mardi 18 février 2014

Les cours en ligne transformeront la façon d’enseigner, mais ils sont peu rentables pour l'instant


Les cours en ligne vont transformer le savoir et la façon d’enseigner. C’est ce que relate le magazine français Le Point.

« Lorsqu’on transforme un cours en CLOM (cours en ligne ouvert et massif, un cours consultable sur Internet), on élargit son contenu en le rendant moins technique pour encourager la dissémination du savoir », explique Alberto Alemanno dans les colonnes de l'hebdomadaire. De fait, 20 % de ses « CLOMeurs » sont étudiants. Les autres sont des employés ou des chômeurs à la recherche d’une nouvelle formation. « Les CLOM font tomber les barrières du savoir. C’est un peu la version visuelle d’un livre. D’ailleurs, de nombreuses maisons d’édition m’ont approché pour publier les textes de mon CLOM », s’enthousiasme le professeur de droit. Comme pour toutes les innovations, les CLOM ont d’abord suscité des doutes. À leur lancement, il y a quelques années, les critiques n’ont pas manqué : vol des contenus, diplômes dévalorisés puisque reproductibles… Les universités américaines ont défriché le terrain. Non, les CLOM ne pillent pas plus le savoir des éminents professeurs qu’un manuel de cours écrit par un ponte. Pour Le Point, Harvard n’a pas de souci à se faire : les participants peuvent certes obtenir une certification en passant un miniexamen en ligne, mais elle n’a pas la valeur d’un diplôme, car il est impossible de vérifier si le participant respecte les conditions de l’examen, ni même si c’est bien lui, derrière son ordinateur.

Plates-formes

Une fois les sceptiques rassurés, le système a séduit le monde entier. Les grandes écoles françaises se sont à leur tour prises au jeu. Les plates-formes se sont multipliées : iTunes U, Coursera, edX, Udacity, et la dernière francophone en date, FUN (France université numérique). Lancée par le ministère de l’Enseignement supérieur, elle avait recueilli quelque 100 000 inscriptions lors de la mise en ligne des premiers cours en janvier. Certains résistent à cet engouement. « On réinvente l’eau chaude. Avant, on avait le polycopié du prof, son manuel, puis son PowerPoint. Avec l’accélération technologique, tout est devenu virtuel : les CLOM sont simplement un support supplémentaire à notre disposition. Les outils ont changé, mais la pédagogie n’a que peu évolué », résume Andrés Atenza, directeur de l’ISC.

Comme nombre de ses collègues, il croit à la formation par le professeur, « à celui qui tient le cours et donne un spectacle ». Le manque de « présentiel », comme le répètent en chœur les directeurs des écoles de commerce, serait la principale lacune de ces cours en lignes. « Un CLOM ne peut être considéré seul, il manque l’interaction entre les étudiants et le prof, ainsi qu’entre les étudiants eux-mêmes », insiste Michel-Henry Bouchet, professeur de finance à Skema, qui a mis au point un système de cours en ligne complété par des groupes de travail qu’il coordonne dans cinq campus dans le monde. Cette critique, Alemanno l’a entendue mille fois. « Il y a un malentendu tenace : les CLOM n’ont pas vocation à remplacer les profs, s’emporte-t-il. On est dans l’apprentissage mixte, le savoir mélangé, qui utilise des outils différents, comme les manuels, les fichiers audio, la vidéo… Les CLOM doivent être complétés par des forums, où les participants échangent. On programme même des rencontres physiques, à Bruxelles ou Paris, où le prof est comme une vedette que l’on voit enfin. » De là à estampiller ces rendez-vous d’un « vu dans un CLOM »…

 Rares sont encore les professeurs et les écoles motivés par la production de leurs propres CLOM, comme Alemanno à HEC. Bernard Belletante, président du Chapitre des écoles de commerce qui vient de quitter la direction de Kedge, ne mâche pas ses mots : « Notre métier, ce n’est pas de produire des supports pédagogiques. Notre mission n’est pas la diffusion, mais le développement de la connaissance. Elle n’a de sens que si elle se transforme en action. » Et d’ajouter qu’une école se fait connaître par les diplômés qu’elle a placés dans les meilleures entreprises du monde, pas par ses CLOM. Pourtant, les écoles n’ont d’autre choix que de se lancer dans l’aventure. L’investissement est important : un module de 5 à 10 heures de contenu peut coûter entre 50 000 et 100 000 euros, qu’on l’enregistre dans un labo sur le campus ou via des prestataires extérieurs. Pour pallier le manque de moyens, certaines se font parrainer par des entreprises, qui apposent ensuite leur nom sur le CLOM et l’utilisent pour leurs employés. Parmi les avantages figure celui d’une fantastique vitrine internationale.

« Je ne peux pas passer à côté d’une révolution technique, c’est comme le passage de la télécopie aux courriels. Et puis, il faut produire du contenu, au même titre que des livres, des colloques… Un CLOM est une contribution intellectuelle comme une autre. Je ne peux pas être absent de la vitrine si toutes les autres écoles y sont », reconnaît Andrés Atenza. Pour se démarquer, chaque école tâche d’identifier ses particularités et ses thématiques, cherchant la visibilité grâce à des enseignants-chercheurs autant que par la création d’un nouveau support utile à ses élèves. « Les CLOM participent à une remise à niveau des étudiants lors de leur expérience à l’international ou pour leur admission parallèle, et peuvent même assurer le service après-vente pour les anciens étudiants : aujourd’hui, un jeune cadre doit continuer à se former aux nouvelles techniques et aux pratiques de gestion », note Armand Derhy de l’ESG. Le CLOM répond à un besoin croissant d’uniformisation des connaissances des étudiants, qui se différencient désormais sur le savoir-faire.

« Certifiés »

C’est alors le temps de classe « physique » qui fera la différence. Marie-France Derderian enseigne depuis 2008 à Grenoble EM et elle a trouvé la parade au manque de « présentiel ». Avant sa séance, ses étudiants suivent les neuf cours en ligne de Steve Blank, un ponte de Stanford, « How to Build a Start Up » sur la plate-forme Udacity. Les apprentis entrepreneurs appliquent ensuite la théorie à leur idée de création d’entreprises. « Plus qu’un professeur, je suis désormais un mentor pour leur projet », analyse Marie-France Derderian. Au terme des 45 heures avec leur professeur, les étudiants lanceront leur entreprise grâce au partenariat avec un fonds d’investissement. « Je ne dis pas “Venez dans mon programme, vous allez apprendre à créer votre entreprise”, mais “Vous allez créer votre entreprise !” » Et d’insister sur la volonté des élèves, comme des entreprises, d’une expérience pratique, professionnelle et concrète. L’enseignante vante le temps dégagé en cours grâce aux CLOM pour la pratique. Ses trente-deux élèves – de 21 nationalités – pourront non seulement se targuer d’avoir une mini-expérience professionnelle, mais pourront aussi indiquer sur leur CV qu’ils sont « certifiés » du module de la vedette américaine dans le domaine. « Le prof qui dispense son CLOM donne son accord, et les élèves valident les étapes imposées pour recevoir le certificat, avec ou sans mention. En revanche, la validation de leur diplôme de Grenoble EM tient aussi compte de la pratique, via mon évaluation », précise Marie-France Derderian.

« Le CLOM seul, sans l’expérience en classe, cela ne m’intéresse pas, assure Jad Khalil, l’un de ses étudiants. Avant le cours, je visionne la théorie chez moi, quand je suis le plus disponible pour étudier. Je peux ralentir, arrêter le cours, reprendre à mon rythme, pour mieux prendre des notes. Ensuite, je discute de ce que j’ai compris (ou non) avec les autres élèves ou la prof : c’est pour ça qu’il reste indispensable d’aller en cours. » Son acolyte, Sebastian de Bruyne, ajoute : « Je préfère un prof local qui connaît les interlocuteurs utiles et peut partager son expérience. » Il plébiscite la démocratisation du savoir, accessible à tous, aussi bien physiquement (dans les régions les plus reculées, ou en temps de guerre) qu’économiquement (la plupart des CLOM sont gratuits). À 21 et 23 ans, Jad et Sebastian s’en servent pour leur culture personnelle : «  On a suivi des CLOM de Photoshop, de stylisme, d’architecture, d’histoire, de finance… et même de cuisine ! » De quoi rêver à l’élargissement de ce « nuage éducatif » aux petites classes, pour qu’un enfant américain puisse partager ses expériences avec un Indien. Le CLOM n’a pas fini de faire des émules.

Impact linguistique et culturel ?

Le magazine Le Point ne s'attarde pas sur l'aspect linguistique et culturel de ce marché mondial de l'éducatif. Avec une part grandissante de l'enseignement pris en charge par les CLOM, quel sera l'impact sur le nombre de professeurs dans les universités et sur le coût lié à cette éducation universitaire dans des bâtiments en dur ? On aurait également voulu une réflexion sur la menace que ces CLOM peuvent poser au monopole de collation des grades dans des pays jacobins comme la France (et le Québec).

Financement et externalisation

Le journal économique Les Échos se penche, pour sa part, sur la difficile équation économique des CLOM.

Depuis plusieurs mois, des jeunes pousses ont prévu un changement dans le mode de consommation des contenus éducatifs : le grand public peut désormais avoir accès à tous types de cours, même les plus pointus, donnés par des professeurs de grandes universités. L'éducation se mondialise et les étudiants indonésiens, tunisiens ou argentins veulent pouvoir accéder aux cours des écoles américaines, britanniques ou allemandes. D'où l'émergence d'acteurs comme Coursera, qui hébergent et agrègent les cours de grandes universités.

Les écoles, aujourd'hui, n'ont pas vraiment le choix : elles doivent lancer leurs propres cours en ligne, sous peine d'être dépassées. Mais un CLOM coûte cher et peu d'écoles peuvent se permettre de se lancer seules. « Même Harvard [qui dispose d'une dotation de 32,7 milliards de dollars] ne s'est pas lancé seul et s'est associé au MIT pour créer edX », explique Pierre Dubuc, cofondateur de la plate-forme française (comme son nom ne l'indique pas) OpenClassrooms. « Les CLOM changent le métier d'enseignant, ajoute Matthieu Cisel, doctorant sur le sujet à l'ENS Cachan. Pour créer un CLOM qui fonctionne, il faut toute une équipe : un professeur compétent, qui soit aussi un bon acteur [les cours sont souvent présentés en vidéo, NDLR], il faut aussi être bon en commercialisation sur internet, en graphisme. » Autant de compétences que les écoles et universités ne possèdent pas forcément en interne. D'où l'appel à des plates-formes externes.

Différence de moyens, faibles chiffres d'affaire des plates-formes américaines

En France, il en existe quelques-unes. OpenClassrooms, par exemple, travaille avec l'ESG et Sciences po. Mais, là aussi, les Français se heurtent à un manque de moyens par rapport à leurs rivaux anglo-saxons. Coursera, par exemple, a pu lever 85 millions de dollars pour financer ses développements (voir ci-dessous). « La lutte est compliquée, mais elle n'est pas impossible. Les Américains ont levé beaucoup de fonds, mais, pour le moment, nos structures sont assez similaires, avance Pierre Dubuc. Et en France, nous ne pouvons pas nous permettre d'attendre trois ou quatre ans pour engendrer des revenus, comme le font les Américains. Nous nous posons déjà la question du modèle économique. »

Deux modèles principaux sont aujourd'hui explorés : l'un gratuit financé par la publicité, l'autre avec des cours gratuits et d'autres payants, la « certification » (différente du diplôme délivré par l'école ou l'université) étant facturée. OpenClassrooms mise pour sa part sur un modèle d'abonnement en donnant accès à tout son catalogue de cours pour 9,99 euros (14 dollars) par mois.



« Aujourd'hui, les modèles économiques ne sont pas viables, explique Matthieu Cisel. Seuls de 0,5 à 1 % des gens vont réellement aller au bout d'un cours en ligne et payer pour la certification. » Les plus grandes plates-formes américaines ne génèrent pas plus de 1 à 5 millions de dollars de chiffre d'affaires annuel. Les françaises sont à peu près au même niveau. Et celles qui travaillent avec les écoles conservent une grande majorité des revenus générés (50 % pour edX et jusqu'à 85 % pour Coursera). Le salut viendra peut-être de la mutualisation des ressources entre écoles. Pour tenter de doper le secteur et de plancher sur les modèles, le gouvernement vient de lancer France Université numérique, une plate-forme regroupant plusieurs acteurs et dotée d'un budget de 8 millions d'euros, qui viennent s'ajouter aux 12 millions prévus dans le programme des investissements d'avenir.


Cinq millions

C’est le nombre d’abonnés à un CLOM dans le monde. Certains remportent un succès gigantesque, comme un cours de robotique, à Stanford, qui attire 160 000 abonnés. Seuls 5 à 10 % des participants parviennent au bout de leur module. La très grande majorité des cours est gratuite et accessible après une simple identification en ligne. La certification authentifiée est payante (une cinquantaine d’euros en moyenne), nécessitant des informations plus détaillées sur l’utilisateur.
« Professeurs trophées »  américains

Les prestations de ces profs vedettes rencontrent un succès tel que les écoles ne sont pas près de les remplacer par des acteurs professionnels. Esther Duflo : l’économiste franco-américaine spécialiste de la pauvreté fait partie du comité qui conseille Barack Obama sur les questions de développement. Ses cours au Massachusetts Institute of Technology sont en ligne. Aswath Damodaran : « Je veux devenir le Lady Gaga de la finance », de déclarer ce professeur de l’université de New York qui a convaincu des milliers d’élèves que sa matière était exaltante. Michael Sandel : ce philosophe américain est la référence en matière de justice, égalité et démocratie. La première leçon du cours en ligne de cette figure de Harvard a été visionnée près de 5 millions de fois sur YouTube. Un hollywood universitaire américain qui écrasera la concurrence des petits pays ?

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