vendredi 25 juin 2021

Éric Zemmour: «Quand Joe Biden et le pape François jouent contre les évêques américains»

Pour Éric Zemmour, la réaction du pape François à l’affaire des évêques américains témoigne une nouvelle fois du caractère profondément laïc de la tradition catholique. Alors que l’Europe fait face à la montée d’une religion mêlant pouvoir temporel et spirituel, se pose la question de la divergence de ces deux visions.

C’est une nouvelle passée presque inaperçue. La Conférence des évêques catholiques américains a voté la semaine dernière, à une large majorité, un texte sur « la signification de l’eucharistie dans la vie de l’Église » qui appelle les prêtres à refuser la communion aux politiques soutenant l’avortement. La cible visée s’appelle Joe Biden, président élu depuis peu et qui a la particularité, dans ce pays fondé par des protestants, d’être catholique, et sans doute le président le plus pratiquant depuis le baptiste Jimmy Carter. Bien sûr, cette offensive anti-avortement est à remettre d’abord dans le contexte américain où, avant les hiérarques catholiques, les évangéliques protestants ont fait depuis longtemps de la question de l’avortement un argument majeur de lutte politique, et où la Cour suprême, composée de sept catholiques sur neuf, est sommée par ces groupes de pression d’abolir la jurisprudence de leurs lointains prédécesseurs qui, en 1973, avec l’arrêt « Roe c. Wade », ont autorisé l’avortement aux États-Unis.

Mais cette affaire dépasse largement l’Amérique. D’abord parce que le pape François n’est pas d’accord avec la hiérarchie ecclésiastique américaine et l’avait exhortée au contraire à la plus grande retenue concernant « la situation des responsables catholiques en faveur de la légalisation de l’avortement, de l’euthanasie, ou d’autres préjudices moraux ». Le pape François s’entend fort bien avec Biden : ils sont sur tous les sujets sur la même ligne… de gauche. François s’oppose ainsi à nombre de ses prédécesseurs qui n’avaient jamais hésité à menacer les rois rebelles de les excommunier s’ils n’obéissaient pas à leur magistère temporel. En revanche, sa position correspond tout à fait à l’esprit du catholicisme et à la fameuse formule du Christ qui fonde les principes de la laïcité en Europe : « Il faut rendre à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu. »

Cette querelle millénaire entre le temporel et le spirituel prend une autre dimension dans le contexte démographique que connaît l’Europe depuis des décennies avec l’arrivée de nombreuses populations musulmanes. L’islam ne connaît pas et n’a jamais connu de distinction entre temporel et spirituel. C’est un bloc indivisible rassemblant religion, politique, juridique, social, qui ne permet pas à l’individu d’échapper à la soumission à un Dieu tout-puissant. « L’islam est la plus lourde chaîne mise au pied de l’homme », disait Ernest Renan. 

L’islam ne connaît pas ces querelles de la chrétienté : la charia s’impose au pouvoir temporel, qu’il s’agisse d’un roi ou d’une République. Comme l’avait bien compris Marcel Gauchet, cette liberté logée dans le catholicisme en faisait potentiellement « la religion de la sortie de la religion ». C’était son génie, mais aussi son plus grand risque. On le voit aujourd’hui avec la profonde déchristianisation en Europe et aux États-Unis. Depuis toujours, certains catholiques, conscients de ce danger, envient l’islam et ses rigueurs qui enferment les croyants et les politiques dans une immobilité rassurante. Au risque de se renier ?

Source : Le Figaro Magazine

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