samedi 13 février 2021

Collèges privés pour étudiants étrangers anglophones, une filière d'immigration

Filière d’immigration 

Au cours des dernières années, des milliers d’étudiants étrangers ont été recrutés, en Inde principalement, par une poignée de collèges, dont ils sont devenus la principale, voire la seule clientèle. Ils déboursent près de 25 000 $ pour une formation professionnelle d’environ 2 ans, avec à la clef la possibilité d’obtenir un permis de travail au Canada. Permis de travail qui ouvre sur l’immigration au Canada. Ces collèges aux diplômes douteux (selon Yves-François Blanchet) sont donc une filière d’immigration déguisée contre espèces sonnantes et trébuchantes.

Rappelons  que sur Twitter, Yves-François Blanchet a quant à lui évoqué un racket de l’immigration sous prétexte de diplôme douteux [qui] contourne la loi et nuit aux intérêts du Québec.

Vers une interdiction du paiement en liquide

Que compte faire Québec ? Selon nos informations, le gouvernement Legault devrait resserrer la Loi sur l’enseignement privé. Comme l’admet la ministre McCann, des failles potentielles y figurent.

Alors que le gouvernement a déjà fait part de ses préoccupations concernant la qualité de l’enseignement fourni par ces établissements, Québec s’inquiète aussi de l’argent qui circule au sein de ce marché très lucratif.

Paiement en espèces

Selon Radio-Canada, toutes les semaines, les étudiants déposaient des milliers de dollars. Selon la direction, c’était mieux de payer en espèces.

Je n’ai jamais eu accès à un budget transparent, officiel, qui ventile exactement d’où vient et où va l’argent. Aussitôt qu’il y a un manque de transparence, ça amène des doutes, affirme un haut responsable d’un établissement, en évoquant ses patrons.

La ministre Danielle McCann parle d’une situation « très préoccupante » dans le réseau des collèges privés non subventionnés.

À l’heure actuelle, cette pratique n’est cependant pas interdite. Rien n’empêche les collèges, dans les lois québécoises, de demander ces frais en espèces.

Je ne suis pas sûre que ce soit normal, rétorque néanmoins la ministre McCann. On va se pencher sur cette question et établir des règles encore plus claires dans le futur.

Il faut qu’on mette des garde-fous pour que les choses se passent le mieux possible, dans les règles de l’art.

Québec, qui y voit un dérapage potentiel, pourrait ainsi imiter la Colombie-Britannique, qui a interdit, en 2019, aux établissements d’enseignement de recevoir en espèces les frais de scolarité, afin de limiter les risques de blanchiment d’argent.

C’est un bon exemple. C’est très intéressant, admet Danielle McCann.

Une pratique illégale 

D’autres éléments sont dans la mire du gouvernement. Des collèges réclament par exemple le paiement en avance des frais de scolarité, ce qui est interdit au Québec.

Chez nous et dans d’autres établissements, cette pratique a lieu, reconnaît ce haut responsable d’un collège privé montréalais. Cette demande est faite aux étudiants par les agents de recrutement ou directement avec certaines directions qui ont moins de scrupules, détaille-t-il.

On va exiger de faire un dépôt, ce qui contrevient à la loi. On va même parfois jusqu’à demander aux agents [de recrutement] de demander un dépôt aux étudiants. Et comme ce n’est pas l’école qui le demande, on essaie de contourner à ce niveau-là. 

 Rising Phoenix International

Dans une demande d’autorisation de recours collectif déposée fin octobre en Cour supérieure, des étudiants indiens reprochent à la firme de recrutement Rising Phoenix International et au Collège de l’Estrie (CDE) l’impossibilité d’obtenir un remboursement complet avant le début des cours.

Cette firme de recrutement, Rising Phoenix International, et le CDE étaient alors dirigés, notamment, par Carol Mastantuono et sa fille, Christina Mastantuono. Ces dernières ont récemment été accusées de fraudes par l’Unité permanente anticorruption (UPAC), dans le cadre de leurs activités au sein de la Commission scolaire Lester-B.-Pearson, entre 2014 et 2016. L’UPAC les suspecte d’avoir établi un stratagème de fraude en lien avec le recrutement d’étudiants étrangers et le processus d’immigration.

À la suite de ces accusations, en décembre, Carol Mastantuono et Christina Mastantuono ont quitté leurs postes au sein des collèges privés et entreprises qu’elles dirigeaient.

Vers une plus grande vérification des antécédents

À l’heure actuelle, avant d’accorder un permis à des collèges privés, le ministère de l’Enseignement supérieur s’assure, selon un porte-parole, qu’aucun dirigeant n’a été déclaré coupable ou ne s’est reconnu coupable, dans les trois ans précédant sa demande, d’une infraction à la Loi sur l’enseignement privé ou d’un acte criminel commis à l’occasion de l’exercice des activités d’un établissement d’enseignement.

À l’avenir, ce processus pourrait être revu et durci, admet la ministre McCann. C’est un autre aspect de la loi qu’il va falloir regarder. On va avoir besoin de l’avis de nos contentieux pour nous guider, reprend-elle.



Malaise autour du prétendu « art contemporain »

L’Art dit « contemporain », enfant involontaire de Marcel Duchamp, est né au détour des années 60, détrônant l’Art moderne à coups de surenchère progressiste, provocatrice, libertaire. Il n’a pas tardé à se révéler liberticide, vide et officiel. Car, depuis ses débuts, il n’aura consisté qu’en stratégies, manipulations et mirages. C’est le secret de ce nihilisme que dévoile ici, avec érudition et ironie, Christine Sourgins.
À tous ceux qui sont perdus dans les dédales de ce labyrinthe, elle offre enfin un fil d’Ariane, en montrant de manière implacable comment une telle entreprise, trop vite qualifiée de farce, menace ceux qui s’en moquent tout autant que ceux qui s’en enchantent. Car l’Art contemporain, qu’il se veuille critique, ludique ou didactique, relève toujours de l’instrumentalisation, de la subversion, et du radicalisme. Quels que soient les prétextes esthétiques, politiques ou moraux qu’il se donne, il attaque en fait l’humanité même de l’homme.
 
 Les mirages de l’Art contemporain
Brève histoire de l’Art financier
par Christine Sourgins
paru le 21 mai 2018
à La Table Ronde
à Paris,
320 pages, ISBN-10 2 710 388 294
ISBN-13 978-2710388296
 

Un autre livre est paru récemment sur le sujet, celui de Benjamin Olivennes: L'autre art contemporain : Vrais artistes et fausses valeurs.

Selon l’éditeur, cet opuscule, « écrit par un non-spécialiste passionné, s’adresse à tous, et entend fournir un manuel de résistance au discours sur l’art contemporain. » Ce dernier fonde son emprise sur une vision mythifiée de l’histoire de l’art : le XXe siècle aurait été avant tout le siècle des avant-gardes, chacune ayant été plus loin que la précédente dans la remise en cause de notions comme la figuration, la beauté, et même l’œuvre. Or non seulement ces notions anciennes ont continué d’exister dans les arts dits mineurs, mais surtout, il y a eu un autre XXe siècle artistique, une tradition de peinture qui s’est obstinée à représenter la réalité et qui réémerge aujourd’hui, de Bonnard à Balthus, de Morandi à Hopper, de Giacometti à Lucian Freud.

Peinture de Chiara Gaggiotti, artiste figurative dont parlent Benjamin Olivennes et Natacha Polony

Cet essai présente cette autre histoire de l’art, dont l’existence infirme le discours, le mythe… et le marché de l’art contemporain. Cette histoire s’est prolongée secrètement jusqu’à nous : il y a eu en France, au cours du dernier demi-siècle, de très grands artistes, dont certains sont encore vivants, qui ont continué de représenter le monde et de chercher la beauté. Connus d’un petit milieu de collectionneurs, de critiques, de poètes, mais ignorés des institutions culturelles et du grand public, ces artistes sont les sacrifiés de l’art contemporain, les véritables artistes maudits de notre époque. Comme les artistes maudits de jadis, ce sont eux pourtant qui rendent notre modernité digne d’être aimée et sauvée. Ils sont la gloire de l’art français.

 

Peinture de Chiara Gaggiotti, artiste figurative dont parlent Benjamin Olivennes et Natacha Polony

Extrait de L’autre art contemporain : Vrais artistes et fausses valeurs.

Le sens commun se révolte contre ce qu’on rassemble aujourd’hui sous le nom d’art contemporain, et il a bien raison.

Autour de ce tout qu’on désigne sous cette appellation, il y a un discours, une idéologie, entretenus par le marché, les critiques, et, en France à tout le moins, les institutions. Les tenants de ce discours sont en position de force : ce sont les collectionneurs les plus riches, les musées d’État, les Écoles des beaux-arts. S’opposer à cet art contemporain, ce n’est pas s’opposer à l’art, c’est opposer un contre-pouvoir à ce qui aujourd’hui domine.

Quand je parle d’art contemporain, je sais bien que je me livre à une généralisation, et donc que je m’expose au risque d’être injuste. Mais cet art contemporain existe comme système, comme idéologie, comme horizon d’attente. Il y a un monde de l’art contemporain, qui a ses lieux, son discours, et ses valeurs, ses critères de jugement. C’est ce monde que dans ce livre j’appelle l’« art contemporain ». Le fait qu’il y ait des artistes véritables, de grands artistes, — Anselm Kiefer, Baselitz, Peter Doig, Ron Mueck — qui fassent partie de ce circuit et tirent leur épingle du jeu ne saurait empêcher une critique globale de ce système. Comme le montrent leurs voisins d’exposition, ils sont là malgré l’idéologie de l’art contemporain, et non grâce à elle. Je sais que l’on m’accusera, selon la célèbre expression, de jeter le bébé avec l’eau du bain, mais ce n’est pas ce que je veux faire : je voudrais libérer le bébé.

Ce que j’appelle l’art contemporain, on peut s’en faire une idée en regardant les salles consacrées aux années 1960 et suivantes dans la plupart des musées d’art moderne, ou dans les musées spécifiquement dévolus à l’art contemporain ; en regardant les dernières expositions des galeries d’art dont la presse dit qu’elles comptent le plus (en gardant à l’esprit qu’elles exposent toujours un artiste véritable au milieu de dix escroqueries pour se légitimer) et le gros de ce qu’on peut voir dans les principales foires d’art contemporain (Cassel, Bâle, Venise, FIAC) ; en voyant ce qu’achètent les Fonds régionaux et nationaux, les artistes à qui l’État ou les régions ou les mairies passent commande ; en voyant ce qui est valorisé chez les jeunes étudiants en art, ce qu’on les encourage à faire ou ce qu’on les décourage de faire.

Je ne citerai pas de noms, car je veux privilégier l’éloge — des artistes véritables — à la critique — des fausses gloires d’aujourd’hui.

Si j’en citais, néanmoins, il faudrait distinguer entre les grandes stars du marché mondial (Jeff Koons, Maurizio Cattelan, Paul McCarthy, Damien Hirst, Anish Kapoor), mauvais mais nageant comme des poissons dans l’eau dans ce système, et les Français qu’on invente pour essayer de leur ressembler et de les concurrencer (Buren, Morellet, Claude Lévèque), tout aussi nuls mais, qui plus est, fades — peut-être, on y reviendra, parce que le goût français est particulièrement éloigné de cet art contemporain.

Qu’a-t-il pour déplaire, cet art contemporain pris comme un tout, comme nous pouvons en faire l’expérience dans une foire ou un musée ? Il est, la plupart du temps, insignifiant ; moche ; fonctionnant à la provocation, souvent sexuelle, mais une provocation banale et triste ; n’impliquant aucun métier, aucun savoir-faire, aucun travail ; quand il y a création d’un objet neuf, celui-ci est produit en usine par un « artiste » qui ne pose pas les mains sur l’œuvre. Il se reconnaît aussi aux critères d’évaluation qu’il se donne à lui-même et aux commentaires qu’il suscite : « c’est marrant », ou le sempiternel « c’est intéressant ». Qui ne voit que dire d’une œuvre d’art qu’elle est « intéressante », c’est avouer qu’elle est insignifiante, car l’œuvre d’art devrait nous bouleverser, nous émouvoir, nous saisir, nous éclairer ? Souvent il me prend l’envie de demander à ceux qui disent de telle ou telle exposition d’art contemporain que « ouais non là, j’ai trouvé ça vachement intéressant, tu vois » s’ils aimeraient avoir ce qu’ils viennent de voir dans leur chambre : cette mise à l’épreuve aiderait à distinguer le bon grain de l’ivraie.

Ce qui disparaît dans cet art contemporain, c’est l’admiration, et l’admiration pour un objet singulier : l’œuvre. Les artistes du passé dont le nom est parvenu jusqu’à nous suscitaient l’admiration, et cette admiration se portait sur les œuvres qu’ils étaient capables, et eux seuls, de produire. J’admire Michel-Ange car j’admire l’auteur de la Pietà. C’est la rencontre avec la Pietà qui m’émerveille et me fait me demander qui est l’homme qui a bien pu produire cela. Dans l’art contemporain l’ordre s’inverse : on ne nous parle jamais d’œuvres, mais bien d’« artistes » (ou prétendus tels), les œuvres sont secondes, elles sont là comme signes de l’existence d’un artiste et non pour elles-mêmes. De tel bidule auquel on ne prêtait pas attention et qui n’avait aucun intérêt, on nous dit soudainement avec componction que « c’est un Ryman » ou que « c’est un Buren », et soudain tout change, il faut les aborder avec un respect sacré, l’objet insignifiant se nimbe d’une aura magique. On quitte alors le critère de l’admiration, et de l’admiration pour un objet, critère qui était celui de tous les arts. Ainsi, on sait que l’immense majorité des trésors qui sont dans les musées, statues grecques, africaines, ou gothiques, sont des chef-d’œuvre anonymes. Ils n’ont pas besoin d’avoir un auteur pour qu’on les admire, l’œuvre seule compte. Or un chef-d’œuvre-anonyme-d’art-contemporain représente une double impossibilité théorique. Car pour paraphraser la blague juive « Dieu n’existe pas, mais nous sommes son peuple », on pourrait dire que dans l’art contemporain, il n’y a pas de chef-d’œuvre, mais il est signé. Un musée d’art contemporain, s’il liste son catalogue, peut produire une liste de noms prestigieux. Mais comme accumulation d’œuvres qu’on regarde et qu’on chérit, il est condamné à décevoir. Circulez, il n’y a rien à voir.

Pourquoi un Jeff Koons a-t-il soudainement surgi dans le champ de l’art, au point de devenir l’artiste le plus cher de notre début de siècle, et pourquoi m’autorisé-je à en penser du mal ? Dans le New York des années 1980, Koons a représenté une rupture avec l’austérité du minimalisme et du conceptuel. Il passait non seulement pour le retour de la figuration, mais aussi pour l’irruption rafraîchissante du fun et du sexuel dans le monde compassé de l’art new-yorkais de l’époque. Qu’il ait représenté une nouveauté et un bol d’air frais à un moment donné dans un monde déjà bien mal en point ne signifie pas qu’il ait une valeur artistique quelconque. Il y a une trouvaille maligne chez Jeff Koons, qui consiste à créer des objets en acier qui donnent l’illusion d’être de la baudruche (Balloon Dog) ou de la pâte à modeler (Play-Doh). Mais une fois sa trouvaille matérielle, réalisée par des ouvriers en usine, connue et constatée, quel intérêt a son œuvre ? Que nous dit-elle du monde, des hommes, quel plaisir, esthétique ou de connaissance, peut-on y trouver ? Peut-on imaginer un enfant, trouvant le Balloon Dog dans un musée ou dans un livre, se dire, ébloui, que lui aussi veut être artiste ?

Rien de plus triste que la visite d’un musée d’art contemporain (Dia : Beacon à New York par exemple), ou des salles contemporaines d’un musée d’art : l’impression d’un immense foutage de gueule, d’une absence complète de sens, de la disparition de la beauté, du travail, de l’œuvre. Il faudrait également analyser les motifs récurrents de cet ensemble d’objets, son répertoire systématique : la merde, la pisse, le sperme, tout ce qui a trait au sexe, toutes les sécrétions corporelles, le doigt d’honneur, le mot « fuck », la cruauté envers les animaux. Il y a là un bréviaire de figures imposées par lesquelles passent nécessairement tous les artistes contemporains officiels, tout en ayant l’impression d’être follement originaux et subversifs. La vérité est qu’ils ne choquent plus personne. Ce qui nous choque est que des institutions d’État prennent ces clowneries au sérieux.

La tristesse, la détresse que nous ressentons en visitant un musée d’art contemporain ont également un sens politique : une civilisation qui met au sommet de ses valeurs l’art (c’est notre cas, disons depuis le romantisme) et appelle désormais « art » ce qui est évidemment, et de manière revendiquée, du non-art ne peut que nous sembler perdue.

Fallait-il, d’ailleurs, donner à l’art une telle importance ? Le monde pré-moderne adorait des dieux ou un Dieu. Le monde moderne, né de la Renaissance puis des Lumières, mettait au pinacle la raison, la beauté et la culture — d’où la création de ces lieux étranges que sont les musées, églises de notre nouveau culte. De plus radicaux que moi voudraient croire que, dès le passage du monde de la foi au monde des Lumières, le ver était dans le fruit ; qu’un monde sans Dieu, où l’art était libéré de toute contrainte et devenait une valeur en soi, allait nécessairement déboucher sur le narcissisme et le nihilisme d’aujourd’hui. C’est sans doute en partie vrai. Il n’en demeure pas moins que, toute critiquable que soit l’ère moderne, elle représente trois ou quatre siècles où l’Europe a ébloui le monde — ce qui n’est tout de même pas négligeable, et qu’il y a peu de risque qu’elle fasse désormais si elle continue de prendre les rayures de Buren pour de l’art.


L’autre art contemporain : Vrais artistes et fausses valeurs
par Benjamin Olivennes

paru le 20 janvier 2021,
chez Grasset,
à Paris,
168 pages
ISBN-10 : 2 246 823 978
ISBN-13 : 978-2246823971

Voir aussi

« Ce n’est pas beau, c’est symétrique » 

L’art contemporain, son « discours » et sa mission « provocatrice »  (Radio-Canada) 

L’« art contemporain » et les masses laborieuses

 

Legault parle de garantir la liberté de débat à l'université, Martine Delvaux de l'UQAM parle de « police » gouvernementale

Le Premier ministre du Québec, François Legault a publié ce samedi matin un texte encourageant sur Facebook.

On entend beaucoup parler de liberté académique et de liberté d’expression ces temps-ci. Je pense notamment à l’histoire de l’Université d’Ottawa qui a choqué pas mal de monde, moi compris.

On voit qu’une poignée de militants radicaux essaient de censurer certains mots et certaines œuvres. On voit arriver ici un mouvement parti des États-Unis et franchement, je trouve que ça ne nous ressemble pas.

Ce qui est vraiment inquiétant, c’est que de plus en plus de gens se sentent intimidés. Ils se sentent forcés de s’autocensurer, de peur de se faire insulter et dénoncer sur la place publique.

Des professeurs se font demander d’effacer des œuvres de certains de nos grands écrivains, comme Anne Hébert, Réjean Ducharme, Dany Laferrière ou Pierre Vallières. C’est absurde. Ça va à l’encontre de l’idée même de l’université.

Et puis ça ne se limite pas aux campus. À l’automne, j’en ai moi-même fait l’expérience quand des militants ont essayé de censurer mes suggestions de lecture parce que j’avais recommandé un livre de Mathieu Bock-Côté, qui portait justement sur les dérives du politiquement correct.

Récemment, une chargée de cours à l’université témoignait dans un journal qu’elle s’était fait dénoncer et harceler pour avoir utilisé les mots « homme » et « femme » !

Ça va trop loin. La situation est en train de déraper. Je pense que c’est le temps qu’on ait une sérieuse discussion tous ensemble. L’utilisation de certains mots peut blesser, et il faut reconnaître la douleur de ceux qui la ressentent. Par contre, leur juste cause ne doit pas être détournée par des radicaux qui veulent censurer, museler, intimider et brimer notre liberté de parole. Entre blessure et censure, on doit tracer une ligne.

S’il peut être sain de remettre en question certaines conceptions ou certains comportements et d’éviter de choquer ou de blesser, on ne doit pas pour autant sacrifier notre liberté d’expression. On doit se tenir debout pour que les personnes intimidées sachent qu’elles ont le droit d’exposer des faits et des idées, et qu’on sera là pour les défendre.

Même chose pour les personnes victimes de racisme. Elles doivent savoir qu’on ne laissera pas passer les propos haineux, les actes racistes ou la discrimination.

La liberté d’expression fait partie des piliers de notre démocratie. Si on se met à faire des compromis là-dessus, on risque de voir la même censure déborder dans nos médias, dans nos débats politiques. On ne voudra plus rien dire. Personne n’osera parler d’immigration, par exemple, si chaque fois qu’on aborde ce sujet, on se fait crier des bêtises. Personne ne veut ça. Pas moi, en tout cas.

Ce problème-là est parti de nos universités, et je pense que c’est là qu’on va devoir le régler en premier. La ministre de l’Enseignement supérieur, Danielle McCann, est en train de se pencher là-dessus avec les milieux universitaires pour agir rapidement. Nos universités devraient être des lieux de débats respectueux, de débats sans censure et de recherche de vérité, même quand la vérité peut choquer ou provoquer. On va faire ce qu’il faut pour aider nos universités à protéger notre liberté d’expression.

Mais on a aussi une responsabilité là-dedans. On a tous le devoir de défendre nos principes fondamentaux devant les tentatives d’intimidation. Si on commence à s’autocensurer par peur de se faire insulter, ou si on ne défend pas quelqu’un qui est victime de ça, on joue le jeu des radicaux. Je comprends que ça puisse faire peur, mais on doit se tenir debout, rester fermes. Plus on sera nombreux à refuser de céder à l’intimidation d’une minorité de radicaux, plus la peur reculera.

Bon samedi tout le monde.

Votre Premier ministre

Voyons si ce texte sera suivi d’effets.

Martine Delvaux, professeure/professoresse/professeuse d’« études littéraires » à l’UQAM, qui avait déjà défendu les étudiants wokes dans ce dossier (voir Universités : après le mot « nègre » devenu tabou, le bannissement de « femme » et « homme » pour transphobie ?) a immédiatement réagi sur le même médium en invoquant le spectre de la police gouvernementale.

Ironique de voir ces partisans du zéro tolérance invoquer le fait que la censure, le harcèlement et l’intimidation ne seraient que des exceptions. Comme si c’était une excuse pour ces gens qui ne tolèrent pas la moindre « microagression »…    

L’appartenance de Martine Delvaux au Département d’études littéraires pourrait faire croire qu’elle s’intéresse de manière érudite à la littérature, aux grands classiques, il n’en est rien. Elle se spécialise dans la « douleur au féminin », les « études féministes », « Jacques Derrida » et la « littérature des femmes ». Sur Derrida et les autres « déconstructeurs », lire Épidémie d’occidentalophobie semble avoir frappé le monde universitaire anglo-saxon et Parodier le vocabulaire des études de genre : un nouveau genre à succès ?

Les commentaires des partisans de Martine Delvaux valent leur pesant d’or :

Rappelons que le gouvernement conservateur albertain exige que les établissements d’enseignement postsecondaires en Alberta se plient aux principes de Chicago. Les principes de Chicago ont été rédigés en 2014 par le Comité sur la liberté d’expression de l’Université de Chicago et publiés en janvier 2015. Ils réitèrent l’importance de la plus grande liberté d’expression possible sur les campus. Selon ses promoteurs, les universités, par nature, doivent s’abstenir de limiter la propagation d’idées mêmes blessantes ou désagréables. La limite c’est que les lois soient respectées et qu’il n’y ait donc ni diffamation, ni menaces, ni harcèlement. Plus de détails ici : L’Alberta exige une plus grande liberté d’expression sur les campus.

Nous pensons cependant qu’il faut aller au-delà de cette nécessaire liberté d’expression. Il faut s’interroger sur le financement public des universités et de départements d’études idéologiques (femmes, genre, races) dont la valeur pour le contribuable est plus que de douteux.

Nadia El-Mabrouk sur Facebook rappelle que : « Il est vrai que la prise gouvernementale sur le déroulement de la recherche universitaire est bien mince. En particulier, le gouvernement du Québec n'a pas de contrôle sur le fonctionnement des revues scientifiques ou sur les paramètres des subventions fédérales à la recherche. Par contre, il serait très judicieux de se pencher sur les subventions provinciales et ministérielles octroyées, et s'interroger sur la responsabilité du gouvernement, par l'intermédiaire de ces subventions, dans le blanchissement d'idées non-fondées scientifiquement et la capture institutionnelle de théories fumeuses. »

 


Extrait de la réaction de Mathieu Bock-Côté

C’est aussi une très bonne chose de voir la classe politique annoncer qu’elle lui tiendra tête, comme vient de le faire François Legault, qui expliquait dans ses mots aujourd’hui que l’intolérance idéologique qui se présente sous le signe de la vertu est un vrai danger pour l’esprit démocratique. La question de la liberté d’expression en général et de la liberté académique en particulier s’impose au cœur de la vie publique. La liberté d’expression doit être défendue ardemment et nous ne pouvons que nous réjouir de voir le premier ministre s’emparer personnellement de cet enjeu, en en faisant une priorité nationale. Il y a quelques mois, d’ailleurs, Paul St-Pierre Plamondon avait déjà plaidé pour une action sur la question. Quelle que soit leur nuance de bleu, les nationalistes s’entendent pour défendre la démocratie contre la mouvance woke.

La réaction paniquée de la mouvance woke, qui se drape derrière le principe de l’autonomie universitaire pour dissimuler son emprise sur une institution qu’elle a détournée pour en faire une machine de guerre idéologique est révélatrice. Certains nous disent que l’université est capable de se réguler elle-même. Elle a pourtant fait la preuve du contraire depuis des années, et de la manière la plus grotesque qui soit. Plusieurs recteurs eux-mêmes, et bien des professeurs, sont tentés aujourd’hui par une censure à prétention vertueuse. Bien des étudiants souffrent de cet environnement qui fonctionne selon les règles du contrôle idéologique. À travers son emprise sur l’université, et surtout, sur les départements de sciences sociales, la gauche woke exerce une véritable hégémonie idéologique sur la société: elle maîtrise les conditions de production de l’idéologie dominante, et cela, bien au-delà des départements de sciences sociales.

Mais ce serait une erreur de croire que cette mouvance est simplement le fait de militants radicaux qu’il suffirait de confronter pour que le débat civilisé reprenne ses droits. Nous ne sommes pas seulement devant des hurluberlus isolés. La mouvance woke, je le redis, ne représente que la nouvelle vague du déploiement du politiquement correct, qui est hégémonique dans l’université depuis bien plus longtemps. Le wokisme, en quelque sorte, est un politiquement correct radicalisé et fanatisé. Il ne s’agit pas, toutefois, d’une dérive inattendue, mais de l’expression la plus achevée de l’idéologie dominante dans le milieu universitaire. Nous ne devrions pas parler des dérives du wokisme, mais du wokisme comme dérive. Mais pour le savoir, il faut s’intéresser à la guerre culturelle qu’il mène dans le monde des idées ainsi qu’à ses méthodes.

Cette idéologie domine aussi les milieux culturels, les organismes subventionnaires qui les soutiennent, et est très présente dans le milieu médiatique, comme on le voit à Radio-Canada qui soumet ses employés à des ateliers de rééducation idéologique obligatoires. Cette idéologie se retrouve aussi à différents degrés dans la fonction publique et plus largement, dans les départements de marketing et de ressources humaines de plusieurs entreprises, qui normalisent sa rhétorique sans vraiment savoir ce qu’ils font. L’autoritarisme aime se draper derrière les plus nobles intentions. Au nom de ce qu’elle appelle la «diversité», la gauche woke entraîne notre société dans une régression racialiste. Elle fabrique des interdits, transforme des mots en tabous et rend imprononçable le titre de certaines œuvres.

Il faut donc avoir une vision d’ensemble de la situation. Ceux qui, dans les médias, dénoncent les étudiants censeurs sans s’intéresser aux fondements idéologiques de leur prétention à la censure, sans même se rendre compte qu’il leur arrive de les embrasser, participent à la confusion générale. De ce point de vue, si on veut vraiment tenir tête au wokisme et entreprendre une reconquête démocratique de l’espace public, il faut comprendre les mécanismes institutionnels par lesquels il exerce une telle emprise sur l’université, qu’il transforme en machine à endoctriner et à embrigader, en plus de fabriquer trop souvent un faux savoir pseudo-scientifique, mais authentiquement délirant qui continue de bluffer un trop grand nombre d’acteurs sociaux même si, de temps en temps, des canulars universitaires bien montés révèlent sa grotesquerie.

Comment fonctionnent aujourd’hui les organismes subventionnaires? Comment le processus d’embauche des professeurs favorise-t-il la création de coteries idéologiques n’ayant plus rien à voir avec la liberté universitaire? Comment les associations étudiantes fanatisées se permettent-elles d’avoir un comportement milicien sur les campus? Il ne faudra pas se contenter de prendre la pose pour défendre la liberté d’expression: il faudra restaurer l’institution qui n’aurait jamais dû la trahir. C’est au nom de la liberté qu’il faut s’engager. La liberté de penser, de débattre, de réfléchir. Cette bataille, qui doit être menée, nous permettra de dire que le Québec sait résister au délire idéologique nord-américain et confirme, de la plus belle façon qui soit, sa réputation de village gaulois.

Ancien ministre : l'expertise au ministère de l'Éducation est surtout idéologique

Extrait d’un article sur le ministre de l’Éducation (le Monopole) du Québec :

Ces deux anciens ministres [anonymes] font toutefois un constat commun : la machine administrative au ministère de l’Éducation est particulièrement résistante aux changements. Les meilleurs fonctionnaires, dit l’un d’eux, sont aux Finances et au Conseil du Trésor, où l’expertise est impérative. Il ajoute qu’à l’Éducation, c’est plutôt une expertise idéologique, et ces idéologues pensent qu’ils savent tout.

Source : SRC


 

Mario Dumont avait déjà déclaré lors d’une réunion en 2008 que le Ministère de l’Éducation était un État dans l’État. À la même époque, alors qu’il s’opposait au cours d’éthique et de culture religieuse  comme manifestation du multiculturalisme, il avait déclaré à Granby que ce programme était un « produit dérivé des dérapages bureaucratiques » orchestrés par les bureaucrates du ministère de l’Éducation. »

Comment se fait-il que la bureaucratie semble toujours grossir ? 

Max Weber avait une vision particulière sur la chose.

Le terme de bureaucratie est apparu au XVIIIe siècle et, dès l’origine, il eut une signification plutôt péjorative : l’influence excessive, abusive ou usurpée des bureaux de l’administration sur le cours ordinaire des choses. Il désignait donc d’emblée une manière de déprécier l’organisation administratrice moderne, une plaie de notre société, sans que l’on se soit donné la peine d’expliquer ou de comprendre le phénomène et sans se demander pourquoi il est apparu dans la société moderne. Aussi assiste-t-on durant le XIXe siècle à une kyrielle de dénonciations de la bureaucratie…

L’essor du marxisme n’a fait que renforcer le préjugé contre la bureaucratie. En effet, Marx la considérait comme un des moyens dont use l’État pour opprimer les hommes, au même titre que la police, l’armée ou l’organisation judiciaire.

Notons à ce stade que nous ne pensons pas que l’éducation dirigée par l’État soit nécessairement un domaine où l’efficacité centralisée aille de soi (les écoles publiques coûtent cher aux parents et aux contribuables). En outre, l’efficacité ne doit pas primer aux dépens d’une instruction de qualité qui respecte les choix légitimes des parents.  Voir Les preuves s’accumulent : la présence d’écoles privées profite à tous, Les règles imposées par l’État à l’école privée sont responsables de la sélection pratiquée et Les causes de la « Révolution tranquille » en matière d’éducation, ses conséquences

Depuis le XIXe siècle, voire plus tôt, l’idée selon laquelle une économie de marché s’oppose à un gouvernement dirigiste a été utilisée pour justifier des politiques économiques de laissez-faire conçues pour réduire le rôle de ce gouvernement. Et pourtant les politiques dites libérales ne semblent jamais avoir de réels effets sur la taille de la bureaucratie. C’est ainsi que le libéralisme anglais n’a pas conduit à une réduction de la bureaucratie étatique. Au contraire, on a vu apparaître des panoplies entières de juristes, de greffiers, d’inspecteurs, de notaires et de policiers dont le rôle (réel ou annoncé) est de rendre possible la vision libérale d’un monde tissé par des individus autonomes qui concluent librement des contrats entre eux. Il ne fait aucun doute que le maintien d’une économie de marché moderne nécessite mille fois plus de paperasse qu’une monarchie comme celle du Grand Siècle de Louis XIV.

Selon une école de pensée, la développement de la bureaucratie obéit à une logique interne perverse, mais incontournable. L’argument est le suivant : si vous créez une structure bureaucratique pour traiter un problème, cette structure finira invariablement par créer d’autres problèmes qui paraîtront, eux aussi, ne pouvoir être résolus que par des moyens bureaucratiques. On créera par exemple une couche bureaucratique supplémentaire pour s’attaquer à l’excès de bureaucratie.

Une version légèrement différente de l’argument consiste à dire que, une fois une administration créée, elle cherchera immédiatement à se rendre indispensable à quiconque tentera d’exercer le pouvoir, peu importe ce qu’il souhaite en faire. Le principal moyen d’y parvenir est toujours d’essayer de monopoliser l’accès à certains types d’informations clés.

Comme le grand sociologue allemand du début du XXe siècle Max Weber l’écrivait : « Toute bureaucratie cherche à accroître la supériorité de ses membres en gardant secrètes leurs connaissances et leurs intentions […] L’administration bureaucratique tend à être une administration qui exclut la publicité. La bureaucratie dérobe à la critique, autant que possible, son savoir et ses agissements ».

Un effet secondaire, comme Weber l’observe également, est qu’une fois qu’on crée une bureaucratie, il est presque impossible de s’en débarrasser. Les toutes premières bureaucraties que nous connaissons se trouvaient en Mésopotamie et en Égypte, et celles-ci ont continué d’exister, en grande partie inchangées, lorsqu’une dynastie ou une élite dirigeante en a remplacé une autre, pendant des milliers d’années. De même, les vagues successives d’envahisseurs n’ont pas suffi à déloger la fonction publique chinoise, avec ses bureaux, ses rapports et son système d’examen. Les mandarins sont restés fermement en place, peu importe qui revendiquait le mandat du ciel. Le seul vrai moyen de se débarrasser d’une bureaucratie établie, selon Weber, est simplement de trucider tous les bureaucrates, comme le fit Alaric le Goth dans la Rome impériale, ou Gengis Khan dans certaines parties du Moyen-Orient. Laissez en vie un nombre important de fonctionnaires et, dans quelques années, ils finiront inévitablement par gérer votre royaume…

Il ne faut pas en conclure que Max Werber considérait nécessairement la bureaucratie comme un mal.

Car une autre raison qui expliquerait que la bureaucratie s’incruste et s’accroit est qu’elle devient non seulement indispensable aux dirigeants, mais qu’elle présente aussi un véritable attrait pour ceux qu’elle administre. L’explication la plus simple de l’attrait des procédures bureaucratiques réside dans leur impersonnalité. Les relations froides, impersonnelles et bureaucratiques ressemblent beaucoup aux transactions en espèces : elles sont sans âmes, simples, prévisibles et traitent tout le monde plus ou moins de la même manière. Dans cette optique, la bureaucratie permet de traiter avec d’autres personnes sans avoir à se préoccuper de relations personnelles complexes et épuisantes à la longue.

L’une des raisons pour lesquelles Weber a pu décrire la bureaucratie comme l’incarnation même de l’efficacité rationnelle est que, dans l’Allemagne wilhelmienne, les institutions bureaucratiques fonctionnaient très bien. L’institution phare, la fierté et la joie de la fonction publique allemande, était sans doute la poste. À la fin du XIXe siècle, le service postal allemand était considéré comme l’une des grandes merveilles du monde moderne.

Le service postal a été, pour l’essentiel, l’une des premières tentatives d’appliquer au bien public des formes d’organisation militaire descendante. Historiquement, les services postaux ont pris naissance dans l’armée et les États. Ils étaient à l’origine le moyen de transmettre des rapports de terrain et des ordres sur de longues distances. Par la suite, ils permirent d’assurer la cohésion des empires conquis. D’où le célèbre passage d’Hérodote sur les messagers impériaux persans : « Rien ne parvient plus vite au but que ces messagers royaux, de tout ce qui est mortel. Voici le système qu’ont inventé les Perses : ils établissent, dit-on, sur la route à parcourir autant de relais avec hommes et chevaux qu’il y a d’étapes journalières à assurer, à raison d’un homme et d’un cheval par journée de marche. Neige, pluie, chaleur ou nuit, rien n’empêche ces hommes de couvrir avec une extrême rapidité le trajet qui leur a été assigné ; sa course achevée, le premier courrier transmet le message au second, le second au troisième et ainsi de suite : les ordres passent de main en main, comme le flambeau chez les Grecs aux fêtes d’Héphaïstos… » L’Empire romain avait un système similaire et à peu près toutes les armées fonctionnaient avec des systèmes de courrier postal jusqu’à ce que la France misa sur le télégraphe de Chappe dans la foulée de la Révolution française.

L’une des grandes innovations de l’administration du XVIIIe et surtout du XIXe siècle a été d’étendre au public ce qui était autrefois un système réservé à l’armée. Ce furent d’abord les commerces qui utilisèrent ce nouveau service postal élargi, avant qu’il ne soit adopté pour la correspondance personnelle ou politique. En peu de temps, dans de nombreux États-nations émergents d’Europe et des Amériques, la moitié du budget gouvernemental était consacrée — et plus de la moitié à la fonction publique employée — au service postal.

Timbre commémorant le service postal des Tour et Taxis (ou Tassis, le x étant bourguignon prononcé ss comme dans Bruxelles) avec leur blason qui incorpore un blaireau (tasso en italien, tassi au pluriel).

En Allemagne, on pourrait même faire valoir que la nation a été créée, plus que toute autre chose, par la poste. Sous le Saint Empire romain germanique, le droit de gérer un système de courrier postal dans les territoires impériaux avait été accordé à une famille noble originaire de Milan, connue plus tard sous le nom de barons de Tour et Taxis (un descendant de cette famille, selon la légende, aurait été l’inventeur du taximètre, c’est pourquoi les taxis ont fini par porter son nom). L’empire prussien a racheté le monopole des Tour et Taxis en 1867 et l’a utilisé comme base pour le nouveau poste national allemand.

La grande efficacité du système postal devint l’objet de fierté nationale. Et en effet, la poste allemande de la fin du XIXe siècle offrait un service inégalé, avec jusqu’à cinq voire neuf livraisons du courrier par jour dans les grandes villes. À Berlin, un vaste réseau de tubes pneumatiques livrait des lettres et des petits colis presque instantanément sur de longues distances grâce à un système d’air comprimé. Mark Twain, qui vécut brièvement à Berlin entre 1891 et 1892, fut tellement emballé par ce système qu’il composa l’un de ses seuls essais non satiriques connus, « Postal Service », juste pour célébrer sa merveilleuse efficacité. Londres et Paris avaient aussi leur poste pneumatique.

Il n’était pas non plus le seul étranger à être subjugué. Quelques mois seulement avant le déclenchement de la révolution russe, Vladimir Ilitch Lénine écrivait : « Un spirituel social-démocrate allemand des années [18]70 a dit de la poste qu’elle était un modèle d’entreprise socialiste. Rien n’est plus juste. La poste est actuellement une entreprise organisée sur le modèle du monopole capitaliste d’État. L’impérialisme transforme progressivement tous les trusts en organisations de ce type. […] Toute l’économie nationale organisée comme la poste, de façon que les techniciens, les surveillants, les comptables reçoivent, comme tous les fonctionnaires, un traitement n’excédant pas des “salaires d’ouvriers”, sous le contrôle et la direction du prolétariat armé : tel est notre but immédiat. Voilà l’État dont nous avons besoin, et sa base économique. »

Et voilà ! L’organisation de l’Union soviétique était directement calquée sur la bureaucratie et plus particulièrement sur le service postal allemand…



Éric Zemmour : « Le déclin de l’empire américain ? Mais c’est aussi le nôtre ! »

Pour Éric Zemmour, l’Occident, jadis terre de conquérants et de baroudeurs, semble transformé en petite chose craintive et oublieuse de son grand passé.

Décidément, la presse américaine n’en rate pas une. Time, qui a consacré Assa Traoré en icône de la liberté contre une France raciste et islamophobe, a aussi dressé un bilan catastrophiste de l’année 2020 : « La pire année de l’Histoire. »

 On reste pantois devant une telle hyperbole. La pire, vraiment ? Pire que 1916, l’année de Verdun ? Pire que 1918, l’année de la grippe espagnole ? Pire que 1942, l’année de Stalingrad ? Pire que 1871, « l’année terrible », quand les Parisiens assiégés par l’armée prussienne mangeaient des rats ? Pire que 1709, l’année du « grand hiver », quand la famine tuait en masse dans la France de Louis XIV ? Et encore on ne parle que de l’Europe, et surtout de la France.

L’hiver de 1709, appelé grand hiver de 1709, fut un épisode de froid intense en Europe, qui marqua durablement les esprits, car il provoqua une crise de subsistance qui entraîna une famine. Cet épisode commença brutalement le jour de l’Épiphanie 1709, par une soudaine vague de froid qui frappa l’Europe entière.

En France cet hiver fut particulièrement cruel. À Paris, les températures furent très basses (Paris n’en connaîtrait de plus basses que bien plus tard notamment en décembre 1879). Les régions du Sud et de l’Ouest de la France furent sévèrement touchées avec la destruction quasi complète des oliveraies et de très gros dégâts dans les vergers. De plus, l’événement prit la forme de vagues de froid successives entrecoupées de redoux significatifs. Ainsi, en février, un redoux de deux semaines fut suivi d’un froid assez vif qui détruisit les blés et provoqua une crise frumentaire.

Environ 600 000 personnes moururent en France à la suite de ces intempéries, que ce soit directement du froid, de la faim ou en raison des épidémies particulièrement meurtrières sur une population sous-alimentée. La mortalité fut aggravée par la situation économique précaire engendrée par la guerre de Succession d’Espagne.

On nous avait dit que le niveau scolaire avait baissé aux États-Unis autant qu’en France et on n’y croyait pas. On nous avait dit que la presse américaine, que les journalistes français admirent tant, était désormais aux mains de jeunes trentenaires qui se qualifient de « woke » (éveillés), sensibles à l’écologie, au féminisme, à l’antiracisme et aux thèses décoloniales. On avait oublié qu’ils étaient sensibles tout court, génération qui n’avait pas connu la guerre, et qui avait été biberonnée dans les universités américaines aux « avertisseurs de sensibilité » qui les alertaient sur les œuvres du passé contrevenant aux règles de bienséance du politiquement correct.

La grande famine de 1693-1694 est due à un hiver très rigoureux en 1692, suivi en 1693 d’une récolte très médiocre, causée par un printemps et un été trop pluvieux, causant une flambée des prix des céréales et une sous-alimentation qui favorise les épidémies comme le typhus, jusqu’en 1694. La France, qui avait alors 20 millions d’habitants, eut 1 300 000 morts en plus de la mortalité normale, selon Emmanuel Leroy-Ladurie.

En français d’avant, on les aurait traités de « chochottes », mais ce mot sent trop fort la langue du monde d’hier, pleine de préjugés patriarcaux. Et puis, en réfléchissant, cette presse américaine, dont on aime se gausser autant qu’elle aime nous sermonner, c’est nous. Nous qui nous sommes enfermés et avons mis notre économie à terre pour une épidémie qui tue 0,5 % des personnes contaminées [au pire, sans traitement, ni vaccin; ce sera bientôt nettement moins donc]. Nous qui sommes tétanisés par la trouille et le principe de précaution. Nous qui sacrifions tout à la sauvegarde de la « vie nue », tout ce qui fait le plaisir de la vie. Nous qui menaçons, par juges interposés, les politiques qui n’oseraient pas tout faire pour nous protéger. Et nos politiques qui, rendus fous par la crainte des juges et par l’hubris de la toute-puissance, enferment tout un peuple de bien portants, régentant jusqu’à nos salles à manger.

Les grands esprits du XIXe, qui avaient vu les débuts de notre monde moderne, nous avaient prévenus : Auguste Comte avait prédit que la révolution technologique provoquerait l’avènement des valeurs féminines : pacifisme, recherche du consensus, principe de précaution, etc. L’inventeur de la sociologie, Émile Durkheim, avait annoncé que l’importance accordée aux questions économiques irait de pair avec l’anomie de sociétés individualistes et sans ressort.

Mais c’est surtout l’Occident qui semble touché par ces symptômes. L’Asie s’est déjà ressaisie et est repartie dans sa course en avant industrielle. L’Afrique semble rire de cette épidémie, ridicule par rapport au virus Ebola qui a ravagé le continent et ne ralentit pas son expansion démographique. L’Occident, jadis terre de conquérants et de baroudeurs intrépides et cruels, semble transformé en petite chose craintive et oublieuse de son grand passé. Comme un Empire romain décadent et émollient.


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La philosophie devenue folle : les bons sentiments conduisent aux pires aberrations (rediff)

Le genre, l’animal, l’euthanasie. Une plongée au cœur nucléaire du politiquement correct, par Jean-François Braunstein. Une déconstruction savante et joyeuse qui étrille nos bien-pensants.


Ils assènent. Ils invectivent. Ils menacent. Ils sont les rois des plateaux télé et les maîtres des cursus universitaires. Armés de leurs bons sentiments, ils clouent au pilori les rares qui osent les contredire avec les mots qui tuent : « réactionnaire », « essentialiste ». Ils n’ont que le « droit » à la bouche : droit des femmes, droit des homosexuels, droit des animaux, droit à la mort dans la dignité. Ils font tinter avec emphase leurs grelots universitaires ramenés d’Amérique : gender studies, animal studies, bioéthique. On les écoute. On les subit. On leur obéit. Mais personne ne les lit.

C’est ce travail méthodique de lecture qu’a mené Jean-François Braunstein. Notre auteur est professeur de philosophie à la Sorbonne. On imagine qu’il doit se sentir bien seul parfois. Mais ce sentiment de solitude est sans doute ce qui lui a donné le courage de plonger dans cet océan de littérature obscure, charabia prétentieux pseudo-scientifique, jargon de précieuses ridicules, délire de prophète millénariste. Le peu qu’il a ramené à la surface pour son ouvrage nous épuise très vite. C’est sans doute là son principal défaut. Mais le travail de déconstruction de ce politiquement correct en folie était à ce prix.

Le point commun de tous ces « théoriciens » est justement qu’ils se confinent dans la théorie. Le réel n’existe pas pour eux, seuls les mots comptent.

Le point commun de tous ces « théoriciens » est justement qu’ils se confinent dans la théorie. Le réel n’existe pas pour eux, seuls les mots comptent. Les mots dont ils se gargarisent sans jamais les confronter à la réalité des hommes, des femmes, ou des animaux. Ils sont des idéologues, au pire sens du terme. Mais quand ils touchent au réel, ils font des ravages. Jean-François Braunstein revient sur la terrible histoire de David Reimer — drame que Michel Onfray avait déjà exhumé il y a quelques années sous les insultes des bien-pensants : cet enfant, privé accidentellement de son pénis, qu’on pousse, à coups d’hormones et d’opérations chirurgicales, avec la complicité des parents, à devenir une fille. Adolescent, David, devenu Joan, voudra redevenir David. Et finira par se suicider.

Le grand maître de cette expérience s’appelait John Money. Inconnu en France du grand public, il est considéré comme l’inventeur de la fameuse théorie du genre. Avec ce David devenu Joan, notre théoricien tenait la preuve que le genre, acquis culturel, était beaucoup plus décisif que le sexe, acquis biologique. Il fit des émules qui le dépassèrent. Money s’accrochait encore à un substrat biologique du corps. Judith Butler viendra ensuite pour asséner que le genre se suffit à lui-même. Qu’en appelant « fille » leur enfant, les parents en font une fille qui aurait pu, sinon, devenir un garçon ! Aussi délirantes que ces théories paraissent, elles font des émules et s’imposent dans le débat public. Braunstein montre bien que cette folie collective est relayée par la médecine qui donne une réalité pathologique à des états d’âme de jeunes gens mal dans leur peau, en offrant des solutions médicales, entre hormones qui bloquent la puberté et opérations chirurgicales.

Il ne peut y avoir de théorie du genre « modérée »

Ainsi se développe la possibilité transsexuelle, se multiplient les transgenres, qui seraient demeurés en nombre infinitésimal sans la conjonction agissante des théoriciens du genre, des lobbys LGBT, d’Internet et des médecins. Comme le dit avec humour notre auteur, on peut étendre cette logique à tous : « le pauvre qui veut devenir riche est un transéconomique et le vieux qui veut redevenir jeune est un transchronologique ». Mais la plaisanterie ne sera pas du goût de nos censeurs qui hurleront à l’homophobie ou, pire encore, à la transphobie. Nos idéologues sont habités par l’esprit de sérieux. Et pour cause : leur objectif est ambitieux ; il s’agit, ni plus ni moins, de « dénaturaliser » la différence des sexes. Pour la nier. L’effacer. Braunstein nous montre qu’il est impossible de s’arrêter en chemin. Il ne peut y avoir de théorie du genre « modérée ». Il ne peut y avoir de centriste, de Bayrou du genre. L’argument de la « pente glissante » s’applique avec rigueur. Car la théorie du genre se croit une science, mais est en vérité une croyance. Une prophétie. La théorie du genre est une gnose, cette hérésie chrétienne qui niait le corps.

C’est en cela qu’elle se rapproche des deux autres sujets traités par notre auteur avec non moins de verve et de finesse. Les philosophes « animalitaires » ne veulent pas non plus connaître la réalité des corps. À leurs yeux énamourés, les animaux sont des hommes comme les autres. Ce n’est plus la raison ni le langage qui définit l’humain, mais la « sensibilité », sa « capacité à souffrir ». On imagine aisément la suite : il peut donc y avoir des relations sexuelles entre « animaux humains » et « animaux non humains ». Et pire encore : aux yeux de certains, un cochon vaut mieux qu’un enfant, une souris mieux qu’un handicapé. Comment concilier « l’aspiration à la plénitude » du tigre et celle de la gazelle ? Comment ne pas entendre « le cri de la carotte » coupée par la cuisinière ? On rit avec Braunstein avant d’être obligé de pleurer lorsqu’il aborde son troisième thème, ce que les théoriciens de la bioéthique appellent « la mort dans la dignité », comme s’il y avait des morts dans l’indignité. Là aussi, là surtout, l’argument de la « pente glissante » s’avère implacable. À sélectionner ceux qui méritent de vivre et ceux qui sont « en mort cérébrale », on en vient vite à une forme d’eugénisme, activée par les besoins de transplantations d’organes.

On a compris où nous emmène notre auteur : les bons sentiments conduisent aux pires aberrations.

On a compris où nous emmène notre auteur : les bons sentiments conduisent aux pires aberrations ; la volonté d’effacer toutes les frontières à la barbarie, à la guerre de tous contre tous. S’il n’y a plus de limites, nous ne sommes plus dans l’humanité, nous sommes dans la nature.

Plus profondément encore, l’incroyable succès de ces thèses loufoques, leur impact dans l’univers médiatique, politique et universitaire, alors qu’elles auraient dû susciter au mieux un grand éclat de rire, prouve s’il en était besoin l’abêtissement de la pensée dans nos contrées autrefois phare de l’univers. Une preuve éclatante de la décadence d’un Occident fatigué et suicidaire. Comme le note d’ailleurs avec pertinence notre auteur : « Ces débats sur l’identité sexuelle retrouvent quasiment mot pour mot les débats tout aussi irréels sur le sexe des anges qui agitaient [ce n'est pas sûr, auraient agité] les érudits byzantins alors que l’islam se préparait à en finir avec cette civilisation millénaire. »

Source : Le Figaro

La philosophie devenue folle,
par Jean-François Braunstein,
aux Éditions Grasset,
paru en septembre 2018,
à Paris
388 pages,
ISBN-13: 978-2246811930
20,90 €.