Cela fait maintenant plus de deux ans que le Canada a été secoué par des allégations selon lesquelles 215 tombes anonymes d’écoliers autochtones avaient été découvertes sur le terrain d’un ancien pensionnat à Kamloops, en Colombie-Britannique. Il n’y avait pas de corps ou de restes humains, mais des données de géoradar (radar à pénétration de sol) indiquant des dislocations du sol régulièrement espacées. Mais on ne s’en serait pas douté à la manière dont l’histoire a été rapportée à l’époque. Un titre de Global News annonçait la « Découverte de restes humains sur le terrain du pensionnat de Kamloops ». Un autre, dans le Toronto Star, déclarait : « Les restes de 215 enfants ont été retrouvés ».
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Élèves amérindiennes au pensionnat de Kamloops |
Sans attendre que les preuves tangibles sortent de terre, les drapeaux ont été mis en berne, les célébrations de la fête du Canada du 1er juillet ont été annulées, Justin Trudeau s’est agenouillé devant les caméras et la nation tout entière est entrée dans une période collective d’autoflagellation sans précédent. Avant la fin de l’été, Justin Trudeau s’est engagé à verser plus de 300 millions de dollars de nouveaux fonds aux communautés autochtones, afin qu’elles puissent mener à bien la sinistre tâche consistant à fouiller la terre à la recherche de cadavres d’enfants. La Presse canadienne l’a ensuite qualifiée d’histoire de l’année.
Cela ne
signifie pas que des tombes et des corps ne seront pas découverts à un moment
indéterminé dans l’avenir. Mais étant donné que les données radar initialement
annoncées auraient indiqué aux groupes autochtones et aux enquêteurs
médico-légaux l’emplacement exact des restes humains présumés, le fait que deux
années se soient écoulées sans qu’aucune preuve matérielle n’ait été déterrée ne
peut être qualifié que d’étrange.
Comme je l’ai noté dans un article
récent pour un magazine britannique, et ici à Quillette, c’est un sujet dont
beaucoup de Canadiens polis ont peur de parler. En 2021, la découverte supposée
de ces 215 tombes anonymes a pris l’allure d’un récit national sacré. Souligner
les lacunes de ce récit qui se sont développées depuis, comme je le fais ici,
ressemble à un sacrilège séculaire.
En outre, des intérêts politiques considérables sont en jeu. Lors de la campagne électorale fédérale de 2021, Trudeau a fait campagne en promettant de réparer les horreurs meurtrières infligées aux Canadiens autochtones par ses ancêtres. Les dirigeants autochtones, et c’est bien compréhensible, étaient heureux de prendre l’argent du Premier ministre pour ce faire. Les journalistes ont assuré à leurs lecteurs, auditeurs et téléspectateurs que les tombes présumées constituaient une preuve supplémentaire que le Canada était un « État génocidaire », suscitant ainsi toutes sortes de nouvelles initiatives caritatives, de mots-clics et de campagnes de t-shirts. Après tout cela, peu de personnalités publiques sont incitées à admettre que nous aurions peut-être pu attendre les faits avant de nous lancer avec autant d’ardeur dans la confection de vêtements.
Seul un grand média canadien, le National Post, a osé publier une analyse complète et franche sur comment tout le monde s’est trompé dans l’histoire des tombes non marquées. D’autres médias ont soit ignoré le dénouement de l’histoire, soit sont allés plus loin en dénonçant le révisionnisme comme un symptôme de sectarisme. Au Star, par exemple, un éditorialiste a estimé que le fait de demander aux autorités de produire des preuves matérielles concernant les tombes revendiquées équivalait à « une diatribe raciste à la limite du déni de génocide ».
Pourtant, même s’ils s’en tiennent publiquement à la ligne orthodoxe sur l’histoire des tombes non marquées, les journalistes et les rédacteurs en chef canadiens ajoutent désormais des termes qui signalent l’incertitude croissante quant à ce qui se trouve réellement sous la terre. Global News, une grande entreprise multimédia mentionnée plus haut, offre une étude de cas instructive. En 2021, un titre de Global a fait allusion (à tort) à la « découverte de restes humains ». Dans un article publié un an plus tard, il s’agissait de la « découverte de tombes non marquées ». Puis, le mois dernier, à l’occasion du deuxième anniversaire, les rédacteurs se sont repliés sur une formulation plus juridique, « Des tombes présumées non marquées » (c’est moi qui souligne). Ailleurs dans ses rapports 2023, Global a parlé de « tombes non marquées potentielles » et de « tombes non marquées plausibles ».
Comme la
plupart des médias canadiens, Global n’a pas corrigé ses articles précédents sur
le sujet, et n’a même pas donné d’explication franche pour justifier sa
démarche. L’histoire des tombes anonymes se trouve donc dans un étrange état de
limbes, devenant de plus en plus suspecte au fil des mois, mais pas au point
d’être officiellement démentie.
Certains sites de médias étrangers n’ont
même pas corrigé leurs informations. Le 28 mai 2021, un journaliste du New York
Times nommé Ian Austen a annoncé à ses lecteurs qu’un « charnier » contenant des
enfants indigènes avait été « signalé au Canada ». En réalité, non seulement
aucun « charnier » n’avait été découvert, mais aucune communauté autochtone
n’avait fait une telle déclaration. Le chef de la communauté des Premières
Nations à laquelle il est fait référence a explicitement déclaré aux médias
qu’il n’y avait pas de charnier et a récusé l’utilisation de ce
terme.
Cela fait deux ans que le New York Times a publié cette
affirmation, sans qu’aucune correction n’ait été apportée. Le Times n’a pas non
plus corrigé un reportage complémentaire tout aussi bâclé publié en 2021 par le
même auteur, dont le sous-titre faisait référence à « la découverte des
dépouilles de centaines d’enfants ». Aucune « dépouille » n’avait été
découverte, ni à l’époque, ni aujourd’hui.
Le désir de faire perdurer la
thèse des tombes anonymes reste particulièrement fort chez les libéraux au
pouvoir au Canada, dont le ministre des Relations entre la Couronne et les
autochtones a pris la mesure assez extraordinaire (pour une démocratie libérale,
du moins) d’ordonner aux journalistes de ne pas relater les faits hérétiques. Au
début de l’année 2022, lorsque quelques chroniqueurs ont commencé à dire tout
haut combien il était étrange qu’aucun corps n’ait encore été découvert à
Kamloops, le ministre, Marc Miller, a dénoncé ces Canadiens comme faisant «
partie d’un type de déni et de distorsion qui a coloré le discours sur les
pensionnats indiens au Canada. Ils sont nocifs parce qu’ils tentent de priver
les survivants et leurs familles de la vérité ».
Miller suggère ici que la « vérité » de l’existence des tombes devrait être considérée comme une question de foi par ceux qui ont un cœur (politiquement) pur, quelles que soient les preuves disponibles. Le mot « négationnisme » ajouté par Miller vise clairement à comparer les personnes au cœur impur aux négationnistes de l’holocauste.
Et pourtant, le mois dernier, Miller lui-même s’est senti obligé de se défiler maladroitement lorsqu’il a tweeté à l’occasion du deuxième anniversaire de l’histoire des tombes anonymes — excusant ceux qui font des « tentatives écœurantes » pour « nier » l’histoire tout en faisant référence à la « découverte de plus de 200 tombes anonymes présumées » (je souligne). Le qualificatif « présumées » trahit l’hypocrisie de Miller : si le fait de reconnaître que ces plus de 200 tombes à Kamloops pourraient ne pas exister permet de qualifier quelqu’un de négationniste « écœurant » du génocide, alors Miller semble avoir sa place sur la liste.
Plus loin dans
la discussion, Miller semble suggérer que la vérité sur l’existence des tombes
est de toute façon hors de propos, parce que l’acte même de discuter de la
question « reste traumatisant pour la communauté, les survivants et leurs
familles ».
Les journalistes doivent donc résister à la tentation de
contester le consensus crédule de 2021, nous dit Miller. Au lieu de cela, il
demande aux médias de jouer le rôle de moines chargés de « réfléchir et de
contempler le travail qu’il reste à faire pour que les peuples indigènes
guérissent ».
Les injonctions moralisatrices de M. Miller n’ont pas force
de loi, heureusement. Mais il n’est pas exclu que cela change. Dans un rapport
publié vendredi, Kimberly Murray, l’interlocutrice spéciale indépendante nommée
par Trudeau pour enquêter sur la question des tombes sans inscription, a exhorté
les politiciens à envisager de toute urgence des sanctions civiles et pénales
contre le « négationnisme » des pensionnats. Cette idée a déjà été défendue par
une députée du nom de Leah Gazan. Le ministre canadien de la Justice, David
Lametti, s’est dit ouvert à cette proposition.
Comme Miller, Murray semble considérer que les affirmations relatives aux tombes non marquées à Kamloops et ailleurs sont moralement infalsifiables, puisqu’il s’agit de « vérités de survivants ». Elle suggère à plusieurs reprises que le simple fait de demander des preuves physiques est en soi une preuve de négationnisme. Sur ce point, Murray cite avec approbation le chef d’une Première nation de la Saskatchewan, qui
aborde subtilement la question du négationnisme en déclarant que « [q] u'on trouve ou non des tombes non marquées, il y a suffisamment de preuves orales et archivistiques documentées pour affirmer que ces sépultures existent ou ont existé ». La communauté reconnaît que les voix des survivants, qui ont des témoignages de première main sur ce qui s’est passé dans les pensionnats indiens, devraient être prioritaires sur toute autre chose.
À long terme, cependant, ce type d’analyse sémantique n’aura probablement pas beaucoup d’importance, puisque tout effort juridique visant à censurer le « négationnisme » (quelle que soit la définition de ce mot) serait presque certainement invalidé par les tribunaux en tant qu’atteinte à la liberté d’expression. Les principes constitutionnels canadiens autorisent l’adoption de lois interdisant la promotion délibérée de la « haine » à l’encontre de groupes identifiables. Mais personne ne peut sérieusement prétendre que le fait de demander des preuves d’allégations de meurtre non prouvées ou de proposer des théories dissidentes sur les pensionnats est susceptible de satisfaire à cette exigence.
Pourtant, il ne s’agit pas d’un spectacle que les Canadiens devraient ignorer : le simple fait que des personnalités publiques considèrent sérieusement ce type de censure montre à quel point elles refusent désespérément un réexamen critique de la psychose sociale qui règne dans le pays depuis 2021 autour des sépultures anonymes. Trudeau et ses ministres doivent savoir que l’heure des comptes ne peut être repoussée indéfiniment. Mon sentiment est qu’ils espèrent simplement ne pas être au pouvoir lorsqu’elle sonnera.
Voir aussi
Pensionnats — Quels enfants disparus ?
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