dimanche 6 novembre 2016

Québec — La réforme de 2000 est un échec, disent les enseignants

Parents, ne vous fiez pas trop aux bulletins de vos enfants : les notes sont couramment gonflées artificiellement pour que l’école ait l’air de répondre aux attentes du gouvernement. La réalité, c’est que les programmes éducatifs québécois sont mal foutus et que l’école produit trop d’analphabètes fonctionnels.

Critique de l’apprentissage par compétences

C’est ce qu’ont dénoncé, hier, sans détour et d’une même voix les trois syndicats d’enseignants francophones de l’île de Montréal dans le cadre de la commission sur la réussite scolaire mise en place par le ministre de l’Éducation, Sébastien Proulx.

« On veut que l’élève réussisse [sur papier] à tout prix, quitte à mentir ou à niveler par le bas. Que veulent vraiment dire les notes du bulletin ? », a demandé hier Mélanie Hubert, présidente du Syndicat de l’enseignement de l’ouest de Montréal qui représente les enseignants de la commission scolaire Marguerite-Bourgeoys.

« La réforme [des programmes scolaires instaurée en 2000] a voulu apprendre aux élèves à apprendre. Mais encore fallait-il leur faire apprendre quelque chose ! »

Après une première moitié de mandat passée dans le brassage de structures de commissions scolaires et dans les coupes, le ministre Proulx a voulu entendre les acteurs de l’éducation sur les façons d’améliorer la réussite scolaire. Les syndicats ont saisi l’occasion et n’ont pas mis de gants blancs.

À leurs yeux, le ministère de l’Éducation doit reconnaître que sa réforme des programmes pédagogiques mise en place en 2000 est un échec.

« Ça fait 15 ans que la réforme est implantée, et les enseignants ont encore du mal à s’y retrouver », se désole Mme Hubert.

Plutôt que de transmettre de vraies connaissances aux enfants, la réforme de 2000 a cherché à leur donner des compétences. « Mais des compétences, c’est vague à enseigner et vague à évaluer. »

Des exemples de compétences trop floues ? « Mes préférées, a dit avec une pointe de sarcasme Mme Hubert en coulisses, ce sont celles qui nous demandent d’évaluer si l’enfant a su “adopter un mode de vie sain et actif” et s’il sait lire “des textes variés”. »

Rappelons ici ce que disait Jacques Dufresne : « la compétence est un faisceau de savoirs ». On ne peut acquérir celle-ci sans les autres, comme conséquence des autres.

Trop d’évaluations ?

Le ministre a écouté et donné quelques indices des changements qu’il compte apporter. « Le taux de diplomation est plus élevé en Ontario, où on évalue beaucoup moins souvent les élèves qu’au Québec. Les enfants ontariens ont 16, 17 ou 18 évaluations du primaire au secondaire et les Québécois, quelque chose comme 83. Pensez-vous, comme moi, qu’on devrait évaluer les enfants moins souvent ? »

Assurément ! a lancé Mme Hubert. « On passe notre temps à évaluer et à préparer les enfants à des examens et trop peu de temps à enseigner. »

En entrevue en fin de journée, le ministre Proulx a expliqué « qu’on aura toujours besoin d’un système d’évaluation » mais qu’il entendait voir s’il y aurait moyen de limiter le nombre d’examens et « la pression indue mise sur les élèves et sur le personnel ».

« Enseignant seul responsable de la réussite de l’élève »

Notons que lorsque les enseignants ont déclaré qu’ils adhéraient à l’objectif du ministre d’en réduire le nombre, ils confortaient du coup un des préceptes de la réforme qui commandaient de s’appuyer beaucoup plus sur le jugement professionnel des enseignants que sur une ribambelle de tests.

Pour Réjean Parent du Journal de Montréal, souvent abandonnés par leur direction, les enseignants devraient se dépêtrer avec un grand nombre de parents contestant l’évaluation faite de leurs enfants. Aussi enchanteresse que la reconnaissance du jugement professionnel puisse paraitre, beaucoup d’enseignants préfèrent se baser sur une multitude d’examens plutôt que sur leur jugement professionnel pour justifier l’évaluation du rendement des enfants dont les parents sont récalcitrants, d’où une certaine déconnexion avec les visions ministérielles et syndicales.

Dans la même veine, les annonces publicitaires d’une fédération d’enseignants voulant que l’enseignant soit le seul maître en classe, devraient tout autant réjouir le ministre qui voudrait installer un ordre professionnel et rendre l’enseignant seul responsable de la réussite de l’élève et, doit-on comprendre, plus le ministère qui pourtant impose les programmes et tient les cordons de la bourse ?

Pour ce carnet, c’est chaque école qui devrait être responsable de la réussite de ses élèves, si ceux-ci ne progressent pas assez les parents devraient être libres de mettre ailleurs leurs enfants sans que cela ne leur en coûte grâce à des mesures comme le chèque-éducation. Les écoles devraient s’améliorer, encourager, former et accompagner leurs enseignants, dans le pire des cas se débarrasser des moins bons, afin de garantir la survie de l’école puisque leurs financements se feraient au nombre d’élèves qui les fréquentent. Le choix d’école devrait être garanti dans nettement plus de régions du Québec. Cela signifiera sans doute une diminution de la taille de certaines écoles ce qui pourrait aussi permettre aux adultes de ces écoles de mieux connaître leurs élèves et d’assurer une plus grande discipline.

Redoublement

La présidente du Syndicat de l’ouest de Montréal a préconisé de revoir le système de redoublement. « Oui, il faudra repenser le système de redoublement, mais si le redoublement, à l’origine, n’était pas la solution, l’autopromotion actuelle ne l’est pas non plus. »

Inégalités sociales

La compétition entre les écoles, et plus particulièrement avec les écoles à vocation particulière, qui accentuent les inégalités au détriment des élèves issus de milieux défavorisés, comme le révélait le Conseil supérieur de l’éducation cette semaine, a également été relevée par plusieurs intervenants qui ont défilé devant le ministre vendredi. « Le problème, ce n’est pas les programmes particuliers et les projets de certaines écoles, lance Pascale Grignon, porte-parole du mouvement Je protège mon école publique. C’est le fait que les autres écoles et les autres élèves n’aient pas cette même chance. Il y a ici un réel enjeu d’accessibilité et d’équité. Ne nivelons pas vers le bas, côté stimulation. Au contraire ! Inspirons-nous de ce qui motive et plaît et offrons-le à tous les élèves, qu’ils réussissent très bien ou non, dans toutes les régions. »

Ce carnet est tout à fait pour que les « défavorisés » économiques puissent avoir accès aux meilleures écoles dans toutes les régions, aux meilleurs profs au mérite. Pour cela des chèques-éducation valables dans des écoles privées ou des écoles publiques sélectives seraient une solution. Nous ne sommes pas sûrs de ce que signifie « offrons-le à tous les élèves, qu’ils réussissent très bien ou non ». Faut-il que même les élèves qui ne réussissent pas aient accès à des programmes sélectifs ?


Sources : La Presse, Le Devoir et Journal de Montréal

Voir aussi

(livre) Échec de l’enseignement par compétences, retour à une instruction centrée sur les connaissances

Québec — Analphabétisme fonctionnel et diplomation sont en hausse

ECR comme compétence sans savoir prescrit (ECR — Ramener l’éthique à une simple question de « vivre-ensemble » pluraliste)

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