jeudi 11 juin 2020

Nouvelle traduction « antiraciste » d'Autant en emporte le vent

La couverture de la nouvelle traduction linguistiquement correcte
Cette nouvelle traduction, qui sort ce jeudi, permet de revisiter une œuvre superbe et flamboyante, mais aussi jugée par beaucoup terriblement datée et scandaleuse dans sa façon de décrire les rapports raciaux dans le Sud esclavagiste.

Hasard de calendrier : alors que le classique du cinéma Autant en emporte le vent a été retiré temporairement de HBO Max, le temps d’ajouter « de la contextualisation » politiquement correcte à ce film jugé raciste par de nombreux universitaires militants, une nouvelle traduction de l’œuvre originale de Margaret Mitchell paraît ce jeudi aux petites éditions Gallmeister.

Publiée en deux volumes (720 pages chacun), en format poche, cette nouvelle version a nécessité un an de travail et « de recherches » de la part de la traductrice Josette Chicheportiche qui a eu la difficile tâche de revisiter une œuvre superbe et flamboyante, surannée, mais considérée par certains militants comme scandaleuse dans sa façon de décrire les rapports raciaux dans le Sud esclavagiste.

Fresque intemporelle sur l’amour et la guerre, Autant en emporte le vent raconte l’histoire de Scarlett O’Hara, fille de riches propriétaires sudistes, qui va voir son monde s’effondrer avec la guerre de Sécession qui ravage le Sud. Réfugiée à Atlanta à la suite d’un chagrin d’amour, elle y croisera l’aventurier Rhett Butler, avec qui elle partagera une passion tragique...


« J’ai essayé d’avoir un style chantant »

Dans la version française éditée depuis 1939 par Gallimard, le traducteur « historique » de Margaret Mitchell, Pierre-François Caillé (1907-1979) avait choisi de faire parler les Noirs de la plantation de façon caricaturale remplaçant notamment les sons « r » par une apostrophe. Ce que la nouvelle traductrice Josette Chicheportiche a décidé d’enlever :
« On part du principe que les Noirs peuvent prononcer le “r”. Je trouve ça quand même incroyable de virer les “r” et de les remplacer par des apostrophes », a-t-elle indiqué à BFMTV. « J’ai regardé comment Maupassant ou George Sand faisaient parler les paysans et j’ai essayé d’avoir un style chantant, un peu musical dans leur façon de parler. »

Dans la version française éditée depuis 1939 par Gallimard, le traducteur « historique » de Margaret Mitchell, Pierre-François Caillé (1907-1979) avait choisi de faire parler les Noirs de la plantation en imitant l’accent antillais.
« C’est-y la bonne de vot'enfant ? Ma'ame Sca'lett, elle est t’op jeune pou' s’occuper du fils de missié Cha'les ! »,
dit ainsi un personnage noir dans la version de 1939 (page 180). Sous la plume de Josette Chicheportiche cela devient :
« C’est la nurse de vot'enfant ? Ma'ame Scarlett, l’est trop jeune pour s’occuper du seul bébé de m’sieur Charles ! »
L'original anglais est pourtant très « dialectal », très petit nègre :


Parallèlement à la sortie de la nouvelle version du roman politiquement correct, Gallimard publie également jeudi, dans sa collection de poche Folio, une nouvelle édition en deux volumes de l’unique livre de Margaret Mitchell. Les lecteurs y retrouveront la traduction de Pierre-François Caillé, mais découvriront aussi une partie de la correspondance inédite entre le traducteur français et l’écrivaine américaine décédée accidentellement en 1949.

Margaret Mitchell approuvait l’utilisation du dialecte dans la traduction française

Dans une des lettres, le traducteur de l’édition classique Pierre-François Caillé explique à la romancière Margaret Mitchell ses choix de traducteur.

« Vous remarquerez, l’omission de la consonne r caractéristique de ce langage que nous appelons souvent petit nègre. Je crois qu’il n’y avait pas d’autre façon de procéder »,  explique-t-il dans une lettre datée de décembre 1937.

« Je crois que votre traduction est la seule traduction étrangère de mon livre dans laquelle les personnages nègres parlent en dialecte », le félicite en retour la romancière.

Dans le domaine public depuis le 1er janvier

La traduction classique
« Bien qu’étant indéniablement un produit de son temps, au même titre que le roman », la traduction de Pierre-François Caillé « continue de ravir par son charme et d’impressionner par sa rigueur », soutient Gallimard qui a détenu les droits exclusifs du livre jusqu’au 1er janvier, avant que le roman tombe dans le domaine public.

Succès mondial

Le livre fut publié en juin 1936, dès Noël plus d’un million d’exemplaires était vendu. Autant en emporte le vent sera traduit en 14 langues et publié à plus de 35 millions d’exemplaires dans le monde. Il fera l’objet d’un film dès 1939, devenu lui aussi un film culte, vu par des centaines de millions de spectateurs.

Le succès exceptionnel du roman est dû à ce que pour la première fois depuis la fin de la guerre de Sécession (1865), le drame subi par les populations du Sud est décrit avec beaucoup de passion et de réalisme.

En effet, cette guerre est la Première Guerre totale qui suit la Révolution industrielle, qui multiplie de manière exponentielle les moyens de destruction ; dans un contexte de type
La traduction classique
« napoléonien », ou de guerre européenne du type XVIIe siècle, le Sud aurait pu l’emporter parce que la majorité des cadres de l’armée s’y étaient ralliés et que les sudistes, majoritairement d’origine paysanne, étaient plus habitués que ceux du Nord à la vie rurale et donc à une campagne militaire.

Or l’industrie du Nord a produit en masse des quantités énormes d’armements et d’équipements logistiques, comme les chemins de fer, qui ont submergé les armées confédérées, mal équipées ; la prise et le sac d’Atlanta, le 1er septembre 1864, anticipent les batailles de Madrid, pendant la guerre d’Espagne (1936-1939) et celles de Stalingrad et Berlin, pendant la Seconde Guerre mondiale ; les ravages subis par les États du Sud, entre septembre 1864 et la fin de la guerre en avril 1865 anticipent les destructions subies par l’Europe au cours des deux guerres mondiales.

Par la publication de ce roman, l’opinion américaine prend conscience de ce que plusieurs dizaines de millions d’Américains ont subi et que l’unité de la nation américaine s’est forgée dans une épreuve très dure, loin de l’histoire officielle.

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