samedi 18 juillet 2015

« L’avenir de notre école passe par l’autonomie »

Texte de Gaspard Koenig, écrivain et président du réseau pensant GenerationLibre

Importée de Suède, largement expérimentée en Grande-Bretagne, la pratique des « écoles libres » donne des résultats étonnants. Financées par le gouvernement, ces écoles « privées pour tous » révolutionnent l’éducation.

La réforme des rythmes scolaires, puis celle du collège [Note du carnet : premières années du secondaire], illustrent un paralogisme bien connu des ministres de l’Éducation nationale, et qui n’aurait pas déplu à Aristote :

Une réforme s’applique à toutes les écoles.

Or, une école n’est pas la même qu’une autre école.

Donc, une réforme ne s’applique pas à toutes les écoles. (Donc grèves.)

N’est-il pas absurde de décider, dans un bureau de la rue de Grenelle [au Ministère de l’Éducation nationale française], comment seront organisés les cours d’allemand, ou à quelle heure les enfants devront se lever le mercredi matin, qu’ils habitent le 7e arrondissement parisien, les quartiers nord de Marseille ou le paisible Morvan ?

D’autant qu’une solution alternative, d’abord expérimentée en Suède, est aujourd’hui en passe de bouleverser le système scolaire britannique. Les « écoles libres », lancées au début de son mandat par David Cameron, connaissent un essor rapide : 250 se sont ouvertes depuis 2010 et 500 de plus sont attendues d’ici à 2020. Elles viennent compléter les « académies » créées par le gouvernement précédent (Nouveaux Travaillistes) pour introduire dans la gestion des écoles publiques un élément fondamental : l’autonomie. Deux tiers de l’enseignement secondaire serait désormais concernés.

Les fondateurs de ces écoles, souvent de simples parents désireux d’innover, décident eux-mêmes de leurs principes de gestion et de pédagogie, en respectant les grandes lignes définies par l’État sur le contenu de l’enseignement et les critères d’admission. Libres à eux d’établir le nombre d’heures de cours, de choisir les matières enseignées (la lutte gréco-romaine, le mandarin, le jardinage ou la robotique ont ainsi fait leur apparition), de recruter les enseignants qui leur semblent les mieux adaptés, indépendamment de leurs diplômes (qui peut se plaindre qu’un compositeur reconnu devienne prof de musique ?), d’introduire les CLOM et les iPad ou au contraire de revenir à la plume et à l’encrier. On peut ainsi espérer que, par expérimentation et émulation, les principes les plus efficaces soient progressivement plébiscités, tout en préservant la diversité de l’offre éducative.

Décentralisation ne signifie pas privatisation, et encore moins ghettoïsation. Les « écoles libres » sont « libres » dans les deux sens du terme, car intégralement financées par le gouvernement, sur la même base budgétaire que les écoles d’État. Comme l’ont montré plusieurs études, publiées par l’Institute of Education ou Public Exchange, elles se sont développées avant tout dans les quartiers les plus populaires et produisent des effets positifs sur l’ensemble des écoles adjacentes.

Étant par nature sceptique sur le succès des politiques publiques, je me suis rendu dans l’une des toutes premières « écoles libres », fondée par le très libéral Toby Young, qui a voulu promouvoir les savoirs fondamentaux. Dans des bâtiments de briques un peu éreintés se mêlent comme (presque) partout des ados de toutes les couleurs de peau. Sauf que là-bas, pas de débat sur le latin, puisqu’il fait partie du tronc commun. Pas de débat sur l’interdisciplinarité, puisque les élèves dissertent sur des textes de Shakespeare et de Miller dès la sixième. Pas de débat sur les horaires des cours, puisqu’ils ont été peu à peu ajustés pour réserver davantage de temps à la musique et au sport. Pas de débat sur le port du voile, puisqu’il est autorisé (et minoritaire). Pas de débat sur la discipline, puisque l’uniforme est obligatoire et que les fauteurs de troubles se voient imposer des cours supplémentaires sur Platon et Machiavel. À la plus grande satisfaction des parents, dont j’ai pu constater, en trompant mon ennui lors du spectacle de marionnettes de fin d’année, qu’ils reflétaient la diversité de la population londonienne.

D’autres « écoles libres » adoptent des principes radicalement différents, façon Montessori par exemple. L’essence de l’autonomie est de permettre aux parents de faire leurs propres choix, une tendance également à l’œuvre en France, mais de manière discriminante, puisqu’elle n’est possible chez nous que dans le privé hors contrat (et donc payant). Les Britanniques, fidèles à leur idée de Grande Societé, nous montrent la voie d’un État qui régule et facilite sans décider de tout pour tous, favorisant mieux l’égalité des chances réelle que ne le fait un égalitarisme formel.

Toby Young fut dans sa jeunesse l’auteur d’un succès de librairie hilarant, « Comment se faire des ennemis ». Il faut croire que notre actuelle ministre de l’Éducation [françaises] s’en est abondamment inspirée. Si elle veut se faire des amis, on lui conseille d’engager la révolution de l’autonomie. Pour enrayer la fuite vers le privé, inventons le privé pour tous !

(Avec quelques corrections typographiques)

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