D'après Gilles Laporte, historien et président du Mouvement national des Québécoises et Québécois, le « cours Histoire et éducation à la citoyenneté se retrouve plutôt surchargé de lubies didactiques » et quant au taux de décrochage, que ce programme renouvelé devait combattre, « il n'a pas bougé d'un poil. Un constat gênant que les administrations camouflent à l'heure actuelle en baissant les seuils de réussite et en proposant une épreuve synthèse si insignifiante qu'on pourrait bientôt diplômer un citron. »
Quelques extraits de
sa lettre ouverte :
« Voici donc dix trucs par lesquels le programme actuel d'histoire parvient efficacement à dégoûter les jeunes québécois de l'histoire nationale.
Truc 1 — Revoir la même matière cinq fois
On le sait déjà, tous les élèves du Québec voient la même histoire deux fois: en 3e secondaire dans l'ordre chronologique et, en 4e secondaire sous forme de thèmes. Or ces thématiques, au nombre de quatre (population, société, politique et culture), consistent à chaque fois à revisiter les mêmes notions sous quatre angles différents. Au total, la même fichue matière simplifiée et aseptisée est donc revue cinq fois. Les profs se trouvent ridicules, les étudiants crient au scandale et les parents n'y comprennent rien.
Quant aux rédacteurs du programme, ils croient, j'imagine, que le plaisir croit avec la répétition.
Truc 2 — Des Iroquoiens et des fourrures encore et encore
Cinq fois les mêmes notions dis-je, en reprenant bien sûr à chaque fois du tout début et donc depuis les «premiers occupants». L'élève de 3e secondaire aura d'abord étudié les Iroquoiens et les Algonquiens durant deux mois. Mal lui en pris, il les réétudiera l'année suivante à quatre reprises, sous l'angle de la population, de la société, de la politique et de la culture. Or comme il faut chaque fois reprendre l'histoire depuis le début, on n'a jamais le temps de la raconter au complet. L'élève québécois verra donc intensivement l'histoire autochtone, passablement de Nouvelle-France, déjà moins de régime britannique, mais le XXe siècle seulement en coup de vent, pourtant le siècle de loin le plus déterminant pour comprendre le Québec actuel.
Truc 3 — Évacuer l'histoire du Québec contemporain
L'histoire du Québec depuis 1960 est particulièrement escamotée. Depuis 23 ans que j'enseigne au cégep, j'ai clairement vu s'accroître les lacunes des nouveaux étudiants en ce qui a trait au dernier demi-siècle.
Incollables sur les Autochtones, les grandes découvertes et le commerce triangulaire [
l'esclavage culpabilisant...], ils sont en revanche absolument nuls sur les deux guerres mondiales au Canada, les réalisations de la révolution tranquille [
sous un angle partial] ou sur les référendums. [...]
Truc 4 — La méthode historique ? Laissez-moi rire !
L'histoire du Québec on ne l'apprend plus, on la fait ! Derrière cette formule accrocheuse, se cache l'une des pires supercheries du nouveau programme: l'apprentissage par l'analyse des documents. Aucun problème à ce que l'élève soit à l'occasion confronté à des textes historiques. Il est utile qu'ils puissent exercer son sens critique et voir comment le discours historien se construit à partir des sources. Sauf que désormais, du primaire au collégial, l'analyse de documents est devenue l'alpha et l'oméga de l'apprentissage de la matière elle-même. Désormais c'est par l'analyse
d'extraits de petits textes et de banques d'images que le jeune construit son rapport au passé et «exerce sa citoyenneté».
Exit la connaissance des dates charnières et des grands enjeux d'une époque. L'analyse d'extraits d'une lettre de Marie de l'Incarnation ou d'une pièce au procès de Marie-Angélique suffit pour résumer la « société en Nouvelle-France ». C'est là singulièrement confondre l'arbre avec la forêt. Nul besoin en outre de maitriser un corps de faits. Google est là pour ça !
L'apprentissage des connaissances est pourfendu au profit de l'exercice du sens critique au contact direct avec le document et sans un minimum de préparation. Personnellement, j'ai entrepris l'analyse heuristique des documents à la première année de maitrise. Je ne m'en porte pas plus mal. Le ministère a jugé, lui, qu'il était urgent que les jeunes s'y initient dès la seconde année du primaire.
Le résultat est que les élèves n'y comprennent rien. L'opération « critique » se résume à un simple repérage puisque l'élève n'a ni la connaissance intime du contexte de production du discours ni l'érudition nécessaire pour situer un document dans son époque. Le résultat de que ce qu'on appelle pompeusement «la méthode historique» est donc au mieux nul et constitue généralement une perte de temps.
Truc 5 — Évacuer les épisodes et les personnages marquants
On l'a assez dit, l'accent est désormais mis sur l'histoire sociale, celle des structures profondes, des continuités, mais surtout pas sur les épisodes de rupture. L'histoire enseignée apparaît dès lors insipide, comme un long fleuve tranquille, où les seuls faits saillants consistent à marquer la naissance des grandes tendances annonçant le présent. Les bonzes du nouveau programme croient ainsi susciter l'intérêt du jeune pour le passé en le faisant partir de son présent. Le résultat n'est qu'une revue blafarde des best of de l'histoire sociale: autochtones, histoire des femmes, des ouvriers, des immigrants, des enfants et autres victimes de l'histoire.
Où sont les Champlain, d'Iberville, Frobisher, Fraser, Papineau, Mercier, Gérin-Lajoie, Michel Chartrand ? Liquidées au profit des anonymes.
[...]
[C'est identique en France :
surtout plus de héros, de grands personnages]
Truc 6 — Dénationaliser l'histoire du Québec
Depuis le XVI
e siècle, la composante canadienne-française est fondamentale dans le peuplement du territoire québécois. Très tôt ce groupe développe les traits d'une communauté nationale partageant des traits communs qui se répercutent sur toute la société. Il y a donc une « histoire nationale », marquée par des moments charnières et des prises de conscience collectives. Ce sont 1608, 1760, 1837, 1867, 1918, 1960, etc. L'intérêt de la perspective nationale en histoire est qu'elle permet de tracer une trajectoire collective, partielle et qu'il faut nuancer il est vrai, mais permet au jeune de s'inscrire dans l'histoire d'un peuple.
Ce point de vue « national » était au cœur des précédents programmes d'histoire qui y gagnaient en cohérence et en vitalité. Depuis 2006, cette perspective a été atomisée. La population québécoise n'est plus qu'une masse intangible d'individus de diverses origines, où le groupe francophone n'est que majoritaire.
On mise au contraire sur les différences, les histoires particulières, qui permettent de faire ressortir les destins atypiques mais qui annihilent complètement l'impression que le jeune est l'héritier d'un parcours historique cohérent dans lequel il peut s'inscrire. [Et on voudrait que les immigrants s'intègrent, mais à quoi ? Un peu sans histoire...?]
[...]
Truc 7 — Formez des pédagogues et non des enseignants d'histoire
Suivre deux ou trois cours d'histoire du Canada et être réputé prêt à ensuite l'enseigner toute sa vie. Cela vous paraît absurde, c'est pourtant la réalité au Québec depuis 1994. Le baccalauréat enseignement d'univers social n'offre à son programme que deux cours de 45 heures, l'un sur le Canada jusqu'en 1867 et l'autre depuis 1867. [Rien sur les amérindiens !?] En revanche, une pléthore de cours de didactique et de pédagogie propres à former des enseignants polyvalents, mais nullement de véritables enseignants d'histoire qui maitrisent leur matière et capables d'en montrer toute la richesse et la profondeur à des ados. [...]
Truc 8 — Truffer l'histoire de « citoyenneté », de « retour au présent » et autre « ailleurs »
Programmes et manuels regorgent de gadgets didactiques auxquels l'enseignant doit se conformer : angle d'entrée, référence à des « ailleurs » (autre réalité dans un autre pays, à d'autres époques) et « retour sur le présent » faisant en sorte que chaque nouveau module part du présent de l'élève en vue de l'amener, à rebours, vers la réalité sociale étudiée. De tous ces gadgets, le plus contraignant consiste à
« exercer sa citoyenneté », un principe qu'on retrouve parmi les compétences générales et jusque dans le titre du cours. Nul ne s'entend sur ce en quoi consiste au juste cette compétence. Pour certains, il s'agit d'exercer son empathie et à « se mettre à la place de... ». Pour d'autres, la citoyenneté doit strictement s'exprimer dans le présent. Le programme est irrémédiablement confus là-dessus. Chose certaine, il ne faudra pas compter sur les élèves pour mieux le comprendre que nous. En attendant, le résultat est une sinistre blague.
Truc 9 — Combattre la recherche de l'excellence
[...] .
Au nom d'un nivèlement démocratique étrange, même l'élève qui s'échinera à travailler sa copie et à étudier en vue de se dépasser ne se verra plus désormais attribuer que la mention « compétence atteinte », comme le deux tiers de sa cohorte qui aura peut-être compris, mieux que lui, qu'il s'agit désormais dans les cours d'histoire d'en faire le moins possible, de laisser le prof s'échiner à nous répéter la même chose cinq fois, en attendant de passer l'épreuve synthèse qui n'aura, de toute façon, presque rien à voir avec ce qu'on aura passé un an à étudier.
Truc 10 — Une épreuve synthèse qui ne récapitule rien