samedi 5 novembre 2022

La noyade démographique du peuple québécois

Un texte de Mathieu Bock-Côté paru dans le Figaro de ce 5 novembre.

L’annonce faite par Justin Trudeau d’une augmentation des seuils d’immigration du Canada à 500 000 personnes par année d’ici 2025 a frappé l’imagination. Il ne s’agit pas d’un coup de tête de Justin Trudeau, qui, en cette matière, est le parfait représentant de l’élite canadienne qui a annoncé depuis plusieurs années son rêve de faire du Canada une grande puissance à la fin du siècle, en en faisant un pays de 100 millions d’habitants. L’immigrationnisme est au cœur du régime canadien et ne trouve pas d’opposition dans la classe politique, les conservateurs partageant globalement la même philosophie.

Le Canada a appris à se voir depuis une quarantaine d’années comme le laboratoire planétaire de l’utopie diversitaire. Il mène une expérience d’ingénierie sociale inédite, visant à transformer en profondeur le contrat social, pour devenir le premier État postnational, censé servir de modèle à l’humanité. Le Canada ne revendique aucun noyau culturel, sinon sa quête d’une toujours plus grande diversité, ce qui l’a amené, il y a quelques années, à célébrer le niqab à la manière d’un symbole confirmant sa propre ouverture. Le multiculturalisme devient la matrice identitaire d’un pays wokistanisé se faisant une fierté de se croire coupable de racisme systémique pour finir d’arracher ses racines européennes.


Ces changements démographiques liquident les derniers restes de ce qu’on appelait autrefois la thèse des deux peuples fondateurs, reconnaissant dans l’histoire du pays un pacte entre Anglais et Français. D’ailleurs, le Canada, qui prétend avoir deux langues officielles, est de plus en plus un pays bilingue de langue anglaise. Le caractère officiel du français est perçu comme un privilège discriminatoire à l’endroit des populations issues de l’immigration. Le peuple québécois n’est plus considéré qu’à la manière d’une communauté culturelle parmi d’autres, qui s’adonnerait au suprémacisme ethnique lorsqu’il demande à être traité comme un peuple à part entière. Et, d’ailleurs, les lois identitaires du Québec sont systématiquement contestées devant les tribunaux canadiens.

C’est au Québec seulement, forme d’État-nation inachevé enclavé au cœur de la fédération, qu’on s’oppose à cette décision fédérale. Nulle surprise ici. La question de l’immigration était au cœur de la dernière élection québécoise. Depuis vingt ans, l’immigration massive a entraîné une anglicisation accélérée de la grande région de Montréal. Car, malgré les lois protégeant le français, les immigrés s’anglicisent et se canadianisent davantage qu’ils ne se francisent et se québécisent. Les partis politiques du Québec ne se positionnent pas tous de la même manière en matière d’immigration, mais même les plus immigrationnistes ne proposent pas des seuils correspondant à l’hubris canadienne, dans la mesure où il est convenu que ses capacités d’intégration et de francisation sont limitées, dans le cadre canadien et l’environnement nord-américain.

Le Québec est pris dans un piège. Soit, pour conserver son poids politique dans la fédération (à l’origine de la fédération, il en représentait presque la moitié ; aujourd’hui, il en représente à peine plus de 20 %), il consent à une augmentation massive des seuils d’immigration, mais alors, nous assisterons à une régression accélérée de la langue française et de son identité francophone. Soit, pour éviter cette défrancisation accélérée, il consent à l’affaissement de son poids politique dans le Canada. Autrement dit, il est condamné à la disparition identitaire ou à la marginalisation politique. René Lévesque disait dès 1970 qu’il y avait, pour le Québec, deux ministères de l’immigration : « Un à Ottawa, pour nous noyer, et un à Québec, pour enregistrer la noyade. » Le Canada, qui, depuis les années 1840, a toujours misé sur l’immigration massive pour en finir avec sa part française, demeure fidèle à lui-même.

Obsédé par la seule croissance économique, le gouvernement de François Legault, autonomiste, mais non indépendantiste, espérait esquiver le retour de la question nationale, au point d’avoir mis de côté son principal ministre « identitaire », Simon Jolin-barrette. Il devra y revenir, d’autant que François Legault a déjà jugé l’augmentation des seuils d’immigration « suicidaire ». L’autonomie dans le Canada est une illusion destructrice. Dans le cadre canadien, le Québec est condamné à une dissolution identitaire et une neutralisation politique qui verra la grande aventure de l’Amérique française aboutir pathétiquement dans un résidu folklorique. Le Canada sera le tombeau du peuple québécois. Les indépendantistes le disent clairement depuis que Paul Saint-Pierre Plamondon est devenu chef du Parti québécois. À moins que les Québécois ne consentent par fatigue existentielle à leur propre disparition, ils sont appelés à renouer avec le combat du Québec libre.


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