mercredi 30 avril 2014

Apocalypse, la 1re Guerre mondiale sur TV 5 Québec Canada

TV5 Québec Canada, après les télévisions francophones européennes, diffusera en mai Apocalypse, la 1re Guerre mondiale sur TV5. Les deux premiers épisodes de la série seront diffusés le lundi 5 mai, à 21 h et 22 h. Les épisodes seront diffusés tous les lundis soir du mois de mai à 21 h et en rediffusion les jeudis à 19 h. La qualité pédagogique de cette série, à notre sens, est bien réelle, mais nous pensons qu'il faut la suppléer par quelques explications de « texte ».

Les images rassemblées sont réelles bien que, pour des raisons techniques à l’époque, les images de bataille soient quasiment toujours posées après les faits. Il aura fallu trois années de travail minutieux pour réunir, restaurer, assembler, sonoriser tous ces précieux documents. La colorisation aurait nécessité 47 semaines à elle seule. Pour notre part, nous avons apprécié cette légère colorisation qui fera sans doute mieux accepter ce documentaire par le grand public. Certaines images de « gueules cassées » peuvent être difficiles à supporter. L'enfer en couleurs pastel.

L'œuvre est divisée en cinq étapes intitulées Furie, Peur, Enfer, Rage et Délivrance, les chapitres d'une histoire racontée par une voix douce dans sa forme, mais directive sur le fond, du cinéaste et comédien Mathieu Kassovitz, sur une musique du Québécois Christian Clermont. Le documentaire aborde également, bien que de façon succincte, le point de vue québécois (la conscription) et canadien (la crête de Vimy) de la guerre.

Sur le front de l’Est, la Russie envahit en 1914 la Prusse orientale :
des milliers de civils allemands fuient alors vers l’ouest de l’Allemagne.
Sur le plan visuel, il s'agit de documents visuels extrêmement intéressants, sans doute inédits, des images rarement vues comme celles qui montrent l'offensive turque dans le Caucase où l'on voit un chien qui déterre et mange un cadavre. Ou bien celles, assez étonnantes, du reporter américain Wilbur Durborough qui a obtenu l’autorisation de filmer les Allemands sur le front de l’Est en 1915.

On a bien, dans le premier épisode, cette impression d'une ­Europe insouciante, ceci pendant le printemps et l'été 1914, même dans les premières semaines après l'attentat de Sarajevo. Puis, c'est l'engrenage[1], l'ultimatum à la Serbie, le déclenchement de la guerre, les mouvements des combats, tout cela est restitué de façon claire et pédagogique.

Les commentaires sont pourtant parfois très orientés. Certaines phrases ressortent de vieux mythes de gauche, des lieux communs risibles sur un plan historique. Globalement, on a l'impression que c'est la caste dirigeante : les rois, les généraux et les patrons qui ont déclenché la guerre, et que les peuples sont les victimes sacrificielles de ce système. Il s'agit d'une vision marxiste classique, quasiment léniniste et même jaurésienne. Jaurès est d'ailleurs favorablement cité. Il est absurde de dire que les patrons français voulaient la guerre pour faire taire les ouvriers. C'est de la propagande de la CGT, le syndicat communiste, de 1920 !



La série insiste beaucoup tout au long des cinq épisodes sur les « empires », les faisant passer pour plus bellicistes que les républiques, alors qu'il n'y avait pas plus revancharde que la France (l'Alsace-Lorraine à reconquérir) et plus prêt à négocier la paix que l'empire austro-hongrois alors que les empires centraux n'étaient pas encore acculés à cette position.

La guerre ­résulte d'une multiplicité de facteurs, dont le jeu des alliances. Ce sont les nations qui ont préparé cela. Les peuples n'ont pas seulement subi, ils ont aussi été acteurs dans ce jeu-là. Le patriotisme a été fortement intériorisé aussi bien en France qu'en Allemagne. Tout le courant pacifiste à gauche s'efface dans une Union sacrée quand la guerre se déclenche. Le film ­évoque cela, mais de façon trop elliptique.




Au moment de la bataille de la Marne, en septembre 1914, Mathieu Kassovitz lit : « Le nombre inouï de morts n'arrête pas les grands chefs. » Qu'auraient-ils dû faire ? Arrêter la bataille et laisser les Allemands envahir toute la France ? Autre phrase étonnante : « Étran­gement l'im­mensité du carnage ne décourage pas le patriotisme des combattants. » Ce qui signifie que les auteurs trouvent étrange le fait que les soldats soient patriotes. Dans le dernier épisode, le commentaire irait même plus loin, il parlera du fait qu'on ait trop masqué la contrainte nécessaire exercée sur les soldats pour les faire combattre, le tout souligné par une musique dramatique et le visage apeurant de « gueules cassées ».

Il y a là un fort a priori idéologique. Ailleurs, à propos de la bataille de Tannenberg, les auteurs affirment : « Les Russes qui sont écrasés par le tsarisme et la religion. » Là encore, le commentaire est orienté : le tsarisme et la religion avaient-il plus abruti le peuple russe que la laïcité et la république le peuple français ? Les réalisateurs s'étonnent que Poincaré aille rendre visite au tsar Nicolas II parce que ce dernier serait un autocrate, c'est négliger la logique d'alliance entre la France et la Russie pour prendre en tenaille l'Allemagne que la France ne pouvait plus affronter seule étant donné son désavantage démographique. La France qui fut longtemps le pays d'Europe le plus peuplé avait connu une très faible croissance de sa population après la Révolution de 1789 alors que les autres pays, dont l'Allemagne, connurent une explosion démographique.

Les auteurs se raccrochent sans cesse à leur vision pacifiste un peu simplette, avec ces paroles prononcées dans le dernier épisode : « Toutes les guerres sont inutiles. » Voilà, c'est tout !

On regrettera que les téléspectateurs ne soient pas avertis qu'on leur présente (voir ci-dessous) des plans du film Verdun, vision d’histoire (1928), une fiction aux apparences de documentaire tournée en 1928 par Léon Poirier, comme s'il s'agissait d'images véridiques prises sur le fait. On notera dans la même séquence l'étrange prononciation anglaise (crown prince) qu'adopte Mathieu Kassovitz quand il parle du Kronprinz allemand. Il le répètera plusieurs fois.


Apocalypse, extrait 3, Verdun Extraits du film Verdun, vision d'histoire, une fiction aux apparences de documentaire tournée en 1928, présentés comme des images documentaires dans Apocalypse

Dans leur commentaire lu par le comédien Mathieu Kassovitz, les réalisateurs font preuve d’une certaine naïveté, au mieux. Ainsi, au sujet des monuments aux morts, ils remarquent : « Jamais rien n’est représenté de ce qu’il y avait derrière ces combattants, la contrainte et la répression. Malgré l’hécatombe, ces monuments veulent toujours convaincre qu’il est juste de tuer et de se faire tuer pour la patrie. »

Jamais de surcroît ne font-ils état du brassage des classes sociales au sein des tranchées, de la réconciliation de l'État laïc avec ces prêtres exemplaires dans les tranchées. Après la guerre 1914-1918, ayant reconnu la valeur de ces religieux au front et l'utilité de la religion dans ce genre de crise, on assistera d'ailleurs à un regain de liberté pour les écoles confessionnelles en France.

Apocalypse, la 1re Guerre mondiale est une série pédagogique, remarquable sur de nombreux aspects techniques, plaisante et utile à regarder, mais sans nuance dans ses commentaires, avec un certain parti pris idéologique désuet de lutte des classes, antireligieux et empreint d'un pacifisme simplet.




[1] Cet engrenage inéluctable est, toutefois, remis en cause dans certains ouvrages comme Ces guerres qui ne devaient pas éclater (1870, 1914, 1939) de Nicolas Saudray.


Voir aussi

Histoire — 1914. Une tragédie européenne

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