mardi 26 octobre 2010

Supplément éthique : l'interruption volontaire de vieillesse (IVV)

Nestor Turcotte, le philosophe de Matane, a publié cette lettre ouverte.

Des voix, de plus en plus nombreuses, demandent que l'État légifère pour que l'on puisse mettre fin à la vie terrestre de grands malades, voire d'enfants anormaux. Elles demandent une législation du « meurtre par pitié » ou « meurtre par compassion ». La question est de savoir si cette permission légale servirait le bien commun, si cette loi serait un gain pour la société ?

Photo Gregory Younger/Flickr
Le docteur Crick

Sauf une ou deux exceptions, aucun pays n'a osé légaliser explicitement l'euthanasie. « La moindre tolérance à l'égard du meurtre euthanasique, affirme un médecin bien connu en France, aboutirait infailliblement à une interprétation large, ouvrant la porte aux pires excès. » Devant le vieillissement de la population, l'État ne serait-il pas tenté par une certaine euthanasie « sociale » ou « eugénique » ? Ne serait-il pas attiré par un monde « meilleur » où toutes traces de déficience, de tares plus ou moins graves, devraient être éliminées chez les humains ?

Selon certains, devant un bébé à naître mal formé, un pied-bot, un bec de lièvre, un strabisme, un angiome lie-de-vin qui défigure le visage humain, l'État devrait encourager les parents à procéder à l'illimitation de cet être portant des infirmités qui affligent l'enfant naissant et qui perturbent la vie des adultes en leur occasionnant bien des souffrances. Puisqu'il est possible maintenant de déceler les malformations du foetus avant la naissance, ne faudrait-il pas rendre l'avortement obligatoire dans tous ces cas et, dans l'hypothèse où les parents refuseraient de prendre cette direction, l'État ne devrait-il pas supprimer les prestations sociales accordées à la mère, comme l'a suggéré un médecin européen ?

La thèse du Docteur Crick fait de plus en plus d'adeptes. Celui-ci suggère une interruption de vieillesse légalisée et une sortie, dans la dignité, de cette vallée de larmes. Que faire avec les malades qui vivent dans nos hôpitaux psychiatriques ? Que faire avec ceux qui croupissent dans nos prisons et qui coûtent fort cher aux contribuables ? Devrait-on les éliminer pour sauver des sous ? Et en ce sens, pourquoi pas, afin d'assurer l'idéologie de la mort programmée, trouver ainsi de subtils moyens pour faire disparaître des ennemis politiques? Voilà, en quelques mots, la thèse de l'interruption de la vieillesse structurellement programmée.

On le voit bien: lorsque l'on commence à toucher à l'être humain, à manipuler la vie, le risque est grand de ne plus trouver les limites où s'arrêter. Selon une sommité en médecine européenne, «il faut bien se garder de mettre le doigt dans l'engrenage, car le meurtre est contagieux. À partir du moment où il est possible, tout est possible, y compris le génocide; pis, la glorification du génocide ». Le XXe siècle nous fournit plusieurs exemples. J'ai vu, en Pologne, les horreurs des camps d'Auschwitz !

Jean Rostand affirmait un jour : « Peut-être peut-on aimer assez pour commettre un crime, mais il faut que, légalement, cela reste un crime. » Est-il permis de tuer par amour ? La réponse ne doit pas venir d'une loi qui l'autoriserait, car ce serait affirmer que certaines catégories de meurtres peuvent être légalisés. L'euthanasie active ? Non ! « Dès que le respect de la vie n'est pas un absolu, les conséquences peuvent être terribles. En ce sens, nous sommes tous condamnés à la vertu », affirme toujours Jean Rostand. « Les forces de la vie doivent résister aux forces de la mort, celles qui poussent à des solutions de désespoir, comme supprimer la vie humaine, qu'elle soit encore en germe, ou qu'elle arrive à son terme. » C'est toujours l'agnostique Jean Rostand qui parle.

De la mosquée au Vatican

Quelle est la doctrine des trois grandes religions monothéistes (musulmane, juive et chrétienne orthodoxe et catholique) sur l'euthanasie?

L'Islam, par la voix du Coran, est explicite. La sourate 2 déclare qu'« il est interdit de donner la mort, si ce n'est à bon droit » ; à bon droit, c'est-à-dire la peine de mort pour un criminel si la sauvegarde de la société l'exige. Hors de ce cas, le meurtre est formellement condamné par l'Islam. La sourate 3 précise encore: « Ne vous tuez pas, car Dieu est plein de compassion pour vous. Quiconque tue sera passible de la géhenne éternelle. » La doctrine générale du respect de la vie s'applique également à l'avortement. Toute vie humaine doit être respectée du début à la fin. La vie et la mort dépend de Dieu.

Le judaïsme est tout aussi formel au sujet du respect de toute forme de vie humaine. Pour le monothéisme juif, c'est Dieu qui donne la vie. Aucune autorité humaine ne peut se permettre, pour quelque motif que ce soit, d'en disposer d'une façon délibérée, qu'il s'agisse de sa propre vie, dans le suicide, ou de celle d'un autre, dans l'homicide. « Toutes les vies m'appartiennent. L'âme du père comme celle du fils, c'est à Moi qu'elles appartiennent », lit-on au livre d'Ézéchiel.

Les chrétiens orthodoxes, par la voix du théologien russe de l'émigration Olivier Clément va dans le même sens: « L'euthanasie n'a pas de sens dans la mesure où nous croyons que la vie terrestre est seulement un moment du destin de l'homme, que ce destin traverse la mort, et que, en Christ, la mort est vaincue. L'euthanasie est essentiellement le problème que peut poser une société nihiliste pour laquelle la seule réalité est la vie terrestre et qu'il faut avant tout éviter la souffrance. »

La doctrine catholique romaine sur le respect de la vie est la même que celle des chrétiens orthodoxes. Le pape Pie XII l'a rappelé d'une façon non équivoque le 29 octobre 1951 : « Tout être humain - même l'enfant dans le sein de la mère - tient le droit à la vie essentiellement de Dieu, non de ses parents ni de quelque société ou autorité humaine que ce soit. Il n'y a donc aucun homme, aucune autorité humaine, aucune indication médicale, eugénique, sociale, économique, morale, qui puisse disposer directement et délibérément d'une vie humaine innocente en vue de sa destruction. »

Pie XII, le 24 février 1957, devant une assemblée internationale de cinq cents médecins et chirurgiens précise sa pensée. La douleur n'a pas de valeur comme telle; elle ne prend sa dignité morale que dans la mesure où elle sert d'expression à l'amour de Dieu. Par conséquent, l'usage des anesthésiants pour calmer la douleur est légal. Toute forme d'euthanasie directe - administrer un narcotique dans le but de provoquer la mort - est illicite. Si, entre la narcose et l'abrègement de la vie, n'existe aucun lien causal direct causé par la volonté des intéressés, ou la nature des choses, et si, au contraire, l'administration du narcotique n'entraîne pas elle-même deux effets distincts (soulagement des douleurs et abrègement de la vie), elle est licite.

C'est la morale de la règle du double effet. Le médecin vise (effet direct) le soulagement la douleur mais entraîne (effet indirect) un raccourcissement de la vie terrestre. Il est donc possible, selon la pensée catholique romaine, de donner des calmants (effets directs) à un malade souffrant, sachant très bien que cela peut diminuer ses nombres de jours à vivre (effets indirects). Cette position est logique et totalement humane. Je l'adopte totalement. Sans passer par la commission sur le droit de mourir dignement !





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2 commentaires:

Sébas a dit…

Voici un intéressante remise en question:



10 juin 2010

"Avortement, euthanasie, suicide et peine de mort: un éclairage nouveau

Je suis favorable, depuis plusieurs années, notamment à l’interruption de grossesses non désirées, que ce soit par « accident de parcours » ou, à plus forte raison, à la suite d’un viol. Mon adhésion repose sur trois piliers : une profonde compréhension empathique du drame intérieur vécu par les femmes confrontées à cette situation, ma complicité avec la libération récente des femmes après des siècles de domination de la part de la société laïque et religieuse masculine et, finalement, les nombreuses et touchantes confidences reçues à ce sujet dans le cadre de ma pratique professionnelle en psychothérapie.

Questionnement pour consolider ma position

Cependant, en raison du débat actuel qui s’enflamme de plus en plus au regard de l’avortement et de l’euthanasie, et de quelques questions embêtantes reçues récemment, j’ai senti le pressant besoin de chercher à consolider davantage les motifs de mon adhésion à ces causes aussi nobles que délicates. Mes réflexions m’ont d’abord conduit à me poser la question suivante : peut-on librement disposer de sa propre vie ou bien de celle d’une autre personne? Il m’est alors apparu que pour pouvoir disposer librement de quelque chose – disons un bien ou une somme d’argent – il faut en être propriétaire, l’unique propriétaire. Il convient donc de se demander si on est propriétaire de sa propre vie et si une femme peut l’être de la vie du fœtus non désiré qu’elle porte.

Nature et origine de la vie

Ces questions en ont fait surgir une autre encore plus fondamentale : quelle est la nature et la provenance de la vie? Au meilleur de ma conscience, j’ose avancer que la vie, celle qui m’anime en ce moment, c’est une énergie bien mystérieuse, mais non moins réelle qui m’a été transmise par mes parents à l’instant même de ma conception. C’est cette énergie vitale qui a permis à leurs cellules procréatrices, porteuses du génome humain, de se multiplier, de se différencier et de s’organiser pour former l’embryon, puis le fœtus qui est devenu la personne que je suis maintenant. Je considère que c’est cette même énergie qui maintient mon organisme en vie depuis plus de soixante ans et qui anime foncièrement non seulement mes fonctions physiologiques, mais aussi tous mes processus cognitifs, affectifs, motivationnels, décisionnels et comportementaux. À l’instar de l’énergie électrique qui « anime » mon ordinateur, lorsque l’énergie vitale est interrompue radicalement, de quelque manière, un seul instant, plus rien ne fonctionne et je ne suis plus qu’une masse de matière inerte et inutile dont on se départit rapidement.

Puisque la vie s’est transmise de génération en génération depuis les lointaines origines de la matière biologique à laquelle elle est intimement liée¸ quelle est donc la centrale ou la source primordiale d’où provient l’énergie vitale? Les uns répondent que c’est le Big Bang, d’autres proposent que c’est ce Potentiel primordial indéfinissable qui a généré le Big Bang dont les particules élémentaires sont à l’origine de tout ce qui a existé, existe et existera dans l’univers. Bref, l’énergie vitale, la vie, provient d’une source première à laquelle elle appartient totalement; celle-ci l’a mise en circulation sans s’en déposséder, nous l’a transmise et prêtée afin qu’on s’en serve et qu’on en jouisse par usufruit."

Sébas a dit…

Suite et fin:

"Dérangeante remise en question

Au départ, je ne pensais jamais qu’en suivant le fil d’Ariane de mon questionnement, j’aboutirais à la remise en question de ma position initiale que je voulais seulement consolider. Je me suis pris à mon propre piège, pour ainsi dire, et je suis maintenant acculé à reconnaître, en toute honnêteté, rigueur intellectuelle et conviction, que personne n’est propriétaire de la vie, ni de la sienne, ni de celle d’une autre personne. Par conséquent, personne n’a le droit de disposer librement de sa propre vie, ni d’en disposer pour mettre fin à son affreux désespoir, à une pénible existence en phase terminale, pour se libérer d’une grossesse non désirée ou même pour punir de peine de mort le plus grand criminel.

Vous admettrez comme moi, que c’est une conclusion fort embarrassante. Dans mon cas, elle m’écartèle entre la vive compassion que j’entretiens pour la personne vivant un drame intérieur - tel celui de la femme enceinte à la suite d'un viol - et cette norme éthique qui commande le respect du droit inconditionnel et inaliénable à la vie de toute personne, quels que soient son âge - de quelques jours à plus de cent ans -, sa qualité de vie physique ou mentale, son comportement social, etc. Je ne vois qu’un seul cas où il est permis de mettre fin à la vie de quelqu’un : la « légitime défense », qu’on appelle « avortement thérapeutique » lorsque la poursuite d’une grossesse met gravement en danger la vie de la femme enceinte.

Je me demande cependant si on ne pourrait pas admettre, un jour, l’ « euthanasie thérapeutique » dans certains cas exceptionnels comme, par exemple, celui d’une personne en phase terminale qui est aux prises avec des douleurs atroces contre lesquelles la médecine est impuissante, comme c’est le cas des métastases osseuses qu’on ne peut soulager même par les plus fortes doses de morphine. Le respect de la vie doit-il aller jusqu’à laisser mourir de faim et d’acidose respiratoire cette personne qui souffre le martyre?

De la compassion à l’aide thérapeutique

Alors que faire, dans cette optique du respect de la vie, si on ne veut pas se comporter en sans-cœur, par exemple, face au profond état de « crise d’avortement » d’une femme qui se trouve enceinte à la suite d’un viol des plus violents? À mon avis, il me semble qu’on doit agir de la même manière envers elle qu’on le ferait envers la personne en crise suicidaire, celle qui vient de perdre la vue, celle qui devient soudainement quadriplégique, la personne gravement brûlée, etc. À l’instar de tous ces cas, la personne confrontée à une grossesse fortement non désirée a alors énormément besoin d’aide, de soutien, de compassion et d’amour inconditionnel pour assumer la vie qu’elle porte au lieu d’en disposer au plus tôt. Au-delà des efforts de ses proches, il faudrait, pour aider adéquatement cette personne si lourdement éprouvée, qu’on mette en place des ressources sociales spécialement formées pour l’aider à surmonter cette crise et la soutenir étroitement durant la poursuite de sa grossesse tellement non désirée au départ. Pour respecter à fond, individuellement et collectivement, le droit inconditionnel à la vie, il faut accroître encore davantage notre compréhension, notre compassion et notre solidarité envers ces femmes puisque c’est la vie elle-même qui le requiert.

Je désire préciser, en conclusion, que la publication de cet article n’a rien à voir avec le désir de soutenir le mouvement Pro-Vie, ni d’appuyer les récentes déclarations du cardinal Marc Ouellet. Je désire seulement apporter ma modeste contribution à ce débat de société en partageant les prises de conscience que mon propre questionnement m’a amené à faire."


Norman Poulin, Sherbrooke

Source:
http://lejournaldesherbrooke.canoe.ca/webapp/sitepages/content.asp?contentid=145859&id=1713&classif=Nouvelles