mardi 22 juin 2021

Le passé de Ville-Marie n’est ni honteux ni indigne

Un texte de Luc-Normand Tellier, professeur émérite, Département d’études urbaines et touristiques, ESG-UQAM paru dans Le Devoir du 22 juin.

Dans Le Devoir des 19 et 20 juin, l’ex-sénateur libéral Serge Joyal déclare que les monuments de Maisonneuve et de Dollard « sont les plus violents et les plus anti-autochtones qui soient » et qu’ils sont les « monuments d’un passé honteux et indigne ».

Il parle de « la Loi sur les Indiens de John A. Macdonald » de 1876. Or, il se trompe, la Loi sur les Indiens de 1876 est une loi du premier ministre libéral Alexander Mackenzie.

Il parle d’Hector Langevin, qui aurait pris la relève de la loi de 1857 du Parlement du Canada Uni « en 1867 comme surintendant des affaires indiennes », sans souligner que Langevin n’a occupé ce poste que pendant un an et demi, du 22 mai 1868 au 7 décembre 1869 et qu’il n’a jamais exercé la moindre autorité ministérielle sur un quelconque pensionnat autochtone. La décision de créer un système fédéral de pensionnats autochtones date de 1883 (soit 14 ans après la fin du mandat de Langevin aux Affaires indiennes).

Langevin est mort en 1906, alors que la fréquentation des pensionnats par les autochtones a été rendue obligatoire quatorze ans plus tard, en 1920, et il n’est nullement responsable du fait que le système des pensionnats autochtones ait duré plus d’un siècle, de 1883 à 1996.

À ce titre, [le libéral] Jean Chrétien a une très lourde responsabilité, lui qui a été ministre des Affaires indiennes de 1968 à 1974 et qui a maintenu en place cet odieux système d’assimilation avec l’approbation de Pierre Elliott Trudeau [libéral].

Créer des pensionnats pour Autochtones quand ces derniers étaient libres d’y envoyer leurs enfants, comme c’était le cas avant 1920, n’a rien de scandaleux. Chercher à les couper de leur culture et de leur langue dans ces pensionnats l’était, par contre, tout à fait, et rendre ces pensionnats assimilateurs obligatoires était monstrueux. [Pour ce carnet, c'est bien l'imposition par le fédéral qui est odieuse et, ayant rendu les pensionnats obligatoires, le manque de moyens attribués par le fédéral à ces pensionnats. Ne ne voyons rien de mal à ce que des autochtones décident de leur propre volonté à s'occidentaliser, à se convertir au christianisme.]

Ce sont ceux qui l’ont fait et ceux qui ont maintenu ce système si longtemps en place alors que ses conséquences dramatiques étaient documentées que l’on doit dénoncer encore plus que leurs prédécesseurs. Or, on n’en parle jamais.

Le texte de Serge Joyal a comme prémisse qu’en 1642, le territoire de Montréal appartenait aux Iroquois et, plus précisément, aux Agniers-Mohawks et que, par conséquent, Maisonneuve et Dollard n’étaient que des agresseurs et des conquérants, et non pas des agressés et des défenseurs.

Surligné en jaune le territoire des Agniers, cerclé en rouge Montréal (Carte de Jacques Nicolas Bellin de 1755)

Le problème avec cette vision des choses, c’est qu’on n’a jamais trouvé le moindre vestige archéologique d’un village traditionnel mohawk [agnier] où que ce soit sur le territoire québécois, ni à Montréal ni ailleurs. Or, les Mohawks étaient semi-sédentaires et vivaient dans des villages.

Les Mohawks [Agniers] qui attaquaient Montréal au temps de Maisonneuve et de Dollard venaient de la région de la rivière Mohawk dans l’actuel État de New York, cette région étant historiquement la leur.

Les Mohawks actuels du Québec sont, pour la plupart, venus « librement » s’installer dans les missions catholiques d’Akwesasne, de Kahnawake [Sault Saint-Louis] et de Kanesatake [Oka] où ils ont été accueillis par les missionnaires jésuites, dans les deux premiers cas, et sulpiciens, dans le troisième.

Le passé autochtone de Montréal est lié aux Iroquoiens du Saint-Laurent, qu’il ne faut pas confondre avec les Iroquois et les Mohawks. La disparition des Iroquoiens du Saint-Laurent dans la vallée du Saint-Laurent entre les voyages de Jacques Cartier et ceux de Champlain demeure un mystère, de même que l’emplacement du village iroquoien d’Hochelaga sur l’île de Montréal.

Tous les efforts devraient être consacrés à la recherche de ce site. Lorsqu’il sera un jour découvert, un grandiose musée témoignant de la présence des Premières Nations sur l’île de Montréal pourra enfin rendre justice à ses premiers habitants, comme on l’a fait dans le passé en ce qui concerne Maisonneuve et Dollard.

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