vendredi 8 mars 2019

Ces prénoms qui disent l’avenir de l'Occident

Chronique d’Éric Zemmour sur les changements dans les prénoms donnés aux enfants français. À noter que le Québec donne aujourd’hui surtout des prénoms bilingues (Jacob, Jonathan) ou même anglais (William, Logan, Noah) alors qu’aucun des prénoms parmi les dix les plus donnés n’est un prénom typique français (Guillaume, Pierre, Luc, Jean, Jacques, Thierry, etc.), voir ici.

Une analyse documentée, chiffrée et précise de l’état de la société française. Un travail remarquable et hardi, qui porte un coup très rude aux partisans des dénis de réalité.

« Le prénom est un marqueur culturel. Il est partie intégrante d’un complexe sociologique, qui renvoie à des sensibilités régionales (ou nationales), à des logiques familiales, à des modèles de conduite, à des genres de vie. Par voie de conséquence, les transformations de la prénomination se présentent à nous comme un élément notable et un indicateur précis des changements vécus par une société. »

Cette phrase est de l’historien britannique John Dickinson. Elle trône en dernière page de l’introduction du nouveau livre de Jérôme Fourquet. Le directeur du département Opinion de l’Ifop s’en sert à la fois comme caution intellectuelle et bouclier médiatique. Sa découpe sociologique de la France par l’analyse des prénoms va révéler ce que dissimulent obstinément nos élites universitaires, politiques, médiatiques à un peuple de moins en moins aveugle. Fourquet s’apprête à mettre des chiffres là où d’autres avant lui ont mis des mots. Là où ceux-ci auraient dit : « La France n’est plus la France », Fourquet, ou son éditeur, le fort bien-pensant Seuil, écrit en sous-titre : « Naissance d’une nation multiple et divisée ».


Mais la France a toujours été une nation multiple et divisée. Elle ne cessa d’être le pays des guerres civiles et des guerres de Religion ; et Emmanuel Todd, que Fourquet apprécie à juste titre, nous a appris, en reprenant les travaux de Frédéric Le Play, que la France était le seul pays d’Europe, voire du monde, où se côtoyaient autant de modèles familiaux différents et concurrents. Alors, quoi de neuf sous le soleil ? Les prénoms, vous dis-je ! Même lorsque les Français se trucidaient au nom de Dieu ou du Roi, ou de la Liberté, ou de l’Égalité, même lorsqu’ils se partageaient entre catholiques ou protestants, blancs ou bleus, bleus ou rouges, catholiques ou laïques, gaullistes ou communistes, ils donnaient à leurs enfants les mêmes prénoms, tirés du calendrier des saints. Une loi édictée par Bonaparte, le 11 novembre an XI, les y obligeait et personne n’avait l’idée d’y contrevenir. Car le peuple français était resté, malgré toutes ces divisions, ce « peuple de race blanche, de religion chrétienne et de culture gréco-romaine » dont parle de Gaulle à Peyreffite, au début des années 1960.

C’est ce monde-là, cette France-là qui ont été détruits en quarante ans. Et c’est cette destruction — ou plutôt cette dislocation — que révèle l’analyse des prénoms. On comprend mieux les précautions matoises de Fourquet et de son éditeur !



Le basculement s’est fait en deux temps : d’abord, dans les années 1970, on abandonne le ciment catholique (la fameuse « morale de nos pères » dont parlait le pourtant anticlérical Ferry) avec les lois sur l’IVG, le divorce par consentement mutuel, puis, en 1982, la dépénalisation des relations homosexuelles entre un adulte et un mineur de 15 à 18 ans ; à la même époque, on autorise le regroupement familial des immigrés.

Le second temps a lieu dans les années 1990 : les socialistes suppriment la loi de Bonaparte sur les prénoms en 1993 ; les militants salafistes débarquent en France en même temps que la chaîne al-Jazeera ; les télés privatisées ouvrent en grand le robinet des séries américaines. Les classes populaires appellent leurs enfants Kevin et Cindy ; les immigrés musulmans continuent d’appeler les leurs Mohamed ; la bourgeoisie catholique est la dernière à respecter (paradoxe historique !) la loi de « l’usurpateur » Bonaparte ; la bourgeoisie mondialisée des métropoles envoie ses enfants dans les universités européennes ou américaines. En 2016, Marie représente 0,3 % des prénoms des enfants nés cette année-là ; les prénoms musulmans constituent 18,6 % de ces mêmes prénoms en 2016. Et ces 18,6 % font en vérité 50 % et plus dans d’innombrables quartiers, banlieues de métropoles, mais aussi villes moyennes, jusque dans des départements entiers comme la Seine–Saint-Denis, qui deviennent ce que l’écrivain algérien Boualem Sansal appelle « des républiques islamiques en herbe ». L’avenir est écrit dans ces chiffres. Chaque diaspora a sa stratégie d’« intégration » : 95 % des personnes ayant un nom arabo-musulman ont aussi un prénom arabo-musulman ; 75 % des Asiatiques nés en France ont un prénom français.



Autour de cette découpe par les prénoms, on retrouve toutes les divisions françaises qui sont autant de béances, économiques, sociales, sécuritaires, culturelles, scolaires, politiques. Tout l’intérêt du livre de Fourquet est de mettre ces bouleversements culturels en face des transformations économiques, sociologiques et surtout politiques qu’a connues le pays. La France des Kevin se tient chaud au Front national (comme une révolte patriotique contre leurs parents américanisés ?). La France des Mohamed a rejoint chez Mélenchon les jeunes diplômés précarisés et les ouvriers cégétistes ; elle va inexorablement lui imposer sa loi démographique. La France des « Erasmus » a fait la gloire de Macron, tandis que la France des retraités, la dernière génération à avoir connu la France d’avant, a sauvé Fillon de l’humiliation.
Bien sûr, tout cela doit être nuancé et Jérôme Fourquet le fait avec sérieux et professionnalisme ; mais les grandes tendances sont bien là. Elles se retrouvent dans toutes les démocraties occidentales et expliquent l’affrontement entre « populistes » et « progressistes ». Entre « somewhere » et « anywhere ». Le clivage droite-gauche est bien mort, et les partis politiques qui l’incarnaient aussi, car la sociologie française d’avant qui les sous-tendait a été engloutie. Macron, à la tête de son bloc libéral-élitaire, va rassembler tous ceux qui ont intérêt à ce que se poursuive ce que Fourquet appelle l’« archipélisation » de la France. Au nom d’un prétendu « rassemblement », il aggravera la dislocation du pays. Son destin politique est écrit dans les prénoms. Au nom du « vivre-ensemble », il bénira la séparation. Notre auteur s’oblige à un optimisme de bon aloi : « Les géographes définissent un archipel comme un ensemble d’îles relativement proches les unes des autres, la proximité se doublant le plus souvent d’une origine géologique commune. […] À l’image des îles d’un archipel, ces populations vivent à l’écart les unes des autres, tout en entretenant bien sûr des rapports entre elles. […] Elles partagent un certain nombre de références communes, ce qui ne serait plus le cas dans une société communautarisée. » D’avance, le pourtant socialiste François Hollande lui a répondu, en se confiant, quand il résidait à l’Élysée, à des journalistes : « Tout cela finira par une partition. »



L’Archipel français
Où allons-nous ?
par Jérôme Fourquet
publié au Seuil
à Paris,
le 7 mars 2019
384 pp.
ISBN-13 : 978-2021406023



Voir aussi

France — le prénom comme prédicteur de résultat et de filière au bac

Québec — Plus de 30 % des naissances issues d’au moins un parent né à l’étranger

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