dimanche 16 mai 2010

L’école, une mini-démocratie ?

Cette semaine encore Georges Leroux, « le charmant sophiste » et « l’un des penseurs de la réforme » pédagogique selon le philosophe Jacques Dufresne, insistait lors du colloque de l'ACFAS sur le programme d'éthique et de culture religieuse et une de ses marottes : l'école comme lieu d'apprentissage et de réalisation de la démocratie. Nous reviendrons sous peu sur son passage à l'ACFAS.

Marc Chevrier, professeur au département de science politique à l’Université du Québec à Montréal, aborde ce même sujet dans un excellent texte publié dans l'essai collectif Par-delà l'école-machine dont nous avons déjà parlé (ici et ).

Extraits :
« La pédagogie socioconstructiviste érige son école démocratique de différentes façons :
  1. un discours égalitariste de l’enseignement, l’enfant est vu comme un être autonome, maître de ses apprentissages, participant, actif, qui construit son monde, ses découvertes, son sens moral, ses diverses compétences. En contrepartie, l’enseignant cesse d’être un maître, c’est un facilitateur, un accompagnateur, un animateur, un berger désorienté sans chien, un éveilleur, qui se met au niveau de l’élève, de plain-pied avec lui, en évitant de lui rappeler l’inégalité de statut, d’âge et de maturité entre lui, l’enfant, et l’enseignant, l’adulte.

  2. Elle crée un système d’oppositions binaires qui, d’une part, associent ce qui est construit, autoengendré, produit et pensé par soi à ce qui est bien, démocratique, progressif et, d’autre part, renvoient tout ce qui est reçu, transmis, donné au domaine du mauvais, du rétrograde et de l’autoritaire. Ce système d’oppositions, elle peut l’appliquer même à la « cognition de l’apprentissage », aux diverses étapes mentales et psychologiques de l’apprentissage.

  3. Enfin, elle assigne à l’enseignement la mission centrale de façonner l’enfant de telle manière qu’il acquière par lui-même des compétences morales, éthiques et sociales qui en fassent un individu en tous points conforme à l’idéal d’une démocratie tolérante, participative et pluraliste.
 »
Enfin d'un certain type de pluralisme : le multiculturalisme.

La pédagogie socioconstructiviste pousse jusqu’à ses dernières limites la portée de la démocratie. Celle-ci n'est plus un régime politique particulier pour un État, une collectivité, elle s'applique désormais à toute organisation y compris l’institution où l’on forme les mineurs d'âge : l'école. C'est ainsi que, chez les socioconstructivistes, la classe s’assimile à une forme d’assemblée d’apprenants dont l’enseignant-animateur préside les délibérations. Pour Marc Chevrier, la pédagogie socioconstructiviste prospère grâce à la gêne que nous éprouvons à l’idée que la démocratie ait des limites, des zones qui lui échappent.

Le concept de démocratie est devenu le bien suprême. C’est le stade ultime de l’histoire, l’aboutissement indépassable de la modernité. Pris sous cet angle, la démocratie n'est plus une organisation politique, un type de gouvernement. Elle devient une vision morale qui engloble le libéralisme, les droits de l'Homme, le dialogue et des valeurs chrétiennes (dévoyées pour d'aucuns). Devant un tel amalgame d’idées en apparence généreuses, « qui peut donc vouloir mettre des limites à la démocratie ? Si un tel opposant existe, c’est sûrement un impie, un monstre, un facho ! »

Mais, comme le souligne Marc Chevrier :
« à bien y réfléchir, il est facile de voir que ces zones de non-démocratie abondent dans nos sociétés qui ne sombrent pas pour autant dans la dictature. La famille, une salle d’opération, une entreprise, une équipe de hockey ou une troupe de théâtre ne sont pas des démocraties. Dans tous ces cas, « gouvernés » et « gouvernants » ne sont pas interchangeables, du fait d’une impossibilité organique ou de la logique de la situation. Le patient ne peut prendre la place du chirurgien ».
Véritable dessein : faire l’éducation morale des citoyens
« L’insistance [que la pédagogie socioconstructiviste] met sur le caractère égalitaire de l’enseignement et l’acquisition des valeurs et des attitudes qu’il sied d’avoir dans une démocratie révèle son véritable dessein : faire l’éducation morale des citoyens. Il n’est donc pas étonnant qu’elle se pique de programmer l’enfant, dès la pré-maternelle, afin qu’il acquière toutes les compétences requises pour devenir un parfait démocrate. La prose socioconstructiviste chérit en particulier le concept de citoyenneté, autre conglomérat d’idées généreuses, que les pédagogues ont érigée en compétence fondamentale, dont tout le reste procède. L’éducation à la citoyenneté est partout, elle prend le dessus sur l’enseignement de l’histoire, elle parcourt le nouveau programme d’éthique et de culture religieuse ».
Où Georges Leroux en prend pour son grade

Marc Chevrier se penche ensuite sur un des partisans les plus intransigeants du cours d'éthique et de culture religieuse, le professeur à la retraite Georges Leroux. Marc Chevrier n'est pas tendre avec son aîné :
« Pas étonnant que l’un des plus ardents promoteurs du programme d’Éthique et de culture religieuse soit Georges Leroux, belle âme humaniste reconvertie à l’éthique, qui, dans son bouquin présentant des « arguments pour un programme », clame dès les premières pages sa foi en l’école en tant que démocratie. S’appuyant sur le philosophe américain John Dewey, Leroux énonce le credo du démocrate progressiste comme suit :
[…] s’agissant de l’institution scolaire publique, elle ne peut qu’être déjà la société démocratique à laquelle elle a mission de donner ensuite accès. Elle ne saurait donc en être différente, puisque l’école est le premier espace démocratique où chacun de nous va à la rencontre de sa liberté en même temps qu’il fait l’épreuve des droits des autres. Chacun doit y être accueilli comme il espère être accueilli dans la société dont il sera un citoyen : avec ses droits et devoirs, et en tout respect de son identité.
Quel poème ! On voit que Leroux a en tête la vision morale de la démocratie, elle est en elle-même la « vie bonne » chère aux Grecs, par cela même qu’elle permet à toutes les conceptions du bien de dialoguer entre elles, dans un espace pacifié ressemblant à un salon de thé où chacun se passe le sucre et les pâtisseries en échangeant des mots d’une exquise amabilité. Leroux dit également toute sa foi dans l’approche par compétences de la pédagogie socioconstructiviste, qui a pour ambition rien de moins que de « donner aux jeunes les moyens de se positionner face à tous les enjeux moraux de l’expérience, personnelle et sociale, qui les attend ». Notez le choix du vocabulaire. L’enfant n’apprend pas, il « se positionne », tel un militant dans un parti, tel un député votant un texte en chambre. En possédant tous les instruments de la « réflexion éthique », l’enfant-citoyen fera ainsi siennes les vertus de la démocratie, c’est-à-dire, selon Leroux, « tolérance, respect, recherche en commun du bien commun et des principes guidant la discussion de tous avec tous ». On y reconnaît là la démocratie-guimauve des champions de l’école démocratique, qui naviguent sans trop de difficulté entre le régime démocratique et le catéchisme de l’éthique pluraliste. »
Mais si Leroux expose avec fougue le credo de l'école démocratique qui sous-tend la pensée socioconstructiviste, il ne dégage pas (ou n'ose pas dégager) les conséquences logiques de cette dérive. C’est le rôle d'un autre philosophe que cite Marc Chevrier.

Jacques Rancière, auteur de La Haine de la démocratie

C'est chez Jacques Rancière qu'apparaîtront le plus clairement les conséquences de cette dérive de l'école-mini-démocratie.
« Chez lui, la parité maître-élève, l’égalité entre enfants et adultes n’apparaissent pas comme des incongruités ou des impossibilités. C’est au contraire la marque même de la démocratie. Toute personne qui penserait autrement est l’ennemi de la démocratie, la prend nécessairement en grippe. Pour Rancière, la démocratie ne prend pas de forme sociale ou politique particulière, elle réside dans la négation de tout pouvoir en place, de toute forme d’autorité dérivée de la tradition ou d’un savoir. Selon le philosophe, toutes les sociétés, qu’elles soient monarchique, aristocratique ou démocratique, succombent à une triste fatalité : une oligarchie les gouverne, en prétendant posséder des titres de compétence ou de légitimité qui la fondent à se maintenir au pouvoir. Dans ces conditions, la démocratie ne peut s’exprimer que dans la négation des prétentions des biens dotés. La démocratie appartient aux sans-grade, aux sans-titre, aux incompétents, aux déshérités, aux ignorants qui n’ont rien à faire valoir à leur avantage. « Le mot de démocratie, écrit Rancière, alors ne désigne proprement ni une forme de société ni une forme de gouvernement. La “société démocratique” n’est jamais qu’une peinture de fantaisie, destinée à soutenir tel ou tel principe de bon gouvernement. » [...] On ne s’étonnera donc pas de ce que dans son livre, Rancière égratigne l’école républicaine française et se réjouit de la ruine de l’autorité du professeur. »
Double langage des tartuffes

Pour Marc Chevrier, la pédagogie socioconstructiviste et ses partisans comme Georges Leroux se gardent bien d’aller jusqu’à ces extrémités. C'est pourquoi ils usent sans cesse d’un double langage :
« en réalité, il faut faire comme si maître et élève étaient interchangeables, bien qu’on sache parfaitement que l’institution scolaire subsiste et distribue les rôles. Il faut quand même protéger les salaires de tous ces pédagogues, conseillers pédagogiques, professeurs en métacognition et gestion de classe, qui ne peuvent survivre que si un État quelque peu oligarchique utilise son pouvoir de commandement et de taxation pour mettre en place un système scolaire financé par tous les contribuables.

[...]

Cette inconséquence n’est pas la première des tartufferies que les intellectuels se permettent. Elle est typique d’une certaine gauche bien pensante, encore tentée par la pensée totalitaire et binaire, qui sermonne la planète entière en s’excluant de la portée de ses admonestations. »




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