mardi 22 juin 2021

Plus de travail, moins de bébés ? Carriérisme contre familisme

Les taux de natalité ont atteint des niveaux extrêmement bas dans de nombreux pays du monde, notamment dans pratiquement tous les pays riches.

Les attitudes des gens envers le travail — en particulier la grande place prise par l’avancement de leur carrière parmi leurs priorités personnelles — peuvent influencer la fécondité.

Le dernier rapport de l’Institute for Family Studies (IFS) analyse deux théories rivales proposées pour expliquer la faible fécondité dans les pays développés :

  1. La théorie de la « deuxième transition démographique » met l’accent sur la montée d’attitudes individualistes comme principale cause de la baisse de la fécondité. 
  2. En revanche, la théorie de la « révolution sexuelle en deux temps » suggère que le changement en matière d’égalité entre les sexes a d’abord eu lieu dans des contextes publics (juridique, éducatif, professionnel) et, dans un second temps, dans des contextes privés (garde d’enfants partagée et travail domestique). Ce retard entraînerait la persistance d’inégalités au sein des couples, laquelle expliquerait, selon cette théorie, la réduction de la fécondité, car les femmes assument une part disproportionnée du travail à domicile. Si les hommes partageaient une part égale de ce fardeau, la baisse de la fécondité serait moindre.

L’IFS soutient que l’importance que les gens accordent au travail et à la famille est un facteur important pour la fécondité. Pour démontrer les implications de ces valeurs, que l’institut appelle le « carriérisme » et « familisme », le rapport explore la relation entre le travail, la famille, les attitudes envers les rôles sexuels et la fécondité à travers quatre ensembles de données différents.

L’étude utilise les données de l’Enquête mondiale sur les valeurs et de l’Enquête européenne sur les valeurs. Elles permettent d’évaluer l’impact de l’importance accordée à la famille et à la carrière, ainsi que les rôles sexuels au sein du couple, sur la fécondité au niveau national et individuel dans de nombreuses sociétés et à des époques différentes. L’IFS constate que les pays à revenu élevé qui deviennent plus carriéristes connaissent de fortes baisses de fécondité. Plus précisément, l’IFS affirme que :

  • Les valeurs et les attitudes sociales fortement axées sur le travail chez les hommes et les femmes sont fortement associées à des taux de natalité plus faibles dans les pays riches.
  • La baisse des taux de natalité au cours de la dernière décennie dans de nombreux pays à revenu élevé, y compris certains pays nordiques, peut s’expliquer en partie par l’importance croissante que les individus accordent au travail en tant que source de sens et de valeurs dans leur vie.
  • Les politiques gouvernementales qui tentent d’augmenter la fécondité en offrant plus d’avantages destinés aux travailleurs, tels que les programmes universels de garde d’enfants ou de congé parental, peuvent saper leurs efforts de redressement démographique, car elles renforcent l’idée que la vie idéale est « carriériste » plutôt que « familiste ».

Cette forte relation entre la priorité donnée ou non à la carrière et la démographie est une constatation importante pour les pays à faible fécondité. Pour les gouvernements, il met en lumière la difficulté de tenter d’augmenter la fécondité en réconciliant la carrière et la vie de famille. Dans la mesure où la politique familiale contribue à favoriser l’augmentation du temps de travail, les politiques visant à atteindre « l’équilibre travail/vie personnelle » peuvent être vouées à l’échec. Pour l’IFS, les réformes qui réduisent considérablement la charge de travail sur les familles sont plus susceptibles de produire des avantages démographiques à long terme.

Ces dernières années, le taux de fécondité a fortement chuté dans de nombreux pays progressistes que l’on croyait naguère à l’abri d’une fécondité très faible. On avait auparavant attribué à des valeurs égalitaires et à un État-providence généreux la natalité moins désastreuse des pays nordiques, mais depuis 2008, les taux de natalité dans ces pays ont néanmoins chuté.

Ces dernières années, des universitaires ont avancé une théorie séduisante pour les progressistes : une « courbe en U » décrirait la relation entre l’égalité des sexes et la fécondité. Au fur et à mesure que les sociétés deviennent plus égalitaires, la fécondité chute d’abord, probablement parce que les femmes ne sont plus enfermées dans leurs rôles domestiques traditionnels. Mais finalement, la relation s’inverse et les progrès en matière d’égalité des sexes augmentent à nouveau la fécondité. Selon cette théorie, cela s’expliquerait par le fait que les femmes seraient prêtes à avoir plus d’enfants dans une société qui les aide et où les pères partagent mieux les tâches ménagères. En d’autres termes, à ce stade de l’histoire du monde développé, le féminisme et un fort État-providence qui aide les femmes sont censés être les seules manières pour augmenter la fécondité. Une étude récente du sociologue Martin Kolk, publiée en 2018 dans la série Stockholm Research Reports in Demography, remet toutefois cette théorie en question. La courbe en U apparaît quand on effectue une comparaison simple entre les pays. Mais une analyse historique au sein des pays mêmes dément cette théorie : il n’y a pas de redressement peu importe si le pays devient plus égalitaire.

La baisse récente et rapide de la fécondité dans de nombreux pays, y compris dans des sociétés très égalitaires comme la Finlande et la Suède, a remis en question les paradigmes de recherche existants. Peu importe l’égalitarisme ou le post-matérialiste d’un couple, si la priorité absolue de ce couple est leurs carrières dans un environnement de plus en plus compétitif et instable, et si aucun des partenaires ne considère que l’élément domestique doit primer, alors la fécondité de ce couple sera vraisemblablement faible.

Certes, les femmes confrontées à un « deuxième quart » de travail, la « charge mentale » supplémentaire des femmes, en raison de responsabilités domestiques inégales peuvent être découragées d’avoir des enfants.De plus, les conflits nés d’une révolution sexuelle incomplète peuvent renforcer le « carriérisme » parce que le milieu de travail paraît relativement pacifique comparé aux conflits dans la sphère privée liés aux rôles sexuels parfois encore mal définis. Néanmoins, il est frappant de constater qu’une attitude carriériste dans les pays hautement développés a nettement plus d’effet sur la fécondité que l’égalité des sexes. 

L’IFS a testé l’impact de la théorie de la « révolution sexuelle en deux temps » en utilisant les résultats d’une enquête menée auprès de femmes américaines. En tenant compte des femmes qui signalent que leur partenaire les aide peu à la maison, le carriérisme demeure, indépendamment du peu d’aide conjugal, hautement prédictif du nombre d’enfants du couple et de leurs préférences en matière de fécondité. L’étude affirme également que concept de carriérisme est prédictif des résultats et des préférences en matière de fécondité parmi de nombreux autres ensembles de données. Le carriérisme est un phénomène social clairement identifiable fortement corrélé à la fécondité. Le désir d’un emploi porteur de sens ou important, pas simplement d’un poste bien rémunéré, a des implications significatives et négatives sur la procréation.

Les décideurs politiques sont confrontés à nombre de défis face à une faible fécondité. Les efforts visant à atteindre la pleine égalité des sexes entre les partenaires dans la sphère privée ne sont pas susceptibles de rétablir la fécondité, surtout si ces efforts consistent à valoriser davantage la carrière. Par exemple, la composante féminine des « Abenomics » prônée par le Japon, loin de stimuler l’égalité des sexes et les taux de natalité, peut avoir pour effet d’accroître l’importance de la carrière comme norme sociale, mais cette fois à la fois pour les femmes et les hommes. De même, la campagne en Corée du Sud pour amener les hommes à faire plus de tâches ménagères ou les efforts de nombreux pays pour développer les garderies subventionnées sont également susceptibles d’échouer, car ils ne remettent pas fondamentalement en cause la primauté de la vie professionnelle sur la famille.

Alors que les efforts qui visent à l’égalité des sexes sont, pour de nombreuses raisons, souhaitables pour les gouvernements, l’égalité des sexes qui repose principalement sur la promotion de la primauté de la carrière, désormais partagée par les hommes et es femmes, peut avoir des conséquences néfastes, notamment de faibles taux de fécondité. Pour l’IFS, une meilleure solution vers l’égalité des sexes, en particulier dans les pays avec des marchés du travail très rigides et à deux vitesses comme la Corée du Sud ou l’Italie, serait de permettre aux hommes de travailler moins, plutôt que de chercher à faire travailler davantage les femmes. Ceci est particulièrement important, car dans de nombreux pays à très faible fécondité comme le Japon et la Corée, le nombre total d’heures de travail rémunérées et non rémunérées des hommes est similaire ou supérieur à celui des femmes ; les hommes n’ont pas beaucoup de temps libre pour les loisirs par rapport aux femmes, ce qui suggère que le problème est le travail en soi et non la division de ce travail au sein du ménage.

La dynamique décrite par l’IFS peut expliquer pourquoi la plupart des études empiriques ont montré que les allocations en espèces augmentent davantage la fécondité pour chaque dollar dépensé par l’État que le financement gouvernemental de la garde d’enfants. (Évidemment, le Québec a fait l’inverse : aide massive aux garderies alors que natalité ne faisant pourtant que descendre…) Les allocations en espèces permettent aux familles de réduire le travail, tandis que les politiques universelles de garde d’enfants normalisent encore plus la norme sociale où la carrière prime. Plus généralement, pour l’IFS, l’assouplissement des modalités de travail, l’élimination de règles tatillonnes d’autorisation ou de certification pour exercer certains emplois pourraient être des stratégies natalistes bénéfiques, parce qu’elles permettraient de rétablir l’importance de la vie familiale par rapport à la vie professionnelle et ceci pour tous les parents.

 
Voir aussi
 
 

Un pays à très faible fécondité peut-il jamais renouer avec le taux de renouvellement des générations ?

 
 
 

  
 

Québec — Indice de fécondité pour 2020 est tombé à 1,52 enfant/femme, il était de 1,57 en 2019 

Radiographie des Français 

Canada — Faire passer l’immigration de 300 000 personnes par an à un million 

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Implosion démographique : y remédier en renouant avec des valeurs qui privilégient descendance et transmission  

Covid — nombre de naissances en France en janvier 2021 a chuté de 13 % par rapport à janvier 2020

Politiques familiales — hausse des naissances de 9 % en Hongrie, nombre des mariages double (janvier 2020) 

Hongrie — vers un remboursement intégral de la fécondation in vitro  

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La politique nataliste hongroise 


 Orban : la procréation plutôt que l’immigration
 

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