Une récente étude d’un réseau pensant explique comment HEC, l’EM Lyon ou Sciences Po ont progressivement introduit l’enseignement d’une écologie décroissante et anticapitaliste au détriment des matières fondamentales.
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| Oui, oui, une école de commerce de France (il reste un petit drapeau français peu visible à côté du drapeau de la European Union of Brussels) |
La France est-elle en train de former une génération de cadres qui considéreront comme un devoir moral de freiner, de contester ou de saboter les stratégies de croissance de leurs propres entreprises ? C’est ce que laisse entendre le Centre d’études et de recherches universitaires (Ceru), qui, dans une étude publiée début décembre, affirme que les grandes écoles de commerce françaises sont devenues des « foyers du radicalisme écologique ».
Dans cette note, le laboratoire d’idées, marqué à droite, explique comment HEC, l’ESSEC, l’ESCP, l’EM Lyon ou encore Sciences Po ont progressivement introduit l’enseignement d’une écologie décroissante et anticapitaliste au détriment des matières fondamentales que sont la gestion, la finance ou le marketing. « Ce basculement traduit une recomposition profonde. Le prestige universitaire traditionnel est supplanté par la conformité idéologique », alerte l’étude, qui, sans remettre en question l’urgence climatique, décrit « un tournant résolument écologique, jusqu’à repenser tous les programmes sous cet angle ».
En une dizaine d’années, les « business schools » [écoles de commerce en Hexagonal] ont bien changé.
Dans ces temples de la formation au monde des affaires, l’étudiant se prête désormais aux incontournables ateliers Fresque du climat, mais aussi au Sulitest, un test du développement durable imaginé en 2014. Dans les enseignements, l’écologie et la « sustainability » [durabilité dans le jargon prétentieux de ces « business schools »] ont pris une place « démesurée », « une centaine d’heures par an, soit le tiers des enseignements », affirme l’auteur de cette note, Morgane Daury-Fauveau, présidente du Ceru et professeur de droit privé à Amiens. Elle a passé au crible les maquettes de l’offre de formation. Outre la profusion, elle pointe une idéologie à l’œuvre, avec l’enseignement d’« une écologie radicale, notoirement anticapitaliste ». « La mission première de l’enseignant est de développer l’esprit critique, pas de le paralyser. Les écoles de commerce, dont l’objet est fondamentalement l’enseignement sur la production de richesses, font la publicité de la décroissance ! », s’effare-t-elle.
« Ce n’est pas l’écologie qui me dérange, mais l’idéologie. C’est du bourrage de crâne que l’on retrouve sur toute la scolarité »Hugo* Étudiant à Sciences Po
Ces questions environnementales font aussi partie d’un ensemble plus vaste, où il est question de diversité sociale, d’égalité femmes-hommes, d’inclusion, de lutte contre les violences sexistes, voire de « décolonialisme ». Car l’espèce humaine n’a-t-elle pas « colonisé » la terre ? Sur leurs plaquettes de présentation, les écoles se targuent de former des décideurs « éclairés », qui contribueront à un monde « plus durable », « plus juste », « plus inclusif », « plus prospère », et se félicitent d’avoir décroché le label DD & RS (« développement durable et responsabilité sociétale »).
Pour les étudiants, ces questions s’imposent comme une entrée en matière incontournable, dès la première année. À l’EM Lyon, c’est une introduction aux enjeux climatiques sur dix semaines ; à l’Edhec, un cours sur les « limites planétaires et modèles économiques durables » ; à HEC, un séminaire « raison d’être et soutenabilité économique » organisé à Chamonix, suivi du « parcours engagement ». François Gemenne, professeur à l’école de Jouy-en-Josas et principal auteur du sixième rapport du GIEC, y appelle à une « réinvention du capitalisme » et à une « transformation radicale des modes de production, de consommation et de distribution des richesses ». Dans ce nouveau paysage, certains chercheurs deviennent incontournables. Économiste dont les recherches portent sur la décroissance et la postcroissance, Timothée Parrique est ainsi venu présenter son livre Ralentir ou périr à HEC, à la rentrée 2022. Il est aussi intervenu à l’Essec, à L’EM Lyon et à Sciences Po.
« Les écoles ne disposent pas d’enseignants dans le domaine de l’écologie ; elles ont donc forcément recours à des militants », assure Morgane Daury-Fauveau. « Historiquement, les sciences de gestion, directement liées à la réalité de l’entreprise, ont été épargnées par les idéologies, contrairement aux sciences économiques », observe pour sa part Michel Albouy, professeur émérite de finance à l’université Grenoble-Alpes et à Grenoble École de management. Il note par ailleurs que les écoles de commerce, contrairement aux universités, peuvent recruter des sociologues pour enseigner la « théorie des organisations ». « Et la sociologie va à gauche comme la rivière à l’océan », lâche-t-il, estimant que « les écoles de commerce adoptent un modèle à la Sciences Po ».
L’agrégé en sciences de gestion est particulièrement frappé de l’arrivée, dans les programmes, du concept d’« anthropocène », ou « ère de l’être humain ». Derrière, l’idée que l’homme a si profondément pollué et modifié l’environnement qu’il a créé de nouvelles conditions de vie terrestre. Bien que l’anthropocène ne soit pas scientifiquement validé comme un temps géologique — qui succéderait à l’holocène, cette période interglaciaire entamée il y a 11 700 ans —, les chercheurs en sciences humaines et sociales l’utilisent abondamment. « Et si l’anthropocène n’était qu’une croyance portée par des chercheurs militants pour dénoncer un système capitaliste qui détruit la planète ?, interroge Michel Albouy. Certains parlent de “capitalocène”. Il est symptomatique que cette critique ne concerne pas le système productiviste des économies socialistes (EX-URSS ou Chine), qui ont pourtant largement contribué à la pollution de la terre ! » Particulièrement zélée en la matière, l’EM Lyon a créé un poste de doyen associé à la pédagogie en anthropocène en 2023. Professeur de stratégie à l’école, Guillaume Carton, dans une tribune publiée en 2024 sur le site de la Conférence des grandes écoles (CGE), estime qu’il faut « repenser les différentes disciplines de l’enseignement supérieur à l’aune des nouvelles contraintes imposées par l’urgence climatique », notamment les sciences de gestion, qui devraient être revues « au sein d’un autre paradigme que celui de l’économie néoclassique ».
La présidente du Ceru évoque « une lame de fond », de la première année de formation aux spécialisations qui se multiplient, à travers des masters [maîtrises] déclinés autour de la « sustainability » [durabilité]. Il faut dire que les écoles de commerce, dont le modèle économique repose sur des frais de scolarité très élevés, ont été contraintes d’intégrer les règles nouvelles dictées par les classements internationaux et nationaux. Lesquels font la pluie et le beau temps sur le juteux marché de la formation supérieure. Autrefois centrés sur des critères classiques (sélection à l’entrée, publications de recherche, insertion professionnelle, ouverture internationale), les « rankings » [palmarès/classements] du Financial Times ou du QS, de L’Étudiant ou de Challenges font la part belle à la proportion de cours consacrés à l’écologie et à la contribution aux objectifs de développement durable de l’ONU.
« Ce n’est pas le choix qu’a fait Le Figaro étudiant, explique Sophie de Tarlé, rédactrice en chef du journal, qui produit chaque année un classement des écoles de commerce, le premier en termes de référencement sur Google. Nous ne remettons pas en cause l’urgence climatique, mais la promesse faite à nos lecteurs est celle d’un classement d’excellence. Quand un étudiant paye une école 70 000 euros, il veut savoir s’il va trouver un bon boulot, avec des perspectives à l’international. » Elle constate par ailleurs qu’à ce jour, les critères dans le domaine environnemental mélangent « l’écologie et les questions d’ordre social, comme l’égalité femmes-hommes ou la diversité. Deux choses bien différentes ! »
Pour se mettre au diapason des classements, la labellisation DD & RS est arrivée il y a dix ans, conjointement imaginée par de grandes écoles, des universités, les ministères de l’Écologie et de l’Enseignement supérieur et l’association militante Reses (Réseau étudiant pour une société écologique et solidaire). En 2021, l’École supérieure de commerce de Nantes, Audencia, a précisé la feuille de route, en s’associant au Shift Project, le laboratoire d’idées de Jean-Marc Jancovici, pour élaborer le « Climatsup Business », un projet visant à intégrer les enjeux écologiques dans « les cours obligatoires enseignant les fondamentaux de la gestion ». Il s’est aujourd’hui diffusé dans de nombreuses écoles. À cela s’est ajouté le rapport du paléoclimatologue français Jean Jouzel, remis en 2022 au ministère de l’Enseignement supérieur. Un texte fondateur, qui assoit la nécessaire formation de tous les étudiants aux « enjeux de la transition écologique et du développement durable ». Quelque 80 universités et écoles sont labellisées. Et d’abord les établissements du haut du panier.
Sollicitée par Le Figaro, la Conférence des grandes écoles « ne souhaite pas commenter » les conclusions du Ceru, mais tient à rappeler « la plus grande exigence en matière de pédagogie » et l’objectif de « garantir aux étudiants des formations d’excellence, en phase avec les enjeux actuels et futurs de notre société ».« Les écoles de commerce, dont l’objet est fondamentalement l’enseignement sur la production de richesses, font la publicité de la décroissance ! »Morgane Daury-Fauveau présidente du Ceru et professeur de droit privé à Amiens
Qu’en pensent justement les étudiants ? Bientôt diplômé de Skema, Éric*, 23 ans, déplore « des cours complètement déconnectés de la réalité, farfelus même ». « C’est la quantité de cours obligatoires tournés vers l’écologie, surtout, qui m’a frappé, détaille-t-il. Sur sept matières, on en avait au moins quatre ! Certains enseignants avaient une vision très idéologique. L’anthropocène a été abordé plusieurs fois, la décroissance aussi. « On a signalé à nos profs qu’il y avait énormément de redites, certains étaient d’accord avec nous, mais ça n’a rien changé. Au moins, ça nous faisait moins de notions à réviser… »
Emma*, qui termine l’Iéseg, commence elle aussi à « saturer ». Elle qui avait choisi cette école postbac, séduite par son engagement en matière de développement durable, se dit aujourd’hui « presque dégoûtée ». « On a commencé par la Fresque du climat, se souvient l’étudiante. Pour moi, c’était vraiment puéril. Ensuite, on a eu pas mal de cours un peu “bullshit” [foutaises]. On n’a pas besoin des profs pour savoir qu’il faut éteindre la lumière ou réduire sa consommation de plastique ! Et le discours est souvent alarmiste, du genre “tout repose sur vous, les acteurs du changement pour une société meilleure”. Le fait de l’associer à tous les cours, c’en est devenu étouffant. »
À Sciences Po, Hugo* a fait partie de la promotion qui, en 2023, a étrenné le « grand cours » obligatoire de « culture écologique », qui a pris place aux côtés de l’économie, de l’histoire, des méthodes quantitatives et de la sociologie.
« Ce n’est pas l’écologie qui me dérange, mais l’idéologie. C’est du bourrage de crâne que l’on retrouve sur toute la scolarité », lâche-t-il. À la rentrée 2026, l’école de la rue Saint-Guillaume inaugurera sa Paris Climate School, qui proposera le master « Ecological transition, risks and governance » [oui, en anglais, à Paris ?].
Les écoles de commerce pourraient-elles emboîter le pas de Sciences Po sur le terrain des luttes ? Dans l’année qui a suivi les attaques terroristes du Hamas d’octobre 2023 contre Israël, les drapeaux palestiniens ont flotté rue Saint-Guillaume, sur fond de mobilisations. Ils n’ont pas été aperçus sur les campus des écoles de commerce. « Ces étudiants ne sont pas politisés et ils ne le deviendront pas, parie Michel Albouy. Ou peu. Car ils sont pragmatiques : ayant généralement emprunté pour financer leur scolarité, ils vont préférer, pour rembourser, aller travailler dans la finance ou dans des cabinets de conseil… » Pour autant, les grandes écoles de commerce et d’ingénieurs se frottent, depuis 2022, au phénomène des « bifurqueurs », qui, de l’agro à HEC, remettent en question la voie royale tracée pour eux vers le monde de l’entreprise. Après Ruptures, un film sur la quête de sens des jeunes diplômés de grandes écoles sorti en 2021, Arthur Gosset, ingénieur diplômé de Centrale Nantes, a signé en octobre Éclaireurs, un nouveau documentaire. Diplômée de Polytechnique en 2019, Jeanne Mermet a publié en septembre le livre Désertons.
« Pendant que nos écoles forment des cadres culpabilisés par la croissance, nos concurrents internationaux continuent de produire des gestionnaires déterminés à conquérir des marchés et à innover, conclut Olivier Vial, directeur du Ceru. Ce décalage stratégique se paiera en déclassement économique, en perte d’influence et en appauvrissement collectif. » Le tout étant, paradoxe suprême, « financé en partie par la taxe d’apprentissage que versent les entreprises à ces mêmes écoles qui forment leurs futurs contestataires, pointe-t-il.
La définition même de l’auto-sabotage institutionnalisé. »
*Les prénoms ont été changés.
Source : Le Figaro
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