dimanche 8 avril 2018

Universités : La liberté de dire aux gens ce qu'ils n'ont pas envie d'entendre

Étudiants britanniques s’opposant à Le Pen :
« Pas de tribune pour le fascisme »
La génération « Flocons de neige », couvée par ses parents, ne supporte pas la contradiction. Cela rend, dans les universités britanniques, le débat difficile.


Le Syndicat national des étudiants du Royaume-Uni (NUS) est une confédération de syndicats d’étudiants au Royaume-Uni.

La NUS, se défend d’avoir instauré un climat de censure sur les campus. Au niveau national, sa liste des organisations interdites ne comprend que 6 sigles. Trois appartenant à l’extrême droite raciste, trois autres relevant du djihadisme. Sur le site libertarien Spiked, un universitaire, Jim Butcher lui répond : « Oui, c’est vrai, en 1974, le syndicat étudiant avait établi une liste sur laquelle ne figuraient que des groupes et partis extrémistes. Mais la politique, sur les campus, a beaucoup changé depuis. La censure s’est répandue. »

Censures d’hier et d’aujourd’hui.

Jim Butcher reconnaît avoir lui-même contribué à empêcher l’intervention du député conservateur Harvey Proctor à la Polytechnique de Coventry, lorsqu’il y était étudiant. Mais, précise-t-il, on était alors en pleine grève des mineurs, la Grande-Bretagne était gouvernée par Margaret Thatcher. Devenu libertarien, il regrette aujourd’hui cet accroc à la liberté d’expression, car ce sont de tels précédents qui ont provoqué l’inflation de censures universitaires que le pays connaît à présent.

Mais cette interdiction de parole était menée, précise-t-il, au nom de la solidarité entre étudiants et travailleurs. Elle n’avait rien à voir avec l’actuelle « politique des identités », au nom de laquelle des groupes, s’arrogeant le droit de « défendre les intérêts » de telle ou telle minorité qu’ils estiment « victimisée », veillent à interdire les points de vue qui leur déplaisent. Aujourd’hui, au contraire, la politique d’interdiction, le « zéro-tribune », a été étendue à toute sorte d’orateurs, qu’ils soient de droite et « même » de gauche. Des petits groupes d’étudiants, se proclamant « vulnérables », et prétendant qu’ils pourraient se sentir « offensés » par les propos qu’ils supposent, obtiennent les « désinvitations » désirées.

Peter Tatchell, un militant de longue date de la cause homosexuelle, fondateur de l’association Outrage ! (c’est-à-dire « Indignation ! » ici), et membre du Parti travailliste, raconte comment il a été, lui aussi, victime, d’une tentative d’interdiction de parole. Invité à un panel de discussion par la Canterbury Christ Church University, sur le thème des « droits » LGBTQ2SSAIP+. Il a appris, sur le tard, que sa présence était dénoncée comme inacceptable par certains participants. La responsable du syndicat étudiant pour les LGBTQ2SSAIP+, Fran Cowling, l’accusait de racisme et de transphobie.



En réalité, il lui était reproché deux choses : avoir signé un appel collectif à la liberté d’expression dans The Observer et avoir dénoncé des chanteurs de reggae jamaïcains ayant appelé au meurtre des homosexuels. Dans cet étrange contexte, pétitionner pour la liberté d’expression est assimilé à un alignement sur des positions réactionnaires. Et dénoncer l’homophobie de musiciens noirs est considéré comme « raciste ». Contrairement à la théorie de la « convergence des luttes », certaines revendications identitaires sont manifestement inconciliables. Lorsqu’on entre dans le vif du sujet, les islamistes, par exemple, peuvent difficilement trouver des terrains d’accord avec les féministes ou avec les associations de défense des droits des homosexuels. Mais sur ces nouvelles « contradictions au sein du “peuple” » comme on disait chez les maoïstes, les nouveaux censeurs jettent un voile pudique.

Il y a clairement une affaire de générations. D’une génération d’enfants uniques de parents âgés ?

Selon le sociologue Frank Furedi, les clivages passaient entre droite et gauche chez les anciennes générations. On débattait d’idées. Aujourd’hui, que « le personnel, c’est le politique », il est devenu impossible de discuter des idées sans mettre en cause la personne. La « politique des identités » sacralise de fait toutes les croyances, toutes les idéologies, parce qu’elles sont rapportées à l’identité de la personne qui les professe. Dès lors, critiquer c’est insulter.

On a affaire à une « génération flocons de neige »,  label que leur a décerné la journaliste Claire Fox, dans son livre « I find that offensive! » (Je trouve ça offensant !) Origine de cette expression, qui fait florès sur les réseaux sociaux ? Une réplique du roman Fight Club de Chuck Palahniuk, dont a été tiré le célèbre film homonyme. « Tu te crois spécial. Tu n’es pas spécial. Tu n’es pas magnifique et unique, comme un flocon de neige. Tu es fait de la même manière organique et pourrissante que n’importe qui. »

La Génération Flocons de neige, ce sont ces jeunes adultes, élevés par des parents, persuadés que leurs rejetons étaient uniques — souvent leur seul enfant, ceci expliquant peut-être cela  — et fragiles et désireux de leur éviter toute contrariété. Du coup, ils prennent la mouche et se sentent « offensés » face à la moindre déviance envers ce qu’ils considèrent comme la seule vision du monde juste, la seule manière de se comporter « appropriée ». Incapables de faire face à la contradiction, à la mise en question de leurs certitudes, ils exigent aussitôt d’en être protégés. D’où les « espaces sûrs ».

Orwell « la liberté de dire aux gens ce qu’ils n’ont pas envie d’entendre »

Dans une préface inédite à son roman La ferme des animaux, refusé alors par les tous éditeurs britanniques, par peur de déplaire aux anciens alliés soviétiques, George Orwell écrivait :

« S’il me fallait me justifier à l’aide d’une citation, je choisirais ce vers de Milton : “Selon les règles admises de l’antique liberté”. Le mot “antique” met en évidence le fait que la liberté de pensée est une tradition profondément enracinée, sans doute indissociable de ce qui fait la spécificité de la civilisation occidentale. Nombre de nos intellectuels sont en train de renier cette tradition. Ils ont adopté la théorie selon laquelle ce n’est pas d’après ses mérites propres, mais en fonction de l’opportunité politique, qu’un livre doit être publié ou non, loué ou blâmé. […] Parler de liberté n’a de sens qu’à condition que ce soit la liberté de dire aux gens ce qu’ils n’ont pas envie d’entendre. »


Source : France-Culture

Voir aussi

Des universités politiquement correctes qui doivent « protéger » leurs étudiants

Le genre et l’université : une chape de plomb s’abat


Canada — Liberté d’expression et d’opinion menacée dans les universités


Jordan Peterson sur l’écart salarial, l’imposition des pronoms trans et la gauche radicale

Université Wilfred Laurier (Ontario) — S’opposer aux pronoms transgenres (Jordan Peterson), c’est comme Hitler...

Étude — Plus on est « progressiste », plus idéaliserait-on ou nierait-on la réalité ?

Religion — Pourquoi le cerveau (de progressistes ?) refuse-t-il de changer d’opinion politique ?

La croisade des LGBT contre la liberté d’expression et les distinctions linguistiques immémoriales

L’assistante intimidée par l’université Wilfrid Laurier ne croit pas en la sincérité des excuses de l’université (M-à-j)

La censure sur les campus du Canada

Aucun commentaire: