Texte sidérant publié dans La Presse sur le pouvoir exorbitant des étudiants radicaux « éveillés » (woke), ces puritains athées.
Voilà deux semaines que Verushka Lieutenant-Duval n’a pas donné de cours à l’Université d’Ottawa. Depuis deux semaines qu’elle fait face à la tempête.
L’acte d’accusation est grave : racisme en classe. Le verdict pourrait lui coûter sa carrière. Mais la prof québécoise n’a pas eu le droit d’assister à son procès virtuel.
Ses étudiants, voyez-vous, avaient besoin d’un safe space, un espace sécurisé, pour discuter tranquillement de son sort. Lui feraient-ils perdre son cours ou pas ?
Ça s’est passé mercredi après-midi, sur Zoom, en présence de quatre employés de l’Université d’Ottawa. Il ne manquait que la principale intéressée, qui n’a pu produire qu’une lettre d’excuses pour toute défense.
Au cours de la réunion, les employés ont offert aux étudiants de poursuivre leur session avec un autre prof. Mais certains ont jugé cette peine nettement insuffisante.
« Dans le groupe, il y a quelques étudiants qui veulent la peau du prof », relate Jan-Léopold Monk, enseignant à la retraite qui s’est inscrit au cours pour le plaisir.
Et qui est catastrophé par ce qui se passe à l’Université d’Ottawa.
À l’origine, le terme queer était une insulte, leur a-t-elle expliqué. La communauté gaie s’est réapproprié le mot et l’a vidé de son sens initial pour en faire un puissant marqueur identitaire.
En langage savant, cette récupération s’appelle la « resignification subversive ». Il y a d’autres cas célèbres, a expliqué la prof à ses étudiants. Aux États-Unis, par exemple, la communauté noire s’est réapproprié l’insulte raciste n*gger.
Mme Lieutenant-Duval n’a pas dit n-word pour protéger les oreilles sensibles. Comme il s’agissait de citer le mot en exemple, dans un contexte pédagogique, elle l’a prononcé dans son entièreté.
Malaise sur Zoom.
« Une étudiante lui a dit : une Blanche ne devrait jamais prononcer ce mot, point », rapporte Jan-Léopold Monk.
Le soir même, la prof s’est excusée par courriel à ses étudiants. Elle ne savait pas. Elle n’avait pas l’intention de blesser quiconque. Puis, elle a tenté d’ouvrir le débat.
« Je vous invite à aborder la question la semaine prochaine afin de réfléchir à ce qui convient pour traiter ce mot. Vaut-il mieux ne pas le prononcer parce qu’il est sensible ? Le silence ne mène-t-il pas à l’oubli et au statu quo ? »
C’est là que tout a dérapé.
Pensez-y. Un débat à l’université. Une prof qui propose à ses étudiants de réfléchir en classe. Quelle idée !
Mme Lieutenant-Duval a été dûment punie pour son hérésie. Une étudiante a diffusé son courriel d’excuses sur Twitter, provoquant une déferlante de réponses outrées par tant d’ignorance, d’insensibilité et de… racisme.
Le contexte ? On ne veut pas le savoir.
La liberté de l’enseignement ? Rien à foutre. Désormais, on veut des espaces sécurisés pour se mettre à l’abri des micro-agressions, pas des espaces de liberté pour s’exprimer sur tous les sujets sans subir de pressions.
Désormais, on préfère la censure.
On préfère humilier une prof sur Twitter.
Un autre a salué son « courage » et son « refus d’être complice de ce comportement dans nos classes ».
Je ne vois aucun courage dans cette dénonciation. Je ne vois qu’un étalage de pureté vertueuse et de feinte indignation sur Twitter.
Il ne faut guère de courage pour jeter sa prof aux loups sur les réseaux sociaux. Surtout quand on se doute que son université, terrorisée à l’idée de passer pour raciste, va punir… la prof.
C’est exactement ce qu’a fait l’Université d’Ottawa en suspendant Mme Lieutenant-Duval et en offrant aux étudiants de changer de prof pour le reste de la session. Elle a plié l’échine. Pire, elle a pris le parti des militants.
« Ce langage était offensant et totalement inacceptable dans nos salles de classe et sur notre campus », a écrit aux étudiants Kevin Kee, doyen de la faculté des arts.
Que pense-t-il du contexte dans lequel le mot a été prononcé ? Le doyen ne devrait-il pas défendre la liberté de l’enseignement de ses collègues ?
« Tant le doyen que l’Université n’ont rien à ajouter », s’est borné à m’écrire un porte-parole.
Il aurait aussi bien pu m’écrire qu’à l’Université d’Ottawa, le client-étudiant a toujours raison.
À l’Université Concordia aussi.
En août, j’ai écrit sur une professeure de cinéma, Catherine Russell, victime d’une cabale semblable pour avoir cité en classe le pamphlet de Pierre Vallières, Nègres blancs d’Amérique.
Mme Russell ne donne plus le cours, cette année.
Aux États-Unis, des profs ont reçu des sanctions disciplinaires pour avoir prononcé le mot tabou dans un contexte scolaire. Les universités refusent obstinément de faire la part des choses.
« Quand on fait une utilisation raciste du mot pour rabaisser, insulter, terroriser les gens, c’est terrible et cela devrait être condamné », soulignait en juin Randall Kennedy, professeur de droit à l’Université Harvard, sur les ondes de CNN.
Mais quand on utilise ce mot pour souligner le problème du racisme, c’est autre chose, ajoutait le professeur afro-américain. Dans ce cas, tout le monde devrait pouvoir l’utiliser, peu importe la couleur de sa peau. « Ce serait une chose terrible, dans la culture américaine, si on érigeait une ligne raciale par rapport à qui peut dire quoi. »
Dany Laferrière a dit à peu près la même chose à propos du mot « nègre », la semaine dernière, sur Culture Prime : « N’importe qui peut l’employer. On sait quand on est insulté, quand quelqu’un utilise un mot pour vous humilier ou vous écraser. On sait aussi quand c’est un autre emploi. »
On le sait, parce que c’est évident.
L’absurdité de toutes ces affaires saute aux yeux. La couardise et le clientélisme des universités aussi. À condition de ne pas se voiler la face, ni de se draper dans sa vertu.
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