jeudi 21 janvier 2016

Quand la femme était vénérée...

On n'est plus au Moyen Âge ! Et c'est parfois bien dommage, quand on songe au respect que cette époque réputée obscure avait su témoigner à la femme...

À notre époque confuse entre toutes, des féministes peuvent partir en guerre contre un festival de BD (celui d'Angoulême, du 28 au 31 janvier [Voir Radio-Canada pour qui la polémique prenait de l'ampleur], coupable d'avoir omis de glisser des noms féminins dans la liste de ses lauréats potentiels, et se taire d'un silence assourdissant quand des centaines de femmes sont la proie de prédateurs sexuels dans un pays voisin. [Avant de dénoncer le racisme des sociétés occidentales ainsi que le conservatisme et le machisme de toutes les sociétés patriarcales y compris occidentales...]


Manifestation féministe (300 personnes) devant le parvis de la gare de Cologne pour dénoncer le sexisme et le racisme... Vidéos allemandes sous-titrées en français sur les agressions sexuelles ici, ici et .

Le cache-sexe de la parité dissimule de plus en plus mal la démission générale devant la régression de la protection accordée aux femmes et à leur droit d'aller et venir où et quand bon leur semble sans être insultées, harcelées, molestées.

Cette époque se vit pourtant comme un âge d'or de la condition féminine, chèrement conquis sur l'obscurantisme passé. À ceux qui partagent cette idée reçue, on ne saura trop conseiller d'aller voir un étrange et délicieux ovni cinématographique, les Filles au Moyen Âge, d'Hubert Viel. Outre le plaisir malicieux qu'ils y prendront, ils pourront revenir à la source même de ce qui constitue la fondamentale originalité de la société occidentale dans les rapports entre les sexes.

L'histoire se passe un jour d'anniversaire, avec des enfants qui veulent jouer au Moyen Âge : pour les garçons, ça consiste à occire tout ce qui bouge et, pour les filles, à servir de proies aux seigneurs. Tout faux ! intervient le grand-père, interprété avec gourmandise par Michael Lonsdale.

Tandis qu'il rétablit la vérité, une suite de saynètes hilarantes, jouées par les enfants avec leur propre vocabulaire, remettent l'histoire à l'endroit, et notamment comment, en reconnaissant Marie comme mère de Dieu, le concile d'Éphèse (431) a bouleversé le regard porté sur les femmes : « Il est scandaleux de traiter les femmes comme nous le faisons ! On a complètement déconné ! », conclut un saint Cyrille d'Alexandrie joué par un bout de chou de 10 ans à la fausse moustache.

Et les petits comédiens d'égrener en jouant les conséquences concrètes de cette révolution : comment les femmes créèrent des écoles et des hôpitaux gratuits, comment l'amour courtois les fit régner sur le coeur des hommes, comment de grandes figures, de Hildegarde de Bingen à Jeanne d'Arc, bouleversèrent l'histoire et les connaissances...




Audacieux dans sa forme très libre, le film l'est aussi dans son propos, fantaisiste par son énonciation mais sérieusement étayé par les études de Régine Pernoud (la Femme au temps des cathédrales) ou de Jacques Heers (le Moyen Âge, une imposture). Dans une interview, Hubert Viel n'hésite pas à voir dans le Christ l'initiateur de ce respect de la femme qu'a témoigné le Moyen Âge : « Imiter le Christ, c'était la loi, le code civil de l'époque. [...] Montrer une apparition christique à l'écran, c'est marquer la rupture avec l'Antiquité [...] où les femmes étaient mineures et sous tutelle à vie. » Ni à dénoncer, à notre époque, « une forme de féminisme radical qui n'en est pas un et qui n'est qu'un libéralisme déguisé » : « Lorsque les Femen ont envahi Notre-Dame de Paris, je me suis dit qu'elles n'avaient rien compris car cette cathédrale dédiée à une femme a été bâtie à l'époque même de la puissance des femmes. »

La puissance des femmes au Moyen Âge, la biographie qu'André Vauchez consacre à Catherine de Sienne (1347-1380) en donne un saisissant exemple : voilà une simple fille de teinturier, qui, sans même embrasser la vocation religieuse, non seulement devient l'une des grandes figures mystiques de son temps, mais intervient avec autorité et véhémence dans les affaires temporelles, admonestant rois et princes de l'Église, allant jusqu'à menacer le pape des foudres du ciel s'il ne s'attaque pas avec vigueur à la corruption de son clergé. Et loin de la traiter de folle, on l'a canonisée moins d'un siècle après sa mort. Cette puissance des femmes dans l'Occident médiéval, dont Catherine n'est qu'un exemple, voilà bien l'un des fruits les plus étonnants et les plus merveilleux de la révolution chrétienne.

[Rappelons que le siècle des Lumières, la Révolution française et l'Empire napoléonien marquèrent, pour certains auteurs, une régression de la condition féminine. Voir liens ci-dessous.]

Catherine de Sienne,
d'André Vauchez,
publié aux éditions Cerf,
à Paris,
en octobre 2015,
256 pages,
24 €.

Source : Valeurs actuelles

Voir aussi

La place des femmes au Moyen-Âge : elles votaient, elles ouvraient boutique sans autorisation maritale

La femme au temps des cathédrales (m-à-j vidéo Apostrophes avec Regine Pernoud)

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Les manuels scolaires québécois d’histoire...

« Je ne suis pas d’accord avec vous, mais je me battrai pour que vous puissiez le dire » (Voltaire misogyne)

Le rôle de la femme et de l'Église au Moyen Âge

1 commentaire:

Raoul a dit…

Sur le film Les Filles au Moyen Age lire cette critique

http://www.senscritique.com/film/Les_filles_au_Moyen_Age/critique/79377231

Extrait


Tout cela est mis au service d’une thèse qui, elle, est tout à fait sérieuse : la démystification d’une historiographie républicaine et progressiste selon laquelle le statut des femmes en Europe, avant la Renaissance et surtout avant la Révolution, aurait été un enfer.
Le film s’ouvre avec la présentation d’une zone pavillonnaire sans âme, entre villas proprettes et stéréotypées et éoliennes silencieuses. Dans ce no man’s land des classes moyennes, de petits garçons s’adonnent à un jeu vidéo d’inspiration médiévale, au grand déplaisir de petites filles qui auraient préféré « jouer au Moyen-Âge pour de vrai ». De guerre lasse, elles vont au salon rejoindre le grand-père, interprété par Michael Lonsdale qui, avec le personnage très discret de la mère, sera la seule figure adulte du film. Pour distraire les enfants, le vieil homme ouvre alors un livre et leur narre la véritable histoire du Moyen-Âge, une histoire dans laquelle les femmes, loin d’être asservies sous le joug d’un patriarcat obscurantiste, étaient plus libres qu’on ne le pense et surtout plus respectées. Nous progressons dans le temps depuis le concile d’Ephèse jusqu’aux amours d’Agnès Sorel en passant par l’influence de Clotilde dans la conversion de Clovis, par les audaces savantes d’Hildegarde de Bingen, l’idéalisation platonique de la femme à l’époque de la poésie courtoise ou les exploits guerriers de Jeanne d’Arc.
D’ailleurs, à l’exception de cette dernière, Hubert Viel ne se focalise pas sur les figures féminines médiévales les plus connues (il ne dit ainsi pas un mot de Marie de Champagne, de Christine de Pisan ou d’Aliénor d’Aquitaine) mais préfère mettre en lumière des figures secondaires ainsi que des femmes anonymes ou des personnages carrément sortis de son imagination, comme cette petite Euphrosine qui, venue amener du miel de lotus à Cyril d’Alexandrie, voit celui-ci s’agenouiller devant elle, frappé soudain comme une évidence par la sainteté de la Vierge…
Construit comme un film à sketches, ce qui lui permet de franchir les siècles et de passer d’une époque à l’autre, "Les Filles au Moyen-Âge" est un film à thèse dépourvu de la lourdeur et de l’esprit de sérieux souvent associés à ce type de propos. Si Hubert Viel connaît fort bien son sujet et qu’il s’est documenté avec rigueur avant d’écrire son scénario – ce dont j’ai pu me rendre compte en échangeant avec lui – il a préféré faire passer son message sous une forme poétique plutôt que strictement historienne. Et tant mieux puisque nous sommes au cinéma ! Afin de donner de l’esprit à son propos et de ménager une certaine spontanéité dans le jeu de ses jeunes acteurs, il se permet de temps à autre, notamment dans le langage, quelques anachronismes, mais sans excès, savamment dosés, afin de ne pas en faire un ressort comique systématique. Les ellipses, le sens de la synthèse, le recours aux métaphores visuelles, permettent d’alléger le message tout en faisant sourire le spectateur au moyen de divers procédés : l’adoucissement de la situation des femmes après la fin de l’Empire romain exprimé par des scènes de lapidation de plus en plus mollassonne, des chaines qui tombent d’un coup des poignets des esclaves pour illustrer le message du Christ, Lonsdale interrompant sa narration en voix off pour dialoguer en aparté avec Charles VII…