dimanche 22 mars 2015

L'épistémologie attrape-nigaud d'ECR


Billet du professeur de philosophie Jean Laberge repris de son blogue :

« Dans une société libérale comme la nôtre, tout le monde est en faveur de l’ouverture aux autres, de la différence, de la tolérance, du dialogue pour un vivre-ensemble harmonieux et paisible, et autres flonflons du même genre. Qui veut la fermeture, le refus de l’autre et de la différence ? Personne. Dans le meilleur des mondes, tous sont pour la vertu. En ce sens, disent les concepteurs du programme, nous devons tous souscrire programme d’Éthique et de culture religieuse (ECR) implanté dans nos écoles depuis septembre 2008, mais qui n’a de cesse de susciter la controverse. La récente décision de la Cour suprême d’exempter une institution privée d’enseignement catholique (le collège Loyola) du cours ECR, a remis le débat sur la table. Antoine Robitaille parle d’une « reconfessionalisation », et Mathieu Bock-Côté réaffirme son mantra voulant qu’ECR soit le véhicule de l’infâme multiculturalisme.

À mon avis, ce n’est pas tant le pluralisme prôné, par son principal concepteur, Georges Leroux, voire le multiculturalisme qu’il induit et que condamne Mathieu Bock-Côté, qui pose problème dans ECR. C’est sa base épistémologique. Rappelons que ECR origine du Rapport Proulx sur la place de la religion à l’école. Ledit rapport posait que l’école doit respecter les droits de la personne, notamment l’égalité fondamentale des citoyens et citoyennes devant la liberté de conscience et de religion. La conclusion du dit rapport coule, semble-t-il, de source : l’État doit s’abstenir de prendre position en faveur ou en défaveur de l’une ou l’autre des religions ; il ne doit pas favoriser l’enseignement d’une quelconque confession religieuse. En d’autres termes, un cours d’enseignement religieux doit simplement transmettre des connaissances de nature culturelle sur les diverses grandes religions. Le Rapport Proulx nous représente l’enseignement religieux catholique comme un enseignement doctrinaire. L’élève y assimilait, semble-t-il, les croyances catholiques. Le professeur enseignait de son côté les « vérités de la foi » du catholicisme. Un libéral, même croyant comme Jean-Pierre Proulx, avait alors toutes les raisons de condamner ce type d’endoctrinement.

Donc, ECR est ainsi fignolé pour n’enseigner que des connaissances [Note du carnet : et pas beaucoup !], pas des croyances. ECR présuppose donc qu’il existe une nette distinction entre les deux, connaissance, d’une part, et croyance, d’autre part. Depuis Platon, la connaissance est définie comme une croyance vraie justifiée. En matière de religion, la connaissance comme « vérités révélées », du moins en christianisme, posent de redoutables problèmes si l’on adopte la définition platonicienne de la connaissance, reprise par Descartes, qui, soit dit en passant, fut érigé en dogme absolu au Siècle des Lumières. En effet, devant le succès fulgurant des sciences expérimentales, la connaissance comme croyance vraie justifiée, se précisa davantage : aucune croyance autre que ce qui est matériel et naturel n’est admissible et légitime. Ce qui est « vrai », donc connaissable, ne peut être surnaturel ou immatériel. Les « vérités de la foi » se trouvèrent dès lors disqualifiées au titre de « connaissances ». Elles devinrent de simples croyances, telles celles de la croyance en une théière qui orbiterait autour de la terre (l’exemple est de Bertrand Russell). Les chrétiens reçurent l’étiquette de « croyant », tout comme les adeptes de l’islam, du judaïsme, qui croient donc à des vérités surnaturelles et immatérielles. Pourtant, les chrétiens ne se désignèrent jamais comme des « croyants », mais plutôt comme des témoins ou des fidèles de Jésus. Plus radical encore, un mathématicien et philosophe britannique du troisième quart du XIXe siècle, William Clifford, forgea l’expression « éthique de la croyance » (ethics of belief), en vue de mettre au pilori la religion chrétienne : « Il est mauvais toujours, partout pour quiconque, de croire quelque chose, sur la base d’une évidence insuffisante ». Lorsque les partisans du Canadien croyaient par les années passées que leur club allait gagner la coupe Stanley, non seulement ils se gouraient, selon Clifford, mais ils étaient moralement coupables d’entretenir ce type de croyance non fondée. Voilà, en gros, l’épistémologie évidentialiste qui a cours aujourd’hui et qui se trouve être au cœur du programme ECR. Le programnme ECR ne veut inculquer aucune croyance de nature immatérielle et surnaturelle aux jeunes parce qu’il est éthiquement mauvais ou préjudiciable de le faire, du moins selon l’épistémologie évidentialiste préconisée.

À mon sens, les catholiques québécois ont parfaitement raison de décrier ce sapin qu’ont leur a passé. ECR ne comprend rien à la religion chrétienne et, à fortiori, aux religions. Comment peut-on prétendre connaître quoi que ce soit lorsqu’au départ on pose un principe éthique de la croyance qui condamne la foi chrétienne à n’être qu’une simple croyance comparable à la théière de Russell ? ECR est attrape-nigaud épistémologique. Une autre épistémologie est possible et parfaitement légitime pour la foi chrétienne, c’est l’épistémologie des vertus (voir Roger Pouivet, Épistémologie des croyances religieuses). Rappelons, pour clore, cette vérité chrétienne fondamentale : la foi est une vertu théologale. Pas une simple croyance délirante, n’en déplaise à Russell et consorts. »




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4 commentaires:

Jean-Pierre Proulx a dit…

Vous écrivez à propos du rapport Proulx: « [il] nous représente l’enseignement religieux catholique comme un enseignement doctrinaire. L’élève y assimilait, semble-t-il, les croyances catholiques. Le professeur enseignait de son côté les « vérités de la foi » du catholicisme ». Un libéral, même croyant comme Jean-Pierre Proulx, avait alors toutes les raisons de condamner ce type d’endoctrinement » .

Le carnet déforme les propos du rapport en lui faisant dire au surplus qu’il a présenté l’enseignement religieux catholique comme un enseignement « doctrinaire »!

Il n'en est rien. La présentation qu’il a faite de l’enseignement religieux catholique reprend sans plus et au texte les orientations qu’a formulées le Comité catholique lui-même en 1991 et 1994) et qu’on pourra lire aux pages 30 et 31 du rapport.

Au primaire, le programme d’enseignement religieux, écrivait le Comité catholique, « s’il ne vise pas directement à susciter la foi des enfants, il en rend l’éclosion et le développement possibles au cœur de la culture, des valeurs et du contexte qui sont les leurs ».

Pour ce qui est du programme du secondaire, il concluait: « Sa raison d’être n’est pas d’amener les jeunes à croire ou à s’intégrer à l’Église, mais de recourir aux ressources humaines et spirituelles de l’expérience chrétienne pour éclairer et soutenir la croissance humaine des jeunes dans les passages et les défis qui sont les leurs aux différentes étapes de leur développement. Cet enseignement est confessionnel en ce qu’il véhicule essentiellement la vision chrétienne de la personne, du monde et de la vie, comme pouvant éclairer la recherche d’humanisation qui est celle du jeune » (Comité catholique, 1991, p. 25).

Voilà très exactement la présentation que le rapport Proulx a fait de l’enseignement religieux catholique. Le Groupe de travail que je présidais ne l'a en rien condamné. Il a estimé, après délibération, qu'un enseignement culturel des religions était plus approprié. C'est du reste, en ce moment, l'opinion de 62% des Québécois qui ne veulent pas que ce cours soit aboli (Voir le récent sondage SOM- Cogeco Nouvelles).

Mais, à cet égard, il vous est tout à fait loisible de penser autrement.

Pour une école libre a dit…

« Le carnet déforme les propos du rapport »

Précision : le carnet ne fait que reproduire ce qu'écrit le professeur Laberge, dans un esprit de revue de presse.

Ce carnet n'est pas nécessairement d'accord avec tout ce qu'il publie, même quand il s’abstient de commentaires. Ainsi Bock-Côté et Laberge s'opposent sur leurs critiques du programme ECR et nous les avons tous les deux publiés sans commentaire.

Youssef A. H. a dit…

Se rappeler du but visé par Jean-Pierre Proulx quand il a proposé ce cours à la page 90 de son fameux rapport : « d’initier l’élève aux différentes cultures et aux différentes religions et de les présenter comme des manifestations de l’esprit créateur humain, tout aussi légitimes que la sienne ».


Bref, les religions ont INVENTÉES et ça ose dire que ça respecte les gens et leurs religions qu'ils considèrent RÉVÉLÉES.

Vieux Phil a dit…

M. Proulx ne répond pas à ma critique de fond de nature épistémologique.