orthographe et la grammaire (77 %) de même que l'écriture (58 %). Seule note positive au tableau, 61 % des instituteurs estiment que les élèves sont meilleurs en communication orale.

Un détournement

Pour l’ancien ministre Joseph Facal, « c’est l’histoire d’un détournement. J’ai écrit des centaines de pages là-dessus. Des fois, on est triste d’avoir raison. Petite misère… »

Constat confirmé par une autre équipe

Simon Larose, professeur-chercheur à l'Université Laval dirige une équipe ayant reçu le mandat d'évaluer les retombées de la réforme scolaire. Cette enquête nommée projet ERES (Évaluation du renouveau à l'enseignement secondaire) représente l'évaluation de la réforme la plus importante menée à ce jour par une équipe de chercheurs. Elle y travaille depuis cinq ans.

Même si Simon Larose évoque quelques réserves sur le plan méthodologique de l’étude de Jean-François Cardin et Érick Falardeau – notamment sur le nombre d'enseignants interrogés par ses collègues – il considère, cependant, que ce « portrait assez sombre » dressé par les enseignants concorde avec ce qu'on observe aussi chez les élèves et les parents interrogés par sa propre équipe de recherche.

Ce constat ne repose pas seulement sur des perceptions, mais aussi sur les résultats des élèves aux examens ministériels, ajoute M. Larose, dont les travaux permettent de comparer une cohorte de jeunes n'ayant pas été exposés au renouveau pédagogique avec deux autres cohortes d'élèves de la réforme. Enfin, pour autant que les examens ministériels ou leur barème de correction n’aient pas changé…

« Plus de mal que de bien »

M. Larose promet que les résultats d’une étude qui sera publiée sous peu démontreront que les résultats des élèves en difficulté sont loin de s'être améliorés, alors que la réforme avait pour principal objectif de faire réussir un plus grand nombre de jeunes. « On est en train de faire plus de mal que de bien », résume le chercheur.



Réactions pires dans les écoles ayant le plus mis en œuvre la réforme

Pour la présidente de l'Association québécoise des professeurs de français, Suzanne Richard, tient à apporter quelques bémols à l'étude menée par Érick Falardeau et Jean-François Cardin. Si la réforme n'a pas donné les résultats espérés, c'est peut-être parce qu'elle n'a pas été véritablement mise en œuvre dans les salles de classe, avance-t-elle.

M. Larose écarte cette hypothèse. En effet, dans les écoles où les directions affirment avoir implanté la réforme, les perceptions des parents et des élèves sont encore pires qu'ailleurs: « Ça ne donne pas des munitions à ceux qui pensent qu'une implantation plus avancée donnerait de meilleurs résultats », avance le chercheur.

Pour l'instant, la seule étude qui ait permis de documenter concrètement comment le français est enseigné au secondaire est celle réalisée par Suzanne-G. Chartrand, didacticienne du français à l'Université Laval. Cette enquête conclut que depuis 25 ans, l'enseignement du français a peu changé, malgré la réforme.

Forte chute en lecture entre 2007 et 2010

Rappelons que dans une étude récente du Programme pancanadien d’évaluation (PPCE) indiquait une très forte chute des résultats en lecture pour les élèves québécois francophones entre 2007 et 2010.

Le français, la légère exception ?

«Parmi tous les effets négatifs de la réforme, il y a une exception : le français.» L'équipe de Simon Larose, professeur-chercheur à l'Université Laval, a scruté à la loupe les résultats à l'épreuve ministérielle de français de cinquième secondaire, en comparant les élèves d'avant la réforme à ceux qui y ont été plongés. Verdict : les jeunes réussissent un peu mieux en grammaire et en orthographe, notamment les élèves en difficulté. Quelqu'un peut-il suggérer à M. Larose qu'une partie de l'explication de ce phénomène se trouve peut-être dans le fait que le Monopole d'Éducation a changé à l'époque la facture et l’évaluation de cet examen ?

«Il y a eu de modestes gains en français pour les élèves à risque depuis la réforme. Ça va un peu à l'encontre de ce que les enseignants rapportent», affirme M. Larose. Le seul déclin observé chez les élèves concerne leurs capacités d'argumentation à l'écrit. Il y a toujours une forte proportion de jeunes qui réussissent ce volet de l'examen, mais le nombre d'élèves qui obtiennent des notes élevées a diminué avec la réforme.

Coût de la réforme ?

« À la lecture de ces réponses, on peut se demander : tout ça pour ça ?, lance M. Falardeau. On n'arrivera probablement jamais à mettre un coût sur l'implantation de la réforme, mais peu importe combien ça a coûté, les profs disent que ça ne marche pas. »

Voir aussi

Polémique autour d'un examen de français au rabais

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Très forte chute des résultats en lecture pour les élèves québécois francophones entre 2007 et 2010 

Le constructivisme radical ou comment bâtir une réforme de l'éducation sur du sable

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