samedi 13 février 2021

Ancien ministre : l'expertise au ministère de l'Éducation est surtout idéologique

Extrait d’un article sur le ministre de l’Éducation (le Monopole) du Québec :

Ces deux anciens ministres [anonymes] font toutefois un constat commun : la machine administrative au ministère de l’Éducation est particulièrement résistante aux changements. Les meilleurs fonctionnaires, dit l’un d’eux, sont aux Finances et au Conseil du Trésor, où l’expertise est impérative. Il ajoute qu’à l’Éducation, c’est plutôt une expertise idéologique, et ces idéologues pensent qu’ils savent tout.

Source : SRC


 

Mario Dumont avait déjà déclaré lors d’une réunion en 2008 que le Ministère de l’Éducation était un État dans l’État. À la même époque, alors qu’il s’opposait au cours d’éthique et de culture religieuse  comme manifestation du multiculturalisme, il avait déclaré à Granby que ce programme était un « produit dérivé des dérapages bureaucratiques » orchestrés par les bureaucrates du ministère de l’Éducation. »

Comment se fait-il que la bureaucratie semble toujours grossir ? 

Max Weber avait une vision particulière sur la chose.

Le terme de bureaucratie est apparu au XVIIIe siècle et, dès l’origine, il eut une signification plutôt péjorative : l’influence excessive, abusive ou usurpée des bureaux de l’administration sur le cours ordinaire des choses. Il désignait donc d’emblée une manière de déprécier l’organisation administratrice moderne, une plaie de notre société, sans que l’on se soit donné la peine d’expliquer ou de comprendre le phénomène et sans se demander pourquoi il est apparu dans la société moderne. Aussi assiste-t-on durant le XIXe siècle à une kyrielle de dénonciations de la bureaucratie…

L’essor du marxisme n’a fait que renforcer le préjugé contre la bureaucratie. En effet, Marx la considérait comme un des moyens dont use l’État pour opprimer les hommes, au même titre que la police, l’armée ou l’organisation judiciaire.

Notons à ce stade que nous ne pensons pas que l’éducation dirigée par l’État soit nécessairement un domaine où l’efficacité centralisée aille de soi (les écoles publiques coûtent cher aux parents et aux contribuables). En outre, l’efficacité ne doit pas primer aux dépens d’une instruction de qualité qui respecte les choix légitimes des parents.  Voir Les preuves s’accumulent : la présence d’écoles privées profite à tous, Les règles imposées par l’État à l’école privée sont responsables de la sélection pratiquée et Les causes de la « Révolution tranquille » en matière d’éducation, ses conséquences

Depuis le XIXe siècle, voire plus tôt, l’idée selon laquelle une économie de marché s’oppose à un gouvernement dirigiste a été utilisée pour justifier des politiques économiques de laissez-faire conçues pour réduire le rôle de ce gouvernement. Et pourtant les politiques dites libérales ne semblent jamais avoir de réels effets sur la taille de la bureaucratie. C’est ainsi que le libéralisme anglais n’a pas conduit à une réduction de la bureaucratie étatique. Au contraire, on a vu apparaître des panoplies entières de juristes, de greffiers, d’inspecteurs, de notaires et de policiers dont le rôle (réel ou annoncé) est de rendre possible la vision libérale d’un monde tissé par des individus autonomes qui concluent librement des contrats entre eux. Il ne fait aucun doute que le maintien d’une économie de marché moderne nécessite mille fois plus de paperasse qu’une monarchie comme celle du Grand Siècle de Louis XIV.

Selon une école de pensée, la développement de la bureaucratie obéit à une logique interne perverse, mais incontournable. L’argument est le suivant : si vous créez une structure bureaucratique pour traiter un problème, cette structure finira invariablement par créer d’autres problèmes qui paraîtront, eux aussi, ne pouvoir être résolus que par des moyens bureaucratiques. On créera par exemple une couche bureaucratique supplémentaire pour s’attaquer à l’excès de bureaucratie.

Une version légèrement différente de l’argument consiste à dire que, une fois une administration créée, elle cherchera immédiatement à se rendre indispensable à quiconque tentera d’exercer le pouvoir, peu importe ce qu’il souhaite en faire. Le principal moyen d’y parvenir est toujours d’essayer de monopoliser l’accès à certains types d’informations clés.

Comme le grand sociologue allemand du début du XXe siècle Max Weber l’écrivait : « Toute bureaucratie cherche à accroître la supériorité de ses membres en gardant secrètes leurs connaissances et leurs intentions […] L’administration bureaucratique tend à être une administration qui exclut la publicité. La bureaucratie dérobe à la critique, autant que possible, son savoir et ses agissements ».

Un effet secondaire, comme Weber l’observe également, est qu’une fois qu’on crée une bureaucratie, il est presque impossible de s’en débarrasser. Les toutes premières bureaucraties que nous connaissons se trouvaient en Mésopotamie et en Égypte, et celles-ci ont continué d’exister, en grande partie inchangées, lorsqu’une dynastie ou une élite dirigeante en a remplacé une autre, pendant des milliers d’années. De même, les vagues successives d’envahisseurs n’ont pas suffi à déloger la fonction publique chinoise, avec ses bureaux, ses rapports et son système d’examen. Les mandarins sont restés fermement en place, peu importe qui revendiquait le mandat du ciel. Le seul vrai moyen de se débarrasser d’une bureaucratie établie, selon Weber, est simplement de trucider tous les bureaucrates, comme le fit Alaric le Goth dans la Rome impériale, ou Gengis Khan dans certaines parties du Moyen-Orient. Laissez en vie un nombre important de fonctionnaires et, dans quelques années, ils finiront inévitablement par gérer votre royaume…

Il ne faut pas en conclure que Max Werber considérait nécessairement la bureaucratie comme un mal.

Car une autre raison qui expliquerait que la bureaucratie s’incruste et s’accroit est qu’elle devient non seulement indispensable aux dirigeants, mais qu’elle présente aussi un véritable attrait pour ceux qu’elle administre. L’explication la plus simple de l’attrait des procédures bureaucratiques réside dans leur impersonnalité. Les relations froides, impersonnelles et bureaucratiques ressemblent beaucoup aux transactions en espèces : elles sont sans âmes, simples, prévisibles et traitent tout le monde plus ou moins de la même manière. Dans cette optique, la bureaucratie permet de traiter avec d’autres personnes sans avoir à se préoccuper de relations personnelles complexes et épuisantes à la longue.

L’une des raisons pour lesquelles Weber a pu décrire la bureaucratie comme l’incarnation même de l’efficacité rationnelle est que, dans l’Allemagne wilhelmienne, les institutions bureaucratiques fonctionnaient très bien. L’institution phare, la fierté et la joie de la fonction publique allemande, était sans doute la poste. À la fin du XIXe siècle, le service postal allemand était considéré comme l’une des grandes merveilles du monde moderne.

Le service postal a été, pour l’essentiel, l’une des premières tentatives d’appliquer au bien public des formes d’organisation militaire descendante. Historiquement, les services postaux ont pris naissance dans l’armée et les États. Ils étaient à l’origine le moyen de transmettre des rapports de terrain et des ordres sur de longues distances. Par la suite, ils permirent d’assurer la cohésion des empires conquis. D’où le célèbre passage d’Hérodote sur les messagers impériaux persans : « Rien ne parvient plus vite au but que ces messagers royaux, de tout ce qui est mortel. Voici le système qu’ont inventé les Perses : ils établissent, dit-on, sur la route à parcourir autant de relais avec hommes et chevaux qu’il y a d’étapes journalières à assurer, à raison d’un homme et d’un cheval par journée de marche. Neige, pluie, chaleur ou nuit, rien n’empêche ces hommes de couvrir avec une extrême rapidité le trajet qui leur a été assigné ; sa course achevée, le premier courrier transmet le message au second, le second au troisième et ainsi de suite : les ordres passent de main en main, comme le flambeau chez les Grecs aux fêtes d’Héphaïstos… » L’Empire romain avait un système similaire et à peu près toutes les armées fonctionnaient avec des systèmes de courrier postal jusqu’à ce que la France misa sur le télégraphe de Chappe dans la foulée de la Révolution française.

L’une des grandes innovations de l’administration du XVIIIe et surtout du XIXe siècle a été d’étendre au public ce qui était autrefois un système réservé à l’armée. Ce furent d’abord les commerces qui utilisèrent ce nouveau service postal élargi, avant qu’il ne soit adopté pour la correspondance personnelle ou politique. En peu de temps, dans de nombreux États-nations émergents d’Europe et des Amériques, la moitié du budget gouvernemental était consacrée — et plus de la moitié à la fonction publique employée — au service postal.

Timbre commémorant le service postal des Tour et Taxis (ou Tassis, le x étant bourguignon prononcé ss comme dans Bruxelles) avec leur blason qui incorpore un blaireau (tasso en italien, tassi au pluriel).

En Allemagne, on pourrait même faire valoir que la nation a été créée, plus que toute autre chose, par la poste. Sous le Saint Empire romain germanique, le droit de gérer un système de courrier postal dans les territoires impériaux avait été accordé à une famille noble originaire de Milan, connue plus tard sous le nom de barons de Tour et Taxis (un descendant de cette famille, selon la légende, aurait été l’inventeur du taximètre, c’est pourquoi les taxis ont fini par porter son nom). L’empire prussien a racheté le monopole des Tour et Taxis en 1867 et l’a utilisé comme base pour le nouveau poste national allemand.

La grande efficacité du système postal devint l’objet de fierté nationale. Et en effet, la poste allemande de la fin du XIXe siècle offrait un service inégalé, avec jusqu’à cinq voire neuf livraisons du courrier par jour dans les grandes villes. À Berlin, un vaste réseau de tubes pneumatiques livrait des lettres et des petits colis presque instantanément sur de longues distances grâce à un système d’air comprimé. Mark Twain, qui vécut brièvement à Berlin entre 1891 et 1892, fut tellement emballé par ce système qu’il composa l’un de ses seuls essais non satiriques connus, « Postal Service », juste pour célébrer sa merveilleuse efficacité. Londres et Paris avaient aussi leur poste pneumatique.

Il n’était pas non plus le seul étranger à être subjugué. Quelques mois seulement avant le déclenchement de la révolution russe, Vladimir Ilitch Lénine écrivait : « Un spirituel social-démocrate allemand des années [18]70 a dit de la poste qu’elle était un modèle d’entreprise socialiste. Rien n’est plus juste. La poste est actuellement une entreprise organisée sur le modèle du monopole capitaliste d’État. L’impérialisme transforme progressivement tous les trusts en organisations de ce type. […] Toute l’économie nationale organisée comme la poste, de façon que les techniciens, les surveillants, les comptables reçoivent, comme tous les fonctionnaires, un traitement n’excédant pas des “salaires d’ouvriers”, sous le contrôle et la direction du prolétariat armé : tel est notre but immédiat. Voilà l’État dont nous avons besoin, et sa base économique. »

Et voilà ! L’organisation de l’Union soviétique était directement calquée sur la bureaucratie et plus particulièrement sur le service postal allemand…



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