jeudi 20 novembre 2025

Postes Canada et la récupération politique de l'esclavage (le timbre Marie Joseph Angélique)

Postes Canada a émis en 2025 un timbre à l’effigie de Marie-Josèphe Angélique (ci-dessous) avec le texte suivant :

Le 10 avril 1734, un incendie ravage une grande partie du quartier marchand de Montréal. Des dizaines de maisons et de bâtiments sont rasés. Marie Joseph Angélique, une esclave noire de 29 ans, est arrêtée. On dit qu’elle aurait allumé l’incendie pour échapper à sa maîtresse après avoir appris qu’elle avait été vendue et qu’elle pourrait être envoyée dans les Antilles.

Son procès dure plusieurs semaines ; plus de 20 personnes sont appelées à témoigner, mais aucune ne semble avoir été témoin du crime. La plupart accusent la jeune femme parce qu’elle avait déjà tenté de s’enfuir, affirmant qu’elle s’était aussi déjà rebellée contre sa maîtresse et l’avait menacée.

Marie Joseph Angélique maintient son innocence tout au long du procès. « Madame, je suis peut-être malveillante, mais je ne suis pas assez misérable pour commettre un tel acte », plaide-t-elle durant son interrogatoire. Elle est toutefois reconnue coupable, condamnée à mort et soumise à la torture jusqu’à l’obtention d’une confession. Le 21 juin 1734, elle est pendue sur la place publique.

Bien que les opinions des spécialistes soient partagées sur la culpabilité ou l’innocence de Marie Joseph Angélique, son histoire continue d’alimenter des conversations sur l’égalité raciale, la justice et l’importance de reconnaître les complexités du passé du Canada.

1. Opinions divergentes sur son innocence

Malgré le manque d’unanimité sur la culpabilité ou l’innocence de Marie Joseph Angélique, Poste Canada émet un timbre sur ce personnage mineur ressorti récemment par des militants de l’obscurité historique. Image-t-on faire un timbre sur un incendiaire (probable ou potentiel) blanc ?

2. Inexactitudes factuelles et omissions

Témoignages mal caractérisés :

L’article affirme que « plus de 20 personnes sont appelées à témoigner, mais aucune ne semble avoir vu le crime être commis ». Cette affirmation est partiellement inexacte. Le témoignage d’Amable Lemoine Monière, une fillette de 5 ans, est un témoignage direct, car elle déclara avoir vu Angélique transporter une pelle de braises au grenier, où l’incendie aurait débuté. Bien que ce témoignage soit douteux (en raison de l’âge de la témoin et du délai de six semaines), il constitue une preuve oculaire directe, contrairement à ce que l’article suggère. De plus, le témoignage de Marie-Manon, une esclave panis, rapportant des menaces d’Angélique, est également direct (paroles entendues), non un ouï-dire. L’article simplifie en laissant entendre que tous les témoignages étaient indirects, ce qui obscurcit la nature du procès.

Omission d’autres hypothèses (que la rébellion contre sa maîtresse)  : 

L’article ne mentionne pas que Thérèse de Couagne, la maîtresse d’Angélique, défendit son innocence, un fait rare pour une propriétaire d’esclave. Ces omissions renforcent une narrative simpliste de culpabilité ou de rébellion, sans refléter la complexité du procès.

L’article présente l’incendie comme un acte potentiellement lié à une tentative de fuite (« pour tenter une fois de plus de fuir sa servitude »), mais ne mentionne pas l’hypothèse crédible, avancée par Denyse Beaugrand-Champagne, que l’incendie pourrait avoir été accidentel (par exemple, causé par une cheminée ou un feu de cuisine). Cette omission favorise une lecture dramatique au détriment des nuances historiques. On a la nette impression qu’on veut faire d’Angélique une rebelle à honorer.

3. Anachronismes et projection de concepts modernes

Symbole de résistance ?

Angélique comme symbole de résistance : L’article dépeint Angélique comme une femme qui « a cherché à résister à son esclavage et à s’en défaire comme elle le pouvait », suggérant que l’incendie était un acte de rébellion. Cette interprétation, influencée par Afua Cooper (The Hanging of Angélique, 2006), manque de preuves solides. 

Les archives ne confirment pas que l’incendie était un acte délibéré de résistance ; l’aveu d’Angélique fut extorqué sous torture, et son comportement (ne pas fuir, aider à sauver des meubles) contredit l’idée d’une fuite planifiée. Comme le critique Evelyn Kolish (Revue d’histoire de l’Amérique française, 2006), cette lecture projette une vision moderne de résistance noire sur un contexte où la gravité de l’incendie (45 maisons et l’Hôtel-Dieu détruits dans une ville de 3 000 habitants) et le statut d’esclave d’Angélique expliquent mieux sa condamnation.

Discours sur l’égalité raciale : 

L’article affirme que l’histoire d’Angélique « continue d’alimenter les conversations sur l’égalité raciale ». Cette perspective applique un cadre contemporain à une affaire de 1734, où la notion de « racisme systémique » n’existait pas.

Dans la Nouvelle-France, les distinctions sociales reposaient sur le statut (esclave/libre, noble/roturier) plutôt que sur une idéologie raciale explicite.

Le procès d’Angélique, basé sur un témoignage douteux (Amable) et des menaces rapportées (Marie-Manon), reflèterait davantage la panique collective devant un incendie catastrophique et les failles judiciaires (ordonnance de 1670 autorisant la torture pour les crimes capitaux) que des préjugés raciaux explicites. Cette projection, critiquée par Victor Arroyo (AM Journal, 2018), risque de déformer le contexte historique.

Représentation visuelle : 

L’article de Poste Canada cite, par la suite, Charmaine Nelson, qui explique que la pose d’Angélique sur le timbre (regard déterminé et défiant) vise à contrer les représentations historiques des femmes noires comme « objets sexualisés » dans une perspective masculine blanche

Cette approche impose une lecture contemporaine de l’identité raciale et sexuelle sur une figure du XVIIIe siècle, dont aucun portrait authentique n’existe. Cette stylisation, comme le souligne l’article sur Cité Mémoire (McGill, 2021), peut manipuler l’image d’Angélique pour en faire un symbole de résistance moderne, au risque de simplifier son histoire tragique.

4. Simplification et récupération politique

Narratif héroïque : L’article présente Angélique comme une « force de caractère » et une figure de « révolte », avec un timbre où le fond orange brûlé symbolise rappelle à la fois l’incendie et son tempérament. Cette glorification, bien qu’émouvante, ignore les doutes sur sa culpabilité (et si elle est coupable sur sa motivation), soulevés par Beaugrand-Champagne, qui argue que l’incendie pourrait être accidentel et qu’Angélique fut un bouc émissaire dans une petite ville ébranlée par cette catastrophe (Montréal  avait à l’époque 200 esclaves, 60-70 noirs et 130-140 Panis). Cette récupération transforme une victime potentielle d’une injustice judiciaire en une héroïne révolutionnaire, ce que Kolish critique comme un « roman historique » plutôt qu’une analyse rigoureuse. Elle pourrait aussi être coupable d’une maladresse ayant entraîné l’incendie, à nouveau en rien une héroïne.

Manque de contextualisation judiciaire : L’article mentionne la torture comme un « sort » infligé à Angélique pour extorquer une confession, mais ne précise pas que la torture (brodequins) était une pratique légale sous l’ordonnance de 1670 pour les crimes capitaux, comme l’incendie volontaire, qui menaçait une colonie entière. Cette omission laisse entendre que la torture était exceptionnelle ou ciblée sans doute parce que noire, alors qu’elle était rare, mais habituelle dans de tels graves cas (moins de 10 cas documentés en Nouvelle-France, dont 3-5 suivis d’exécution).

Symbolisme public : La création du timbre, soutenue par des spécialistes comme Cooper et Nelson, s’inscrit dans une volonté de visibiliser l’esclavage au Canada (environ 4 200 esclaves en Nouvelle-France, dont 1 400 noirs). Cependant, en faisant d’Angélique un symbole de « résistance noire et de force féminine », l’article risque de simplifier une affaire complexe. Comme Arroyo le note, de telles initiatives peuvent privilégier une lecture identitaire moderne au détriment des faits archivés, où la condamnation d’Angélique était davantage liée à la panique et au besoin d’un coupable qu’à sa race ou son genre.

L’article de Postes Canada sur le timbre de Marie-Josèphe Angélique contient des inexactitudes (caractérisation vague des témoignages, omission de la fragilité des preuves) et projette des concepts modernes (résistance noire, égalité raciale) sur une affaire de 1734, où la gravité de l’incendie et le statut d’esclave d’Angélique expliquent mieux sa condamnation, comme le soulignent Kolish et Beaugrand-Champagne. La présentation d’Angélique comme une rebelle héroïque, avec un regard « défiant » et un fond orange symbolisant sa force, simplifie une histoire complexe par volonté de récupération politique.


Voir aussi

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La cruauté de la traite esclavagiste à Zanzibar a laissé un héritage de haine qui explosa après l’indépendance de l’île fin 1963. Zanzibar devint alors une monarchie constitutionnelle dirigée par le sultan, mais le gouvernement fut renversé un mois plus tard et une république populaire fut proclamée. Plusieurs milliers d’Arabes, 5 000 à 12 000 Zanzibaris d’ascendance arabe et des civils indiens furent tués, des milliers d’autres furent emprisonnés et expulsés, et leurs biens confisqués.

Cette révolte et ses massacres furent consignés dans un film italien, Africa Addio, en 1966. Voir la vidéo ci-dessous en VO, sous-titrée en français.

 Document italien où apparaissent des images des massacres contre les Arabes à Zanzibar

« Tradition franque » d’hommes libres contre esclavage traditionnel méditerranéen y compris européen

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