jeudi 16 février 2012

« La formation du personnel du personnel éducatif aux nouveaux savoirs du programme éthique et culture religieuse : Mission impossible »

C'est le titre tranché d'un article paru dans une revue très sérieuse (« personnel éducatif » pas enseignant, « aux nouveaux savoirs » pour désigner les compétences qu'on veut inculquer en ECR).



L'article écrit par Jacques Cherblanc et Pierre Lebuis est paru dans Télescope, vol. 17, n° 3, pp. 79-99 de l'ENAP.  Pierre Lebuis est un partisan bien connu du programme d'éthique et de culture religieuse.

Voici quelques extraits de cet article.

«

Aux exigences extraordinaires que représente en soi le programme ECR en termes de nouveauté, de savoirs et de posture, s’ajoute donc un échéancier inouï, puisque c’est la première fois que le ministère de l’Éducation du Québec tente d’implanter un nouveau programme en même temps pour chaque année de chaque cycle du primaire et du secondaire.

[...]

Bref, le programme ECR n’apparaissait pas des plus nécessaires aux yeux de nombreux enseignants, notamment ceux des régions plus rurales et moins touchées par l’immigration.[Le programme sert-il donc à gérer l'impact de l'immigration chez les jeunes Québécois ?]

De multiples changements donc, peu de temps pour les intégrer et les mettre en place, de nombreuses craintes et réticences, un contexte de changements épuisant d’autant que ceux-ci semblent aléatoires et répondre à un certain opportunisme politique dans les milieux.

[Manque de formation]

[...]

Donc, de 2007 à 2009, les experts régionaux ont en moyenne participé à dix-sept ou dix-huit journées de formation et chaque enseignant de chaque école a pu recevoir une formation de ces experts régionaux pendant trois à cinq journées. L’écart entre la formation reçue par les experts régionaux et celle de la majorité des enseignants de chaque région est considérable. Vu la complexité et la nouveauté du programme ECR, il est clair que deux ou trois journées de formation étaient insuffisantes.

[...]

Alors que le programme entre en vigueur dans toutes les écoles du Québec à la rentrée 2008, six mois plus tard, le très important budget consenti par le MELS pour implanter le programme ECR est épuisé et aucune nouvelle somme n’est investie. Or, pour reprendre la morale de la célèbre fable de Lafontaine, rien ne sert de courir, il faut partir à point, et c’est un peu la leçon que l’on peut tirer de cette expérience de formation par communautés de pratique régionales.

[...]

Cette fin de financement a eu de sérieuses conséquences pour l’implantation efficace du programme dans les écoles. En effet, la grande majorité des enseignants n’a eu que quelques journées de formation pour se familiariser avec le programme ECR et parmi ces journées, seulement quelques-unes ont été efficientes puisque les premières formations concernaient uniquement une ébauche de programme et étaient offertes par des « experts » en devenir, qui ne connaissaient encore que très peu les savoirs à transmettre.

[Aucune évaluation de la réalité en classe]

Enfin – et il s’agit là d’un problème structurel au système scolaire québécois –, alors que c’est le MELS qui élabore le programme ECR et qui investit plusieurs millions de dollars dans son implantation, il n’a aucun pouvoir pour évaluer la réalité de sa mise en œuvre dans les classes. La charge de s’assurer que l’enseignant enseigne bien le nombre d’heures et les contenus prescrits revient à chaque direction d’école. Il est donc impossible pour le MELS de savoir si son modèle de formation a été efficace, si le programme est enseigné et s’il l’est conformément aux attentes.

Il faut donc se fier au bon vouloir de chaque école et même de chaque enseignant, car si l’on peut parfois avoir accès à certaines de ces données, cela ne change pas le fait que comme le disent les enseignants : « Quand je ferme la porte de ma classe, je fais bien ce que je veux. »

[épuisement organisationnel]

[malgré manque formel d'évaluation, retour notamment via des associations de professeurs d'ECR et des conseillers pédagogiques]

Et c’est bien de cela dont il est question avec le programme ECR : alors que le système souffrait déjà de trop de changements (trop importants, trop fréquents, trop gros, trop dispersés, etc.), ce programme s’est imposé aux enseignants comme une immense transformation dépassant leur capacité d’adaptation et leurs compétences. En outre, ce changement était lui-même en évolution, puisque le programme n’était pas terminé, que des contestations populaires, politiques et même judiciaires laissaient planer l’incertitude sur la réalité de son implantation et qu’il est encore changeant aujourd’hui (les critères d’évaluation ont été modifiés deux fois au cours de l’hiver 2011). Et ce « trop de beaucoup de choses » s’accompagnait
d’un « trop peu » de matériel pédagogique disponible, d’expérimentations adéquates, d’encadrement (du fait de la cessation du financement des communautés de pratique régionales en 2009) et finalement de «  trop peu » d’explications sur la pertinence de ce changement et sur les pratiques pédagogiques à corriger.

Ce contexte d’épuisement organisationnel permet de comprendre à quel point la rapidité avec laquelle ce changement majeur a dû être implanté a fortement hypothéqué la réussite de son implantation. Aujourd’hui, le portrait d’ECR dans les écoles est caractérisé par une certaine déficience et surtout une grande diversité.

Une déficience

La déficience de l’enseignement de l’ECR est tout d’abord perceptible quantitativement avec le faible nombre d’heures accordées à cette discipline (notamment au primaire), le petit nombre d’éléments d’évaluation servant à porter des notes aux bulletins ainsi qu’avec l’importance des « queues de tâches » au secondaire (soit les enseignants non spécialistes – enseignant d’histoire, de géographie, d’éducation physique, directeur d’école, etc. – qui offrent le cours ECR pour compléter leur tâche de travail). Il apparaît également qu’ECR est la première période sacrifiée en cas de besoin. Les enseignants justifient ce fait par leur grande méconnaissance de la matière, leurs craintes face aux comportements des élèves et aux réactions des parents et enfin par le contexte de surcharge de travail qui les empêche de s’approprier le programme autrement que par quelques activités sélectionnées dans les manuels scolaires. Les directions d’école sont certes responsables de l’adéquation entre l’enseignement de leur équipe et le Régime pédagogique, mais elles semblent considérer qu’il faut laisser le temps aux enseignants de s’approprier ECR, qu’il s’agit d’une matière secondaire (au même titre que les arts ou les sciences au primaire et que l’histoire au secondaire). Ces directions ne s’alarment pas, tant qu’une note est portée au bulletin et que les parents ne récriminent pas.

[...]

Ainsi, de façon générale au Québec aujourd’hui, peu d’heures sont consacrées au programme ECR, et ce, par des non-spécialistes, dans des milieux qui considèrent cette discipline comme une matière qui demande beaucoup trop de travail comparativement à son importance dans le curriculum.

Des disparités

En plus de cette déficience, une autre caractéristique de l’implantation de ce programme est la grande diversité des pratiques entre les milieux et l’accroissement continu de ces disparités. Cette diversité est tout d’abord visible entre les différentes régions du Québec.

[...]

Par contre, dans certaines régions, comme le Saguenay–Lac-Saint-Jean, l’enseignement moral et religieux catholique convenait tout à fait à la très grande majorité des parents et certaines écoles offraient même toujours, dans le cadre de ce cours, la préparation aux sacrements (eucharistie et confirmation) auxquels participaient 98 % des élèves en 2002. Ceci explique en grande partie la disparité de l’enseignement entre des régions où ECR apparaît d’une pertinence évidente et d’autres où il faut utiliser les médias et les technologies de l’information pour montrer une diversité religieuse autrement invisible.

[...]

De l’enseignant spécialiste d’ECR travaillant à la Commission scolaire MargueriteBourgeoys à l’enseignant animé par la fibre pastorale intervenant à la Commission scolaire du Lac-Saint-Jean en passant par la diversité des intérêts des enseignants du primaire pour l’objet religieux, toute une gamme d’enseignement d’ECR est aujourd’hui visible, sans que l’on sache précisément ce qu’il en est dans chaque école ni de façon globale.

Voir aussi

Table ronde sur le matériel pédagogique ECR

Congrès de l'ACFAS — Formateur de formateurs en ECR : beaucoup de résistances, faible réceptivité, obstacles au début de l'implantation




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