dimanche 21 juin 2020

« L'Allemagne s'abrutit »

« L’Allemagne s’abêtit », affirme Michael Winterhoff dans son livre « Deutschland verdummt ». Le pédopsychiatre, souvent traité de pédagogue populiste par la gauche, décrit sans détour ce qu’il considère comme l’avenir de la République fédérale. Les enfants d’aujourd’hui ne seront pas en mesure de travailler à moins que l’Allemagne ne corrige immédiatement son système scolaire.

Nous reproduisons ci-dessous un entretien de Michael Winterhoff paru dans l’hebdomadaire Focus (tirage de 441 805 exemplaires par semaine).

FOCUS. — M. Winterhoff, dans votre nouveau livre, vous critiquez le système éducatif allemand. Vous avez intitulé votre livre « l’Allemagne s’abrutit ». De quoi s’agit-il ?

Michael Winterhoff. — Le titre de mon livre concerne la performance psychologique des étudiants. Leur développement n’a plus d’importance dans les crèches ou les écoles. Les compétences non techniques, l’attitude envers le travail, la capacité de faire la distinction entre le travail et la vie privée : de moins en moins de jeunes qui quittent l’école sont capables de la faire de nos jours.

Ils n’ont pas le sens de la ponctualité. Il leur est difficile de reconnaître les structures et les processus de travail. Beaucoup manquent de connaissances de base en allemand et en mathématiques. La priorité absolue aujourd’hui est le téléphone portable — bien plus que la connaissance. De plus en plus d’étudiants abandonnent leur formation, plus d’un tiers des étudiants diplômés ne survivent pas à la période d’essai dans l’entreprise ; ils manquent de compétences sociales ou ont une forte surestimation de soi (étude Konrad-Adenauer).

FOCUS. — Et le système éducatif serait à blâmer ?

Winterhoff. — Oui. Les enfants ont besoin de quelqu’un pour les guider, les encourager. Quelqu’un qui leur montre qu’il faut parfois faire un effort — et qui en est récompensé, par exemple avec des éloges. Surtout en garderie, les enfants ont besoin de personnes pour les aider à s’orienter. Ils ne développent l’intelligence sociale et émotionnelle qu’avec la présence d’autrui.

Mais c’est précisément ce type d’attachement qui n’est plus dispensé à l’école de nos jours — les enfants n’y peuvent plus à dessein compter que sur eux-mêmes.



FOCUS. — Les éducateurs et les enseignants se comportent-ils donc mal ?

Winterhoff. — Le problème n’est pas les enseignants et les éducateurs. Le problème se situe plus haut.
Le système éducatif a été modifié il y a environ 20 ans — malheureusement pour le pire. À l’instigation de l’OCDE et des idéologues, l’apprentissage autonome a été poussé par les politiciens de l’éducation auprès des enseignants et des parents. À la maternelle, l’enfant doit choisir dans quelle pièce aller et ce qu’il y fait. À l’école, l’enfant doit apprendre par lui-même autant que possible. Ces idées n’ont jamais été testées pour leur efficacité.

Si un médecin développe une nouvelle méthode de traitement, celle-ci doit être testée plusieurs fois. Cependant, si vous avez une nouvelle idée en éducation, elle est simplement mise en œuvre avec toutes ses conséquences pour les enfants.

FOCUS. —  L’apprentissage autonome serait donc est quelque chose de mal ?

Winterhoff. — L’apprentissage autodéterminé : oui ! Un enfant ne peut pas décider ce qu’il faut apprendre. Les enseignants ne sont désormais que des « organisateurs d’apprentissage » qui animent un  buffet de connaissances où les enfants viennent se servir. Pour ce qui est de l’apprentissage même, l’enfant est seul responsable.

Dans certaines écoles primaires, des contrats scolaires sont conclus avec les enfants et pendant les pauses, des élèves de quatrième année agissent comme médiateurs. De nombreux enfants doivent porter des écouteurs insonorisés pour travailler en paix. De nombreux États fédéraux ont désormais aboli l’écriture cursive (liée) et l’imposition de l’orthographe.

FOCUS. — Les enseignants et les éducateurs devraient-ils être plus stricts ?

Winterhoff. — Non ! Vous devez être un enseignant et non un compagnon d’apprentissage. L’enfant ne peut s’orienter et se développer qu’avec cette assistance. Les compétences sociales et une bonne attitude ne se développent qu’à l’aide d’une pratique fréquente. Ce n’est que lorsque les éducateurs et les enseignants guident et accompagnent étroitement les enfants que leur psychisme émotionnel et social se développe. Par conséquent, nous avons besoin d’un enseignement axé sur la personne et non sur l’apprentissage.

Rien ne s’oppose à diverses formes d’enseignement telles que le travail en groupe ou en partenariat. Cependant, des groupes beaucoup plus petits sont nécessaires pour mettre en œuvre ces types d’enseignement.

En outre, l’élève ne va à l’école pour lui-même qu’à l’âge de 15 ans, avant c’est pour ses parents. De même, un enfant ne se brosse les dents que si les parents l’accompagnent.

FOCUS. — Quelles sont les conséquences de la politique éducative actuelle à votre avis ?

Winterhoff. — Si nous ne virons pas de bord, notre société sera dans une position désastreuse. Nos enfants deviennent des adultes narcissiques et égocentriques qui ne prêtent pas attention aux autres, se contentent de ce qui les concerne, vivent au jour le jour pour assouvir leurs envies.

L’estime n’est plus une valeur pour eux. Dans un État providence, les gens doivent être là les uns pour les autres. Mais les gens qui agissent comme de petits enfants et sont incapables de travailler font éclater ce système.

FOCUS. — Vous mentionnez dans votre livre comment gérer la numérisation.

Winterhoff. — Nous avons complètement tort dans le domaine de la numérisation. D’une part, c’est une mauvaise idée de donner des téléphones intelligents ou des tablettes aux enfants de moins de dix ans — cela brime leur développement psychologique. Grâce à la satisfaction permanente qu’offre Internet, ils sont confirmés dans leur vision du monde des tout-petits : je glisse le doigt sur l’écran et il se passe quelque chose.

Le résultat : l’idée enfantine selon laquelle on peut s’en sortir tout seuls et tout contrôler à tout moment est établie jusqu’à l’âge adulte. Pire encore, l’idée actuelle selon laquelle nous devrions rendre ces appareils accessibles aux enfants de la maternelle et du primaire. Les enfants doivent d’abord appréhender le monde, le comprendre de façon tactile pour favoriser un développement psychologique sain. De nos jours, nous les envoyons dans un monde parallèle irréel.

Travailler avec cette technologie devrait avoir une place dans l’enseignement secondaire, avant cela, il nous faut des oasis sans numérique.

Source : Focus

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