lundi 24 mars 2025

France — Naissances issues de l’immigration récente, les chiffres chocs

Dans le domaine réputé « sensible » de l’immigration, la collecte et le partage public de données par les institutions compétentes sont suffisamment rares pour que leur mise en œuvre soit saluée lorsqu’elle a lieu. Il s’agit d’un effort auquel le ministère de l’Intérieur s’astreint de manière accrue depuis plusieurs années, à travers un programme d’étude dénommé «Enquête longitudinale sur l’intégration des primo-arrivants», mieux connu sous l’acronyme Elipa.

Cette enquête, menée sous la supervision de la Direction générale des étrangers en France (DGEF), se donne pour objectif d’« appréhender le parcours d’intégration en France des immigrés durant les quatre années qui suivent l’obtention de leur premier titre de séjour ». Elle s’intéresse pour cela à un panel représentatif d’étrangers majeurs, ressortissants de pays extérieurs à l’union européenne, auxquels a été délivré un premier titre de séjour en 2018 et qui résident dans les dix départements les plus peuplés par les primo-arrivants de cette année-là.

Jeudi 13 mars dernier, le ministère a mis en ligne de nouvelles données obtenues par l’intermédiaire d’Elipa, portant sur « la fécondité des femmes primo-arrivantes» – c’est-à-dire les naissances issues des femmes immigrées installées récemment sur le territoire français. L’analyse de ces chiffres conduit à établir des constats saisissants, qui illustrent de manière factuelle l’impact puissant des flux migratoires sur la transformation rapide du paysage démographique de la France.

Une première observation saute aux yeux : le pic des naissances issues des femmes immigrées se situe dès la première année après leur arrivée sur le territoire. La part de ces naissances qui ont lieu un an après leur installation est trois fois plus élevée que celle enregistrée un an avant la migration. Cette plus forte fécondité se maintient nettement, quoique de façon décroissante, dans les trois années qui s’ensuivent. L’immigration en France apparaît donc comme un puissant déclencheur de fécondité parmi les femmes extra-européennes qui s’établissent dans notre pays.

Plusieurs raisons peuvent être avancées pour éclairer un tel diagnostic. Il est probable qu’un certain nombre de femmes décalent des naissances qu’elles envisagent, jusqu’au moment de leur installation en France – synonyme d’une stabilité recherchée et d’un plus grand confort. En effet, les dispositifs d’accompagnement familial et social proposés en France sont sans commune mesure avec la situation dans les pays de départ, où ils sont bien souvent inexistants. Le délai minimal de résidence sur le territoire français requis pour bénéficier des principales prestations familiales (les allocations familiales, la prime à la naissance, l’allocation de rentrée scolaire…) est de neuf mois seulement, sans aucune limitation selon la nationalité.

Par ailleurs, comme le souligne justement l’étude ministérielle, «les primo-arrivantes migrent souvent pour rejoindre de la famille, conjoint ou enfants, permettant plus favorablement une nouvelle naissance». En effet, la France reçoit l’immigration la plus « familiale » de toute l’Europe de l’ouest : la part des entrées d’immigrés permanents effectuées sur le fondement d’un motif « famille » a représenté 41 % du total des entrées sur la période 2005-2020 (un taux 3 fois supérieur à celui constaté en Allemagne), contre 10,5% pour le motif « travail ». Or l’analyse de cette publication ministérielle permet de constater que le pic de naissances est particulièrement marqué chez les immigrées qui sont inactives à leur arrivée : toutes choses égales par ailleurs, les femmes au foyer ont environ 30 % de chances en plus d’avoir un nouvel enfant dans les quatre ans suivant leur migration en France que les immigrées occupant un emploi.

Un autre constat marquant porte sur le fort écart de ces trajectoires selon les pays d’origine des immigrées. Ainsi, 57 % des immigrées algériennes ont au moins une naissance dans les quatre années suivant leur arrivée en France. C’est aussi le cas de 56 % des Maliennes, 54 % des Comoriennes ou 48% des Ivoiriennes, contre seulement 15% des immigrées philippines et 18% des Chinoises. Plusieurs facteurs sont à l’œuvre derrière de telles différences, ayant notamment trait aux habitudes sociales à l’œuvre dans les États de départ : les femmes originaires de pays où la fécondité est déjà élevée ont une probabilité significativement plus forte de connaître une naissance dans les années suivant la migration. Cette corrélation se vérifie par exemple avec les immigrées originaires du Mali – pays dont l’indice de fécondité s’élève à 5,5 enfants par femme.

La France présente, en effet, la singularité d’accueillir l’immigration la plus africaine d’Europe (3 fois la moyenne de L’UE pour la part des immigrés originaires d’Afrique dans le total de la population immigrée). Or, cinq des six États du monde qui connaissent le plus fort indice de fécondité sont des pays d’Afrique francophone. Il apparaît ainsi clairement que « l’immigration ne rend pas stérile », comme l’a formulé le démographe Gérard-François Dumont.

Cependant, des écarts inexpliqués se font jour pour certains pays d’origine. Prenons l’exemple des immigrées tunisiennes : 57 % d’entre elles ont un enfant dans les quatre ans suivant leur arrivée en France – record partagé avec les Algériennes. L’indice de fécondité en Tunisie est pourtant descendu à 1,8 enfant par femme l’an dernier, soit un niveau inférieur au seuil de renouvellement des générations. Un tel paradoxe peut aussi être soulevé dans le cas de l’Algérie (dont la fécondité locale est néanmoins supérieure de moitié à celle de la Tunisie). Comme le résume la note ministérielle : à fécondité égale dans le pays d’origine, « les primoarrivantes maghrébines ont entre 20 % et 50 % plus de chances de faire un enfant dans les 4 années après leur installation ».

De tels faits établis soulèvent évidemment d’importantes questions quant aux enjeux d’intégration qui leur sont associés. L’analyse des données issues de L’OCDE avait déjà permis de constater que l’indice de fécondité des femmes nées hors de l’union européenne était, en France, le plus élevé parmi l’ensemble des pays d’Europe occidentale. Pour la première fois en 2023, plus de 30 % des naissances enregistrées en France ont été issues d’au moins un parent né en dehors de L’UE.

Les effets cumulés de l’accélération des flux migratoires et de leur impact sur la natalité emportent des mutations rapides de la société française, qu’aucune politique publique n’apparaît avoir anticipées à leur juste ampleur. Pour reprendre l’expression fameuse de Michèle Tribalat : la stratégie des «yeux grands fermés» ne pourra certainement pas tenir lieu de réponse durable à un tel bouleversement.

Source : Le Figaro

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