dimanche 7 décembre 2025

Évêques catholiques du Canada s'opposent aux restrictions supplémentaires imposés aux discours religieux (loi C-9)

Lettre des évêques catholiques du Canada au Premier ministre Mark Carney.


Le 4 décembre 2025 


Au très honorable Mark Carney, C.P., député
Premier ministre du Canada 
Cabinet du Premier ministre Ottawa (ON) 
mark.carney@parl.gc.ca 

Objet : Restrictions proposées à la liberté religieuse – Projet de loi C-9


Monsieur le Premier ministre, 

    Au nom du Conseil permanent de la Conférence des évêques catholiques du Canada (CECC), nous vous écrivons aujourd'hui pour exprimer notre profonde inquiétude concernant des reportages récents voulant que votre gouvernement, en collaboration avec le Bloc Québécois, envisage d’abolir l’exemption religieuse qui existe depuis de nombreuses années et qui est prévue à l’article 319(3)(b) du Code criminel dans le cadre des modifications du projet de loi C-9: Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46, art. 319(3)(b) :

Nul ne peut être déclaré coupable d’une infraction prévue au paragraphe (2) […] (b) il a, de bonne foi, exprimé une opinion sur un sujet religieux ou une opinion fondée sur un texte religieux auquel il croit, ou a tenté d’en établir le bien-fondé par argument.

    Nous reconnaissons et affirmons sans équivoque l’importance de condamner la haine, de protéger les personnes et les communautés en situation de vulnérabilité et de favoriser une société dans laquelle chaque Canadien et Canadienne peut vivre libre de toute discrimination, intimidation et violence. L’Église a constamment favorisé des mesures appropriées visant à combattre l’extrémisme et la promotion de la haine. Nous sommes également conscients des graves défis qui ont émergé ces dernières années, notamment la hausse d’antisémitisme ou d’autres formes de discours ou de comportements haineux, dont plusieurs ont visé la communauté chrétienne. Ces actes laissent une blessure profonde dans le tissu de notre pays.

     En même temps, l’abrogation proposée de la défense fondée sur la croyance de bonne foi dans un texte religieux soulève d’importantes préoccupations. Cette exemption, formulée de manière restrictive, constitue depuis de nombreuses années une garantie essentielle permettant de s’assurer que les Canadiens et Canadiennes ne soient pas poursuivis au criminel pour avoir exprimé sincèrement et sans animosité des croyances fondées sur des traditions religieuses établies. Les tribunaux ont clairement affirmé que seules les formes d’expression les plus extrêmes constituent des infractions de propagande haineuse. 

    Toutefois, l’abolition de cette disposition risque de créer de l’incertitude parmi les communautés de croyants, le clergé, les éducateurs et éducatrices, et d’autres qui pourraient craindre que l’expression d’enseignements moraux ou doctrinaux traditionnels puisse être interprétée à tort comme des discours haineux et exposer une personne à des poursuites pouvant entraîner une peine d’emprisonnement allant jusqu’à deux ans. Comme des experts juridiques l’ont signalé, la perception du public au sujet des discours haineux et de leurs implications juridiques dépasse souvent largement ce qui est réellement visé par le Code criminel. L’abolition d’une garantie légale claire aura donc probablement un effet néfaste sur la liberté d’expression religieuse, même si les poursuites demeurent peu probables en pratique.

    Nous sommes également conscients que le moyen de défense en vigueur est soutenu non seulement par les organismes chrétiens, mais aussi par les organismes de défense des libertés civiles, qui le considèrent comme un élément important de l’engagement constitutionnel du Canada en matière de liberté de religion, de liberté d’expression et de pluralisme. Le respect de ces libertés n’est pas seulement une obligation constitutionnelle, mais encore un élément fondamental de notre identité nationale. La Charte canadienne des droits et libertés déclare que le Canada est « une société libre et démocratique ». Pour ces raisons, nous exhortons respectueusement le gouvernement du Canada à :

  • s’assurer que le projet de loi C-9 ne supprime pas la défense fondée sur des textes religieux du Code criminel. Ou encore, à :
  • offrir une assurance claire, faisant l’objet d’une déclaration publique – y compris dans un dossier législatif ou un débat parlementaire –, que l’expression, l’enseignement et la prédication religieuses de bonne foi ne feront pas l’objet de poursuites criminelles en vertu de dispositions sur la propagande haineuse; et
  • s’engager à mener une consultation auprès des leaders religieux, des experts du droit et des organisations de défense des libertés civiles avant d’apporter des modifications au projet de loi C-9 qui seraient susceptibles d’affecter la liberté religieuse.

    Nous croyons qu’il est possible d’atteindre l’objectif commun de promouvoir une société exempte de haine tout en respectant les droits constitutionnels de millions de Canadiens et Canadiennes qui trouvent leur inspiration morale et spirituelle dans leurs traditions religieuses. C’est dans un esprit de dialogue et de respect mutuel que nous exprimons ces préoccupations, tout en réaffirmant notre engagement à collaborer de manière constructive avec le gouvernement afin que la législation destinée à combattre la haine ne porte pas, même involontairement, atteinte aux libertés qui permettent à notre pays de demeurer sain, diversifié et démocratique.

Sincèrement vôtre,

    Mgr Pierre Goudreault 
    Évêque de Sainte-Anne-de-la-Pocatière et Président de la Conférence des évêques catholiques du Canada 

C.c. : - L’hon. Sean Fraser, ministre de la Justice et procureur général du Canada (mcu@justice.gc.ca / sean.fraser@parl.gc.ca)
 - Patricia Lattanzio, secrétaire parlementaire du ministre de la Justice et procureur général du Canada (Patricia.Lattanzio@parl.gc.ca)
 - Larry Brock, ministre du Cabinet fantôme conservateur, responsable de la Justice (larry.brock@parl.gc.ca) 
- Lori Idlout, porte-parole NPD pour la Justice (lori.idlout@parl.gc.ca) 
- Rhéal Éloi Fortin, porte-parole du Bloc Québécois pour la Justice (rheal.fortin@parl.gc.ca) 
- Elizabeth May, cheffe du Parti vert du Canada (elizabeth.may@parl.gc.ca) 
- Pierre Poilièvre, chef du Parti conservateur du Canada et chef de l’opposition (pierre.poilievre@parl.gc.ca) 
- Don Davies, chef intérimaire du NPD (don.davies@parl.gc.ca) 
- Yves-François Blanchet, chef du Bloc Québécois (Yves-Francois.Blanchet@parl.gc.ca)


Jean-Luc Mélenchon : «L’esprit des Lumières doit à l’Islam» (et à Averroès)

Cette version très islamo-compatible de l'histoire philosophique n'est pas sans rappeler ce qu'affirmait Luc Ferry, corrigé par Rémi Brague. Voir ci-dessous.

Usage de la raison : Rémi Brague sur la prétendue primauté Averroès sur Saint Anselme, Saint Thomas d'Aquin

Rémi Brague corrige les propos de Luc Ferry sur Averroès (°1126 - †1198) qui aurait appris aux Occidentaux que l’usage de la raison est un devoir pour les Occidentaux. Pour Luc Ferry, « ce message d’Averroès c’est le message Saint-Thomas d’Aquin, c’est que Saint-Thomas (° 1224 - †1274) va reprendre d’Averroès. [...] C’est ce qui va passer aujourd’hui quasiment mot pour mot dans l’encyclique de Jean-Paul II Fides et Ratio. »

Rémi Brague souligne que Luc Ferry se réfère à un unique texte d’Averroès qui correspond à environ 0,5 % de son œuvre totale. Dans ce texte, Averroès distingue trois types d’hommes : le vulgaire tout en bas, les philosophes tout en haut et au milieu, pour simplifier, ce qu’on pourrait appeler « des théologiens ». Pour Averroès, explique Rémi Brague, la raison n’est obligatoire que pour les seuls philosophes, pour les autres elle est interdite.

Non seulement ce texte d’Averroès auquel Luc Ferry fait allusion ne va pas dans le même sens que Saint-Thomas d’Aquin, mais il va très exactement dans le sens contraire. Pour Rémi Brague, « les mettre dans le même panier c’est simplement avouer son incompétence ». Le philosophe ajoute qu’« oser dire que le problème de la raison et de la foi serait venu d’Averroès à Thomas d’Aquin, c’est d’une insolence : comme si Saint-Anselme (°1033 - †1109) — bien avant l’entrée du savoir arabe et traduit en arabe en Occident — n’avait posé la question d’une manière très lucide. Comme si Saint-Anselme n’était lui-même pas l’héritier de Saint-Augustin (°354 - †430) qui a posé la question ! Mais qu’est-ce que c’est que cette façon de vouloir nous faire croire — sans doute pour se dédouaner de je ne sais quel racisme intellectuel ou non — que les Arabes nous auraient tout apporté, que l’Europe n’aurait rien inventé ! »

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