mercredi 11 septembre 2019

Les jeux vidéos sont-ils nocifs pour les jeunes ?


Le « Audiard » est sa langue maternelle. C’est rare dans une profession qui d’habitude s’interdit les hyperboles et les antithèses mordantes. Le livre de Desmurget, c’est un peu « les cons, ça ose tout… y compris nous faire croire que les jeux vidéo sont bons pour la santé mentale de nos enfants ». Ce docteur en neurosciences, qui travaille avec l’INSERM et le CNRS sur la plasticité neuronale, ne renierait pas le récital des meilleures répliques des Tontons flingueurs. Et son état d’esprit est à peu près celui-là : « Moi, quand on m’en fait trop, j’correctionne plus, j’dynamite, j’disperse, j’ventile. »

Pendant ses nuits d’insomnies, il a désossé des centaines d’études et de rapports scientifiques publiés dans le monde sur les jeux vidéo. Avec cette seule question à l’esprit : sont-ils bons pour le cerveau ? La réponse est NON. Ils créent de la dépendance, et tous les tests indiquent qu’ils nuisent aux performances scolaires. Pourtant, la moindre étude à la méthodologie incertaine qui esquisse l’idée contraire est immédiatement amplifiée « par les médias », qui préfèrent « le débat contradictoire » à la démonstration pédagogique d’une vérité établie par des méthodes rigoureuses.

[...] combien de temps a-t-il fallu pour convaincre que « le tabac nuit à la santé ». Quant aux jeux vidéo, on va dire que ceux qui les critiquent sont stipendiés par la société secrète des réacs antépathes, nostalgiques de la blouse grise et du boulier compteur. La messe (en latin) est dite. À cette peur de paraitre ringard s’ajoute la pression économique. Desmurget s’en prend par exemple à l’Académie des sciences, qui a choisi de ne pas décourager les fabricants de jeux interactifs (qui, en France, sont talentueux), en produisant un avis plutôt favorable.

Mais venons-en au fait. Quels sont les effets nocifs du jeu vidéo ? « L’effondrement des interactions langagières et de la concentration, le surpoids, l’irritabilité », résume Desmurget. Bien sûr, il n’est pas facile de résister à la déferlante. Pas simple d’interdire. On comprend une certaine indulgence parentale, une certaine lassitude professorale. Ils s’en remettent au fil de l’eau des modes numériques du moment, faute de signaux d’alerte suffisamment musclés. Les parents débordés ajouteront que « sans jeux vidéo, les enfants ne peuvent plus avoir d’amis ». Et effectivement, c’est un argument massue. Et de fil en aiguille, chacun trouve normal de donner un téléphone dit intelligent dès la cinquième [12 ans] ou la quatrième [13 ans], plutôt qu’un simple téléphone. C’est la génération écolo, nous dit-on. Vraiment ?

Et ce ne sont pas seulement les enfants ayant entre 2 et 5 ans qu’il faut impérativement éloigner de l’écran — point qui a fini par être entendu par une majorité de parents. Les préados et les ados aussi. « L’adolescence aussi est l’une des phases de plasticité neuronale les plus intenses », rappelle notre auteur. Desmurget ne propose d’ailleurs pas d’en bannir à tout jamais l’usage.

Mais il suggère pour les moins de 16 ans de le limiter à une heure par jour. Un enfant qui joue trop — donc plus d’une heure par jour, mais une demi-heure serait l’idéal-est un enfant qui risque d’avoir « le vocabulaire d’un berger allemand un peu éduqué », mais aussi de perdre sa capacité pulmonaire faute d’exercice physique, de se montrer insomniaque et irritable, car le monde, hélas, ne répond que rarement dans la microseconde à nos sollicitations. Tel cet enfant de 12 ans arrivant chez des amis à la campagne et s’exclamant « c’est nul ici, il n’y a pas de connexions ! ».

[...]

La technique, oui, Internet, oui. Mais la civilisation du joystick, bof. Alors, les États s’inquiètent-ils de tout ça ? Le seul qui le fasse est Taïwan. « Le gouvernement a prévu une amende de 1500 euros si on expose un enfant de moins de 2 ans à un écran, et l’amende vaut aussi pour tout adolescent qui joue plus d’une demi-heure. » Menace plutôt symbolique, mais qui a le mérite d’officialiser le danger que représente pour la jeunesse la dépendance numérique.

Mais Desmurget s’intéresse aussi au cas du numérique à vocation pédagogique. Car il n’y a pas de raison de penser que l’accès à l’informatique pour faire du codage ou pour regarder des cours dispensés par tel ou tel spécialiste d’une matière ne serait pas utile. Desmurget n’est pas contre. « Si vous me dites que désormais il n’y aura plus de manuels parce qu’ils seront tous dans la même tablette numérique, je signe tout de suite », nous dit — il. Mais il s’agit alors simplement d’un transfert de support, comme de lire un journal en ligne — même si cela induit aussi quelques microadaptations cognitives.

En revanche, si vous pensez que généraliser la diffusion de cours en ligne ouverts et massifs (CLOM), ces cours à distance dont raffolent les grandes universités américaines, peut répandre sur le monde l’instruction, vous faites erreur.

« C’est comme de regarder un opéra à la télé, vous perdez 70 % de l’intensité du message. » Desmurget estime que rien ne remplace le professeur et qu’un cours en ligne peut éventuellement marcher s’il est accompagné par des travaux dirigés avec un chargé de cours qui répond aux questions. Mais en général, avant et après le bac, ce n’est pas le cours magistral qui captive les élèves. Desmurget cite cette anecdote à l’université de Lyon-III : « La direction a été obligée d’interdire les iPad et portables, car pendant les heures de cours la bande passante de l’université était saturée, les élèves étant sur les réseaux sociaux, ou en train de regarder un film. » Desmurget a donc décidé de tordre le bâton dans l’autre sens pour le remettre droit. L’auteur du livre avait des parents libraires. Ça ex plique peut-être en partie sa colère. Il a aimé lire en rêvant, rêver en lisant.

Concluons : L’homme de la pampa, par fois rude, reste toujours courtois, mais la vérité nous oblige à dire : ces jeux vidéo commencent à nous les briser menu.



La fabrique du crétin digital
Les dangers des écrans pour nos enfants
de Michel Desmurget
paru le 29 août 2019
aux éditions du Seuil
à Paris,
432 pages,
ISBN-13 : 978-2021423310


Source : Le Figaro



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