samedi 28 avril 2018

Québec — Éducation à la sexualité: des exemptions « très strictes », mais pas pour raisons religieuses

Reprenons et annotons un article écrit par un journaliste professionnel de La Presse, Tommy Chouinard. Notons tout d’abord que l’article ne reprend que les paroles du gouvernement, aucun opposant à cette position n’est appelé à commenter.

(Québec) Un élève pourra être exempté du nouveau programme d’éducation à la sexualité à la condition que la demande de ses parents réponde aux critères « très stricts » qui seront annoncés bientôt.

« Il y aura la capacité de s’exempter », a indiqué le ministre de l’Éducation, Sébastien Proulx, lors d’une mêlée de presse jeudi, lorsque questionné pour savoir si la formation sera obligatoire. « Par contre, il y aura un cadre de restriction très strict. Il y aura, et c’est dans mes intentions, une obligation de rencontrer personnellement les gens (qui font une demande). Ce ne sera pas parce que je veux m’exempter que je vais être exempté. »

Il a rappelé que « l’éducation à la sexualité sera donnée dans l’ensemble des écoles du Québec à compter de septembre prochain ». Il a également fait valoir qu’« il y a une grande acceptabilité sociale au retour de ces enseignements ».

Un appel au consensus, assez typique. Le gouvernement avait seriné la même scie lors de l’imposition du seul programme d’ECR malgré des sondages qui indiquaient au contraire que les parents ne voulaient pas de son imposition, mais privilégiaient de loin le choix !


Mais donc, selon le ministre Proulx, tous devraient être d’accord parce que le gouvernement dit que beaucoup de parents seraient d’accord. Depuis quand cela est-il convaincant ? (Cette majorité est-elle bien renseignée ?) C’est un sophisme, un paralogisme bien connu : l’appel à la popularité, l’argumentum ad populum antique : une idée serait vraie ou bonne parce qu’un nombre important de personnes la considère (ou la considérerait) comme vraie ou bonne... Et même si c’était le cas en quoi cela respecterait-il la pluralité inhérente à une démocratie dans le domaine de la moralité ?

Mais « il y aura des situations où il pourra y avoir exemption, et ce serait très malhabile de ma part d’être capable de les identifier aujourd’hui alors que les critères sont en rédaction ».

Il a donné un seul exemple de demande d’exemption qui serait acceptée, celui d’un enfant qui aurait été victime de violences sexuelles. « Je suis capable de reconnaître qu’en certaines circonstances précises, il n’est pas dans l’intérêt de l’enfant d’être exposé à ces situations, et je pense aux enfants vulnérables », a-t-il dit.
Intéressant. Des parents catholiques demandaient l’exemption au programme ECR pour deux de leurs enfants. Ils avaient été jusqu’en Cour suprême pour défendre ce droit parental. Ce qu’aucun journal n’a rapporté c’est que les parents avaient trois enfants à l’école publique à l’époque. Ils n’ont pas demandé d’exemption pour leur fille grande adolescente à l’époque. Pourquoi ? Parce qu’ils trouvaient qu’elle était assez bien armée pour neutraliser le relativisme du cours. (Voir son témoignage écrit très instructif.) Ils trouvaient que leurs deux garçons étaient moins bien préparés pour ce cours, qu’ils étaient plus vulnérables face à un programme qu’ils considéraient notamment comme relativiste. Leur aîné avait été troublé en classe l’année précédente lors de discussions qui traitaient très librement de la sexualité dans un cours d’« éthique et valeurs humanistes » qui se voulait une transition vers le programme ECR, obligatoire la rentrée suivante. (Rappelons que contrairement à ce que d’aucuns prétendent les écoles québécoises offrent déjà des cours d’éducation à la sexualité intégrés à d’autres cours. Comme le disait le site du Monopole de l’éducation du Québec en janvier 2017 : « Les enfants et les adolescents québécois reçoivent déjà de l’éducation à la sexualité à l’école. Ce qu’ils apprennent varie toutefois d’une école à l’autre. » Désormais, il rappelle que « [d]epuis le début des années 2000, l’éducation à la sexualité est assurée par une variété d’interventions du personnel scolaire. »)

La mère jugeait ses enfants vulnérables. Les procureurs soumirent l’aîné à de longs interrogatoires  lui posant des questions intimes et d’autres liées à la doctrine catholique que ces mêmes vedettes du prétoire maîtrisaient pas... Ils forcèrent même l’aîné à témoigner devant la salle bondée du tribunal de Drummondville au point de faire défaillir le jeune athlète de 1,90 m aux pieds de Me Boucher qui voulait l’interroger et qui ne bougea pas alors le jeune homme se trouvait inconscient à ses pieds... Voir L’aîné des enfants du procès de Drummondville tombe dans les pommes alors qu’on le contre-interroge.

Et si un parent revendique une exemption pour son enfant sur la base de ses valeurs ? « Vous verrez quand on va mettre en place les différentes mesures », s’est-il contenté de répondre.

Et si l’on invoque des motifs religieux ? « Moi, je ne crois pas » qu’une exemption serait alors acceptée. « On n’est pas dans cet exemple-là dans ma réflexion. Maintenant, je vais quand même me conformer et nous obliger à nous conformer aux lois et aux chartes en vigueur. »
Rappelons qu’en 1992, le ministère de l’Éducation de l’époque, Michel Pagé, avait accordé par écrit une dispense de présence en classe aux enfants de parents catholiques qui voulaient enseigner l’éducation à la sexualité par eux-mêmes à leurs enfants :


« Nous souhaitons un mécanisme qui soit restrictif, je le veux le plus restrictif possible, a-t-il ajouté. Quelqu’un qui dirait “Moi, je ne veux pas que mon enfant ait accès (au programme) parce qu’il a 8 ans et qu’à 8 ans je ne veux pas qu’il ait accès à ça”, à mon avis ce n’est pas une bonne raison. » Les écoles auront la responsabilité d’évaluer les demandes d’exemption sur la base des critères fixés par Québec.

Sébastien Proulx annoncera bientôt « des directives à l’égard de la capacité pour certains de se retirer de ces cours comme il existe dans d’autres formations ». Il a évoqué le cours d’Éthique et de culture religieuse (ECR). Or ce cours est obligatoire.
La Cour suprême a rejeté en 2012 la demande de parents réclamant que leurs enfants soient exemptés de ce cours. Elle statuait que cet enseignement ne porte pas atteinte à la liberté de religion. Elle venait ainsi approuver le caractère obligatoire de ce cours.

Résumé de la décision en partie faux, mais bon, les journalistes aujourd’hui collent et copient beaucoup les communiqués gouvernementaux. Ils ne lisent pas les dossiers et n'ont pas assisté aux six différents procès sur le programme ECR.

La Cour suprême a, en effet, refusé les demandes d’exemption des parents. Ce qui est un scandale pour nous, car l’État se substitue de la sorte aux parents plutôt que de les aider à accomplir leur devoir d’éducation en respectant les valeurs des parents et non celles de tierces parties aux valeurs parfois diamétralement opposées. Les juges ne sont pas à même de juger de l’intensité des croyances de parents ni de leur bien-fondé en ce qui concerne la sexualité ou la vision à adopter face à la multiplicité des croyances. Voir À qui sont ces enfants au juste ? Ainsi que Les juges-prêtres et La Cour suprême du Canada : décideur politique de l’année 2014.


La Cour n’a pas statué que le programme ECR ne portait pas atteinte à la liberté de religion, mais que la preuve contraire n’avait pas été apportée parce que les parents avaient, notamment, demandé l’exemption avant que leurs enfants soient exposés au cours. Ce qui est un raisonnement pour le moins étrange puisque les parents invoquaient un article de loi qui permet à titre préventif de retirer leurs enfants... Mais bon. La juge Deschamps dans sa décision (médiocre à nos yeux et qui démissionna peu de temps après en 2012 malgré ses 59 ans) reprenait fidèlement les arguments du gouvernement du Québec, mais il était modéré par des paroles à notre sens plus sages du juge Lebel.

Il est très intéressant de relire la déclaration de l’avocat des parents pour voir à quel point la décision de la juge Deschamps était faible et superficielle et en quoi l'opinion du juge Lebel était plus fine.

Citons donc l’avocat des parents, Me Phillips à l’issue de la décision de la juge Deschamps :

La juge Deschamps et les juges qui ont souscrit à ces motifs abordent le problème comme si les appelants en avaient contre la simple exposition aux autres religions [37]. Avec égards, la position des appelants ne peut se résumer à cela. [Note du carnet : Me Phillips est très poli sur l’analyse superficielle de la juge Deschamps.]

Quant aux juges Lebel et Fish, ils adoptent une analyse plus fine de la situation. Tout en concluant que les appelants, qui avaient le fardeau de preuve, ne s’étaient pas acquittés des exigences de ce fardeau, ils font plusieurs constatations importantes. Au terme de leur analyse, ils ne sont pas du tout prêts à écarter une appréciation du programme ECR qui aboutirait à conclure qu’il s’agit effectivement d’un programme qui vise à miner la croyance religieuse et qui, par conséquent, constituerait une immixtion inconstitutionnelle de l’État qui serait contraire au principe de la laïcité [53]. Ils concluent en insistant sur le fait qu’à l’avenir, il ne peut être exclu que la mise en application du programme ECR puisse porter atteinte à des droits fondamentaux.

Bref, les appelants, qui ont demandé l’exemption dès avant l’entrée en vigueur du programme, se butaient à des obstacles pratiques significatifs qui faisaient que leur preuve ne pouvait s’appuyer sur aucun vécu pratique de l’implantation du programme.

Ils ont perdu parce que, selon les règles de preuve, ce sont eux qui avaient le fardeau.

Mais le gouvernement, quant à lui, a également échoué. En effet, il faut se garder de conclure que le jugement d’aujourd’hui vient valider la constitutionnalité du programme. Les juges Lebel et Fish expriment ouvertement leurs doutes et appréhensions. Quant à la preuve d’expertise philosophique et théologique au soutien de la prétendue neutralité du programme, nulle part cette preuve n’est analysée.


Notons que le journaliste de la Presse omet de parler de l’autre décision de la Cour Suprême sur le programme ECR, celle qui donnait raison au Collège Loyola. Cette décision postérieure à la seule évoquée par le journal des Desmarais permettait à Loyola d’enseigner le programme ECR sous une perspective catholique parce qu’il était impossible pour une école catholique d’adopter la même neutralité (factice) que celle prônée dans les écoles publiques. (Voir Gain de cause pour Loyola en Cour suprême.) Une école catholique devait pouvoir dire que certains préceptes éthiques conformes à la tradition catholique étaient préférables à d’autres par exemple. La majorité des juges avaient statué à l’époque qu’ils étaient « d’avis d’accueillir le pourvoi [de Loyola], d’annuler la décision de la ministre et de renvoyer l’affaire au ministre pour réexamen à la lumière des présents motifs. Une exemption ne peut pas être refusée au motif que Loyola doit enseigner le catholicisme et l’éthique catholique suivant une perspective neutre. »

Bref, la « neutralité » du programme ECR choquait les parents de Drummondville (ils parlaient plutôt de relativisme) et ceux-ci voulaient une autre éducation pour leurs garçons, la Cour suprême leur a répondu en quelque sorte qu'ils n’avaient pas apporté à ce stade la preuve que le programme était suffisamment relativiste. La juge Deschamps haussera même métaphoriquement les épaules quand on invoquera oralement devant elle cet argument répondant un peu facilement à un des avocats défendant le point de vue des parents que toute comparaison entraîne inévitablement une certaine dose de relativisme. Mais, voilà, quand le collège Loyola plaida par la suite pour une exemption à cette neutralité lorsqu'il vient notamment le temps d’aborder les questions d’éthique et de moralité au sein du programme ECR, car ce serait du relativisme incompatible avec la mission et l’âme d’une école catholique, la Cour suprême donna raison à l’école...

Voir aussi

Rediff : le témoignage de la mère de Drummondville qui est allée en Cour suprême

Dizaines de parents de Montréal retiennent leurs enfants pour protester contre futur cours d’éducation à la sexualité (une centaine dans la seule Commission de Pointe-de-l'île, au nord-est de l'île de Montréal)

Pétition pour amender le nouveau programme québécois d'éducation à la sexualité (m-à-j)

Québec — Des parents inquiets du contenu du cours d'éducation à la sexualité


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