jeudi 5 février 2009

France — les lycéens sont-ils des ânes en orthographe et en grammaire ?

En septembre 2008, le collectif Sauver les lettres a poursuivi son évaluation du niveau d’orthographe et de grammaire des élèves qui entrent en classe de seconde.



Comme cela avait été fait en 2000 et 2004, des professeurs de lycée de grandes villes et de villes moyennes, à Paris, en banlieue et en province, ont fait passer à leurs élèves de seconde, en début d’année, l’épreuve de français du brevet des collèges de 1976 : une dictée d’une douzaine de lignes, de difficulté moyenne (pas de subjonctif, pas d’accord de participe passé avec « avoir ») suivie de questions de vocabulaire et de grammaire. Pour ne pas pénaliser deux fois les élèves, le texte de la dictée a été distribué en même temps que celui des questions. Le barème appliqué est celui de 1976 (moins un point pour les fautes lexicales, moins deux points pour les fautes grammaticales).

La date de 1976 a été choisie à dessein comme année repère des pertes d’horaire en français : c’est la dernière année où un collégien de Troisième avait fait une scolarité complète, du CP [6 ans] à la fin du collège [14/15 ans], en bénéficiant des horaires nécessaires que Sauver les lettres réclame de rétablir pour les élèves actuels, soit 2800 heures. Les résultats du test 2008 permettent ainsi de mesurer les déperditions.

1348 élèves ont participé à cette évaluation, ce qui est à peu près comparable au nombre des participants en 2000.

Le texte de la dictée1

L’atelier 76.

Gilles ouvrit le battant d’une lourde porte et me laissa le passage. Je m’arrêtai et le regardai.

Il dit quelque chose, mais je ne pouvais plus l’entendre, j’étais dans l’atelier 76.

Les machines, les marteaux, les outils, les moteurs de la chaîne, les scies mêlaient leurs bruits infernaux et ce vacarme insupportable, fait de grondements, de sifflements, de sons aigus, déchirants pour l’oreille, me sembla tellement inhumain que je crus qu’il s’agissait d’un accident, que ces bruits ne s’accordant pas ensemble, certains allaient cesser. Gilles vit mon étonnement.

— C’est le bruit, cria-t-il dans mon oreille.

Il n’en paraissait pas gêné. L’atelier 76 était immense. Nous avançâmes, enjambant des chariots et des caisses, et quand nous arrivâmes devant les rangées des machines où travaillaient un grand nombre d’hommes, un hurlement s’éleva, se prolongea, repris, me sembla-t-il, par tous les ouvriers de l’atelier.

Gilles sourit et se pencha vers moi.

— N’ayez pas peur. C’est pour vous. Chaque fois qu’une femme rentre ici, c’est comme ça.
Je baissai la tête et marchai, accompagnée par cette espèce de « Ah !2 » rugissant qui s’élevait maintenant de partout.

À ma droite, un serpent de voitures avançait lentement, mais je n’osais regarder.

Claire Etcherelli, Elise ou la vraie vie.

Consignes de correction (note sur 20)

— -2 points pour les fautes d’orthographe grammaticale ou un mot dont l’orthographe témoigne d’une incompréhension totale
— -1 point pour les fautes d’orthographe lexicale
— -0,5 point pour les fautes d’accents (hors conjugaison), de tiret, de majuscule… (avec une pénalisation maximale de 2 points)

Afin de ne pas redoubler les erreurs ni en provoquer d’autres, la dictée sera
ramassée puis le texte de la dictée sera fourni aux élèves en même temps que celui
des questions.

1 Cette dictée a été donnée à la session 1976 du BEPC (ex Brevet des collèges [secondaire IV au Québec]), Académie d’Aix-Marseille.
2 Épeler



Questions.
  1. Dans le deuxième paragraphe, expliquez les trois mots soulignés : « chaîne », « infernaux », « vacarme ».

  2. Mettez la première phrase au pluriel, en la commençant par « Gilles et un ouvrier  ».
  3. Quels sont les deux temps principaux du texte ? Justifiez leur emploi.
  4. Donnez la nature des mots suivants : « aigus » (l. 5), « en » (l. 9), « maintenant » (l. 16).
  5. Donnez la fonction des groupes suivants : « le battant d’une lourde porte » (l. 1), « des chariots et des caisses » (l. 10), « un grand nombre d’hommes » (l. 11), « par cette espèce de « Ah ! » rugissant » (l. 15).
  6. Quand nous arrivâmes devant les rangées de machines, un hurlement s’éleva et je crus qu’il
    s’agissait d’un accident : donnez la nature et la fonction des deux subordonnées de cette phrase.
  7. Écrivez au discours indirect le passage : « N’ayez pas peur. C’est pour vous. Chaque fois qu’une femme rentre ici, c’est comme ça. » (l. 14)


Résultats

En dictée

En 2008, 13,9 % des élèves ont obtenu la moyenne. Ils étaient 17,9 % en 2004 et 30 % en 2000… En 2008, 86 % des élèves n’ont pas eu la moyenne ! Ils étaient 82 % en 2004 et 70 % en 2000… En 2008, 58 % ont eu zéro. Ils étaient 56,4 % en 2004 et 27,95 % en 2000… On est donc passé d’un élève sur trois à près de deux élèves sur trois !

Pour affiner encore l’analyse, on peut constater que près d’un élève sur deux (48,44 %) a fait plus de quinze fautes, près d’un élève sur trois (28,85 %) a fait plus de vingt fautes (!) et 8,5 % des élèves ont fait plus de trente fautes sur un texte simple.

On constate aussi que 80 % des fautes sont des fautes de grammaire (accords et conjugaison). Et l’on comprend les gouffres d’ignorance en corrigeant les questions sur le texte.

Les questions

Les questions de grammaire portaient, comme toujours au brevet des collèges, sur le vocabulaire, la conjugaison, l’emploi des temps, l’analyse de mots (nature et fonction), l’analyse logique et la transformation de trois courtes phrases au style (ou discours) direct en style indirect.

En vocabulaire, dans un contexte de visite d’atelier, avec des ouvriers, des voitures et du bruit, près de 60 % des élèves ignorent le sens du mot « chaîne »; 40,7 % ignorent le sens de l’adjectif « infernaux » dans l’expression « bruits infernaux », et près d’un élève sur trois ignore le sens du mot « vacarme ».

En conjugaison, quand il s’agit de faire passer à la troisième personne du pluriel deux verbes au passé simple qui sont au singulier (« il ouvrit » et « il laissa »), 43,8% ne savent pas le faire ! 43,2 % des élèves ignorent les valeurs de l’imparfait et 47,6 % celles du passé simple alors qu’ils ont travaillé les techniques du récit pendant leurs quatre années de collège.

En ce qui concerne la nature des mots, 13,7 % ne reconnaissent pas un adjectif qualificatif (« des sons aigus »), 80,85 % ne reconnaissent pas un pronom personnel (« il n’en paraissait pas gêné »), et près d’un élève sur deux (48,7 %) ne reconnaît pas un adverbe (« maintenant »).

En ce qui concerne la fonction des mots, environ 50 % et 60 % des élèves (respectivement 47,4 % et 59 %) ne reconnaissent pas deux compléments d’objet direct évidents (« Gilles ouvrit le battant d’une lourde porte » et «  enjambant des chariots et des caisses »). 84,3 % des élèves ne reconnaissent pas un sujet inversé (venant après le verbe : « devant les rangées des machines où travaillaient un grand nombre d’hommes »). Et 93,8 % ne reconnaissent pas un complément d’agent (d’un verbe au passif).

En analyse logique, un peu moins de 13 % des élèves seulement reconnaissent une proposition subordonnée conjonctive introduite par « quand » et seuls 16,3 % savent en dire la fonction ! Et moins d’un élève sur dix est capable d’identifier une proposition subordonnée conjonctive complément d’objet direct (9,7 % pour la nature et 9,32 % pour la fonction).

Quant à la transformation d’une phrase au style direct en style indirect, 44 % des élèves n’ont pas compris ce qu’on leur demandait, alors qu’on les a abreuvés de technique de l’énonciation au collège !

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