vendredi 14 avril 2023

L'essor démographique de l'Afrique subsaharienne ralentirait



Le taux de natalité en Afrique diminuerait beaucoup plus rapidement que prévu. Même si la croissance demeure importante, cette évolution pourrait avoir un impact considérable sur la population totale de l’Afrique d’ici à 2100. Selon certains économistes optimistes, cette chute pourrait également donner un coup de fouet au développement économique du continent. « Nous avons sous-estimé ce qui se passe en termes de changement de fécondité en Afrique », a déclaré José Rimon II, de l’université Johns Hopkins interrogé par The Economist.

Les projections démographiques de l’ONU sont considérées comme les plus fiables. Son dernier rapport, publié l’année dernière, contenait des estimations pour l’Afrique subsaharienne nettement inférieures à celles d’il y a dix ans. Pour le Nigeria, qui compte la plus grande population d’Afrique avec environ 213 millions d’habitants, l’ONU a réduit ses prévisions pour 2060 de plus de 100 millions d’habitants (pour atteindre environ 429 millions). En 2100, le pays devrait compter environ 550 millions d’habitants, soit un total de 350 millions de moins que prévu il y a dix ans.

Pourtant, même les dernières projections de l’ONU pourraient ne pas suivre la baisse rapide des taux de fécondité (le nombre moyen d’enfants par femme) que révèlent certaines études récentes. La plus remarquable concerne le Nigeria, où une enquête financée par l’ONU en 2021 a révélé que le taux de fécondité était passé de 5,8 à 4,6 en cinq ans. Ce chiffre semble être globalement confirmé par une autre étude, cette fois soutenue par USAID, l’agence d’aide américaine, qui a trouvé un taux de fécondité de 4,8 en 2021, en baisse par rapport à 6,1 en 2010. « Quelque chose est en train de se passer », estime Argentina Matavel, du Fonds des Nations unies pour la population (FNUAP).

Si ces résultats sont exacts, ils suggèrent que les taux de natalité diminuent à un rythme similaire à celui de certaines parties de l’Asie, lorsque cette région a vu ses propres taux de croissance démographique ralentir fortement dans le cadre d’un processus souvent connu sous le nom de « transition démographique ».

Une tendance similaire semble se dessiner dans certaines parties du Sahel, où les taux de fécondité sont encore parmi les plus élevés d’Afrique, et dans les régions côtières de l’Afrique de l’ouest. Au Mali, par exemple, le taux de fécondité est passé de 6,3 à 5,7 en six ans. Au Sénégal, le taux de 3,9 en 2021 équivaut à un bébé de moins par femme qu’il y a un peu plus de dix ans. Il en va de même en Gambie, où le taux a chuté de 5,6 en 2013 à 4,4 en 2020, et au Ghana, où il est passé de 4,2 à 3,8 en seulement trois ans.

Ces baisses rapprochent l’Afrique de l’Ouest des taux de fécondité plus faibles observés dans une grande partie de l’Afrique australe.



Les démographes sont partagés quant à l’interprétation à donner à ces enquêtes récentes, d’autant plus que les données qu’elles produisent peuvent être brouillées. « Lorsque l’on constate une chute brutale de la fécondité, le point de départ est que quelque chose cloche dans les données », de déclarer Tom Moultrie, de l’université du Cap. Certains soulignent que les réponses aux enquêtes menées en Afrique sur la taille souhaitée des familles ont peu diminué (les Africaines veulent toujours autant d’enfants), bien que toutes les enquêtes récentes ne posent pas cette question. 
 
D’autres démographes estiment que les données indiquent de réels changements. Cependant, beaucoup mettent en garde contre la comparaison de taux issus de différents types de sondages. Pourtant, même en ne comparant que les versions d’une même enquête, la tendance est évidente. Dans le cas du Niger, qui a le taux de fécondité le plus élevé au monde, mais pour lequel on possède peu d’enquêtes, la comparaison entre les différentes enquêtes montre une baisse de 7,6 en 2012 à 6,2 en 2021.
 
 D’autres réduisent également leurs projections. En 1972, le Club de Rome, un groupe de réflexion, a publié un ouvrage influent, « Les limites de la croissance », dans lequel il avertissait que la consommation et la croissance démographique conduiraient à un effondrement économique. Aujourd’hui, il affirme que la bombe démographique pourrait ne jamais exploser : il estime que la population de l’Afrique subsaharienne pourrait atteindre son zénith dès 2060, soit 40 ans plus tôt que les projections de l’ONU.

Malgré cela, les taux de fécondité ne baissent pas uniformément. Certains pays, dont l’Angola, le Cameroun et le Congo (RDC), continuent d’avoir des taux relativement élevés. Et il existe souvent de grandes différences régionales au sein de pays tels que le Kenya. Presque partout en Afrique, les taux de fécondité sont beaucoup plus bas pour les femmes urbaines, qui ont généralement 30 à 40 % d’enfants en moins que celles qui vivent à la campagne. (C’est une constante mondiale.)

Les démographes seraient plus enclins à admettre que ces baisses de fécondité sont réelles et susceptibles de se poursuivre s’ils pouvaient facilement en identifier les causes. En Éthiopie, au Kenya et au Malawi, les baisses passées ont été fortement associées à une plus grande utilisation de la contraception, souvent grâce à des incitations gouvernementales importantes. Au Malawi et au Kenya, plus de la moitié des femmes mariées utilisent des moyens de contraception modernes tels que la pilule ou les injectables (
de la progestérone), contre environ 40 % en Éthiopie. L’utilisation de ces méthodes est nettement plus faible en Afrique de l’Ouest (voir carte), mais les progrès réalisés à partir d’une base peu élevée expliquent probablement en partie la baisse de la fécondité. Au Nigeria, l’utilisation de la contraception est passée de 11 % à 18 % au cours des cinq dernières années. Au Sénégal, elle a doublé pour atteindre 26 % au cours de la dernière décennie.

La planification familiale, en particulier lorsqu’elle est promue par des étrangers, a souvent suscité l’ire des chefs religieux. Pourtant, dans certains endroits, cette situation est peut-être en train de changer. Les religieux parlent plus souvent de la planification familiale ces jours-ci, note Amina Mohammed, une mère pieuse de la banlieue de Kano au Nigeria. « Aucun verset du Coran n’interdit aux musulmans de contrôler, de planifier ou de limiter le nombre de leurs enfants », déclare Chouaïb Moukhtar Chouaïb, l’un de ces religieux. Le prophète Mahomet a tacitement approuvé la méthode du retrait, poursuit-il. Aujourd’hui, Idris Souleiman Aboubakar, gynécologue dans le plus grand hôpital public de Kano, s’inquiète davantage de l’impact de l’industrie cinématographique nigériane sur la contraception que de celui de la religion. « Ils racontent que le système reproducteur de la femme a été endommagé parce qu’elle utilise des pilules », explique-t-il.

L’éducation des filles a également un impact important sur les taux de fécondité. En Angola, par exemple, les femmes qui n’ont pas été scolarisées ont 7,8 enfants, alors que celles qui ont fait des études supérieures en ont 2,3. Les femmes instruites ont plus de chances d’obtenir un emploi, de sorte que le coût d’opportunité de rester à la maison pour s’occuper des enfants est plus élevé et qu’elles ont plus de chances de convaincre leur mari sur le nombre d’enfants à avoir.

Les recherches menées par Endale Kebede, Anne Goujon et Wolfgang Lutz du Centre Wittgenstein pour la démographie et le capital humain mondial suggèrent que l’arrêt de la transition (diminution) démographique en Afrique dans les années 2000 pourrait être dû à l’effet différé des réductions des dépenses d’éducation dans les années 1980, alors que de nombreuses économies africaines étaient en crise. La baisse rapide des taux de fécondité qui semble aujourd’hui se produire pourrait être due à l’énorme effort consenti pour améliorer la scolarisation des filles au cours des dernières décennies. Il se pourrait que d’autres facteurs comme le coût de la vie et des difficultés économiques jouent un rôle.

Les économistes ont tendance à penser que les familles pauvres ont plus d’enfants pour s’assurer que certains d’entre eux survivent et s’occupent de leurs parents pendant leur vieillesse.

Lorsque l’économie nigériane s’est dégradée entre 2013 et 2018, le nombre de femmes ne voulant plus d’enfants est passé de 19 % à 25 %. Alors que le coût de l’éducation des enfants augmente, de plus en plus de parents s’inquiètent de ne pas pouvoir les éduquer. « Nous essayons de rendre nos enfants productifs », explique Mme Abubakar, lorsqu’on lui demande pourquoi elle ne veut plus d’enfants. Selon Funmilola Olaolorun, de l’université d’Ibadan, même les Nigérians des zones rurales réfléchissent au compromis à trouver entre avoir beaucoup d’enfants peu éduqués ou moins d’enfants ayant de meilleures perspectives d’emploi.

La fin de la politique du berceau

En Ouganda, le président Yoweri Museveni avait l’habitude de dire aux étudiantes : « Votre travail consiste à faire des enfants ». Aujourd’hui, il dit aux femmes ougandaises que de nombreuses grossesses « affaiblissent votre corps et que de nombreux enfants ne sont pas faciles à gérer et à élever ». Le président du Niger, Mohamed Bazoum, a fait de la « lutte contre la démographie » le cœur de sa campagne électorale. Au Nigeria, le financement de la planification familiale est faible, mais le président Mouhammadou Bouhari a récemment créé un Conseil national sur la gestion de la population, soulignant « l’urgence de s’attaquer au taux de fécondité durablement élevé du Nigeria, en élargissant l’accès à la planification familiale moderne ».

Par le passé, de nombreux hommes politiques africains soupçonnaient les Occidentaux de vouloir promouvoir la planification familiale afin d’empêcher les pays africains de devenir plus peuplés et plus forts. Des écologistes occidentaux associent la croissance démographique de l’Afrique au changement climatique.

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