mercredi 10 décembre 2025

Alliance des Libéraux et du Bloc québécois pour punir l'expression de croyances religieuses qui seraient « haineuses »

La politique fédérale est en effervescence depuis qu’on a appris que les libéraux minoritaires, mais au pouvoir, ont conclu un accord avec le Bloc québécois (ci-contre le chef du BQ) pour faire adopter leur projet de loi sur la réforme des crimes haineux en supprimant la défense spéciale fondée sur les croyances religieuses dans le cadre des poursuites pénales pour promotion délibérée de la « haine ». 

La société civile et les groupes religieux ont exprimé leur inquiétude quant au fait que cette mesure expose les fidèles à des risques juridiques et pourrait décourager le discours religieux en raison de la menace de poursuites. 

— Qu’est-ce que la défense fondée sur la croyance religieuse de bonne foi ?

Selon l’article 319 (2) du Code criminel du Canada, le fait de communiquer publiquement et délibérément des déclarations qui encouragent la haine envers un groupe identifiable constitue l’un des très rares cas où un Canadien peut être condamné à une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à deux ans uniquement pour des paroles ou des écrits.

Mais la loi prévoit actuellement quatre moyens de défense absolus. Personne ne peut être condamné pour avoir délibérément encouragé la haine ou l’antisémitisme, par exemple, « si, de bonne foi, la personne a exprimé ou tenté d’établir par un argument une opinion sur un sujet religieux ou une opinion fondée sur la croyance en un texte religieux ».

C’est ce que le nouveau projet de loi sur les crimes haineux propose de supprimer. Les autres moyens de défense comprennent la véracité des déclarations en question, la croyance raisonnable en leur véracité et leur pertinence pour l’intérêt public, et le fait de signaler les discours haineux dans le but de les dénoncer.

Telles sont les limites de la promotion délibérée de la haine, qui fait rarement l’objet de poursuites, mais reste l’une des lois les plus controversées sur le plan politique au Canada.
 
— Qu’est-ce qu’un groupe identifiable ?

À l’origine, la notion de « groupe identifiable » se rapportait à des catégories relativement stables, objectives et largement reconnues comme nécessitant une protection particulière contre les discours de haine : les groupes raciaux, religieux et ethniques.

Au fil des modifications législatives, des catégories additionnelles se sont ajoutées, notamment celle fondée sur l’orientation sexuelle — catégorie dont la portée, déjà sujette à expansion interprétative, s’est elle-même élargie de manière continue. Plus récemment, l’identité de genre et l’expression de genre ont été intégrées au Code criminel, introduisant des notions beaucoup plus mouvantes et contestées que les motifs traditionnels.

Parallèlement, des tribunaux et commissions des droits de la personne provinciaux ont parfois interprété les motifs existants de manière si extensive qu’ils en viennent à englober des réalités qui ne disposent d’aucune base législative explicite au niveau pénal : obésité requalifiée en « handicap », statut socio-économique implicitement rattaché à d’autres motifs, voire, dans certains cas, prises de position politique assimilées à des caractéristiques protégées. Cette tendance, bien qu’opérante surtout dans le domaine quasi judiciaire (les commissions par exemple), contribue à brouiller les frontières de ce qui constitue un « groupe visé ». Pour une critique de ce domaine quasi judiciaire, voir l’encadré ci-dessous.

Le résultat est un élargissement progressif, inflationniste, — et souvent subjectif — de la portée des catégories protégées, rendant de plus en plus difficile la distinction entre critique légitime d’une idée, d’un comportement ou d’une idéologie, et « incitation à la haine » contre un groupe désormais protégé de manière extensive. Cette dilatation interprétative accroît mécaniquement l’incertitude juridique, le risque d’arbitraire dans l’application de la loi et, par conséquent, l’incitation à l’autocensure dans le débat public.

— D’où vient la législation canadienne sur la haine ?

Elle remonte à l’après-guerre, dans un contexte où l’État voulait neutraliser la propagande extrémiste, les organisations néonazies et les appels explicites à la violence ou au génocide. Le gouvernement s’appuyait alors sur les travaux d’un comité spécial chargé d’examiner la propagande haineuse, et le Parlement, en 1970, a débattu des moyens de défense censés éviter que des discours non violents — doctrinaux, philosophiques, religieux — ne soient criminalisés.

Il s’agissait alors d’un dispositif restreint, centré sur des menaces objectives à la sécurité publique.

Mais l’évolution culturelle et juridique ultérieure a entièrement transformé ce cadre. La définition de la « haine », reformulée par la Cour suprême comme « détestation et diffamation », a glissé d’une logique de prévention de la violence vers une logique de protection identitaire et psychologique.

Cette subjectivation de la notion a permis d’étendre l’application de la loi à des débats de société ordinaires, où une critique d’une pratique ou d’une croyance peut désormais être assimilée à une attaque contre un membre d’un groupe protégé par les tribunaux.

— La défense religieuse a-t-elle déjà été utilisée avec succès ?

Pratiquement jamais. Bien qu’elle soit prévue dans la loi depuis l’origine, elle s’est révélée dépourvue d’efficacité réelle.

Les juristes interrogés par le National Post et qui ont examiné la jurisprudence n’ont trouvé aucun exemple où une défense religieuse argumentée ait permis l’acquittement. L’arrêt Keegstra de la Cour suprême a résumé la logique judiciaire dominante : « rares sont les cas où une personne qui a l’intention de fomenter la haine agit de bonne foi ou est mue par une croyance sincère. »

Autrement dit : si les poursuites sont engagées, la défense religieuse est considérée d’emblée comme suspecte, voire de mauvaise foi.

Cela révèle une présomption implicite. À savoir que les convictions religieuses traditionnelles ne sont pas une justification légitime lorsqu’elles s’opposent aux catégories identitaires protégées. La défense existe en théorie, mais pas en pratique.

— Cette absence d’efficacité révèle-t-elle un biais systémique ?

Elle indique une orientation doctrinale selon laquelle :

  • la critique d’une pratique, croyance ou conduite moralement controversée (péché)
  • est automatiquement interprétée comme hostilité envers l’identité d’un groupe protégé (pécheur).

C’est un renversement complet des distinctions morales fondamentales.

Une doctrine religieuse ou éthique devient alors suspecte non pour ce qu’elle dit, mais parce qu’elle est perçue comme mettant en cause des identités collectives.

Ce glissement n’est pas accidentel : il reflète le passage d’une législation contre la violence à une législation contre les blessures psychologiques interprétées, un cadre où l’émotion du groupe protégé l’emporte sur l’intention réelle du locuteur.  

—  À quelle fréquence le crime de promotion délibérée de la haine fait-il l’objet de poursuites ?

Relativement rarement devant les tribunaux. Depuis les années 1990, on dénombre environ 150 dossiers criminels au total, soit en moyenne seulement quelques affaires par an, et dont environ un quart aboutit à une condamnation. Si l'on ne considère que les cas où cette promotion de la haine était l’infraction principale (et non secondaire), le nombre d’affaires est encore plus bas (quelques dizaines).

Mais ce chiffre est trompeur :

  • le simple dépôt d’une plainte peut entraîner enquêtes, frais juridiques, réputation ruinée ;
  • l’effet dissuasif est bien plus large que les condamnations réelles ;
  • la définition subjective de la « haine » rend impossible pour un citoyen moyen de savoir quand il franchit la ligne.

Il suffit de quelques affaires médiatisées et de la menace de poursuite pour créer une autocensure structurelle, surtout sur les sujets touchant aux doctrines religieuses, à la moralité sexuelle, ou à l’idéologie du genre.

En outre, il ne faut surtout pas oublier que ces chiffres ne couvrent que les poursuites pénales stricto sensu.

L’essentiel du contrôle du discours au Canada se fait ailleurs : dans les commissions et tribunaux des droits de la personne. Ces instances quasi judiciaires — moins encadrées que les cours criminelles, appliquant des normes de preuve assouplies — ont traité des centaines, voire des milliers de plaintes liées à l’expression depuis trente ans. Elles ont poursuivi des journalistes, blogueurs, éditorialistes ou simples citoyens (Mark Steyn, Ezra Levant, et bien d’autres), souvent sans les garanties procédurales normalement associées au droit pénal.

Autrement dit, se limiter aux statistiques criminelles donne une image profondément trompeuse : la rareté des condamnations ne signifie pas que l’appareil coercitif est inactif, mais que la majeure partie de la répression du discours s’exerce en dehors du système pénal, dans un écosystème administratif beaucoup plus large et plus intrusif.

— Pourquoi la suppression de la défense religieuse et du consentement du procureur général inquiète-t-elle ?

Les conservateurs de l’opposition ont qualifié cet amendement d’atteinte à la liberté religieuse. D’autres critiques soulignent son imprécision et le risque qu’il décourage les discours et les manifestations légitimes. 

L’une des principales craintes est que les personnes religieuses hésitent ou hésitent à exprimer leurs convictions religieuses par crainte d’enfreindre cette loi. Les évêques catholiques, par exemple, ont écrit cette semaine une lettre au Premier ministre Mark Carney pour lui demander de leur garantir que l’expression d’opinions religieuses de bonne foi ne constituera pas un motif de poursuites pour discours haineux. 

Cette crainte est particulièrement vive à la lumière de l’amendement proposé par les libéraux visant à supprimer l’obligation d’obtenir l’accord explicite du procureur général de la province pour engager des poursuites pénales pour discours haineux. Cette exigence ajoute un niveau de responsabilité politique à ce type de poursuites pénales très controversé. À l’heure actuelle, si un procureur provincial souhaite porter cette accusation, le parti au pouvoir doit au moins faire l’effort de l’approuver ouvertement. Cette exigence place les crimes haineux dans la catégorie unique des crimes qui nécessitent l’approbation du procureur général, qui comprend curieusement l’abus de pouvoir et tout crime commis dans la Station spatiale internationale.

— Quel est l’enjeu idéologique fondamental derrière ce glissement ?

Le fond du problème est un changement de paradigme moral : le droit ne protège plus seulement contre la violence. Il protège désormais contre la contrariété émotionnelle de certains groupes. Ce qui était un débat moral devient un délit d’offense identitaire. La critique d’une idée ou d’un comportement devient une attaque contre la personne.

C’est pourquoi le régime actuel tend à criminaliser la dissidence morale, religieuse ou philosophique — et non seulement l’appel à la violence.

Il ne s’agit plus d’empêcher des pogroms, mais d’imposer une orthodoxie, où toute morale non conforme devient potentiellement suspecte.

— Quelle est la conséquence pour le débat public ?

Une incertitude juridique permanente, une autocensure diffuse, et une polarisation accrue. Plus globalement, les citoyens en désaccord avec des choix idéologiques ou moraux se demandent :

  • « Puis-je encore exprimer un désaccord moral qui ne serait pas à la mode ? »
  • « Puis-je affirmer une doctrine religieuse traditionnelle ? »
  • « Puis-je critiquer une idéologie sans être accusé de haine ? »

Lorsque la loi ne distingue plus le péché du pécheur, la critique d’une idée ou d’un comportement devient un acte dangereux.

— Pourquoi le Bloc Québécois veut-il faire sauter l’exception religieuse de bonne foi ?

Dans l’immédiat, parce que le Bloc réagit à la montée récente de discours radicalisés, notamment certains propos antisémites entendus dans des manifestations pro-palestiniennes.

Mais derrière cette réaction conjoncturelle, on sent une logique plus ancienne à l’œuvre : le laïcisme et la tentation laïcarde. Le Bloc adhère à une vision où la religion doit rester strictement privée. D'aucuns peuvent avoir l’impression qu’il profite des propos antisémites pour opportunément aussi régler de vieux comptes avec les conservateurs sociaux québécois. 

En abolissant l’exception religieuse, le Bloc se positionne comme défenseur d’un espace public « neutralisé », même si cette neutralité frappe surtout les croyants traditionnels, pas les extrémistes qui pourront sans doute invoquer l’islamophobie, le racisme, le colonialisme ou le nationalisme québécois étriqué pour rejeter dans l’espace médiatique (et peut-être judiciaire) des attaques trop ciblées contre eux.

Le paradoxe est clair : cette mesure vise à répondre à des débordements importés, mais restreindra surtout les libertés de ceux qui n’en sont pas les auteurs.


Des dizaines d’églises détruites ou vandalisées ces dernières années au Canada. Le Bloc Québécois n’a pas, à notre connaissance, pris publiquement position sur ces incendies et actes de vandalisme — il ne les a ni dénoncés ni mentionnés explicitement en tant que phénomène. Cela contraste avec l'engagement marqué du Bloc québécois sur le dossier des pensionnats autochtones, qui est souvent lié contextuellement à ces actes de vandalisme (comme une expression de colère post-découvertes de Kamloops en 2021).

Le parti se concentre en revanche sur la régulation du discours (abolition de l’exception religieuse), ce qui montre que son attention politique est dirigée vers l’aspect idéologique/religieux du débat plutôt que vers la protection physique des lieux de culte chrétiens. 

— À la lumière des lois d’autres pays, les lois contre le discours haineux ont-elles permis de juguler l’extrémisme islamiste ?

Les pays les plus sévères — France, Royaume-Uni, Allemagne — cumulent :

  • lois anti-haine très strictes,
  • surveillance accrue,
  • interdictions de groupes,
  • fermetures de lieux radicalisés.

Et pourtant, l’extrémisme n’a pas disparu : il s’est déplacé vers les réseaux sociaux, les cercles privés, ou l’auto-radicalisation. Le discours public est plus maîtrisé, plus policé, sans doute plus hypocrite, mais les dynamiques communautaires et identitaires restent intactes.

Les lois sur la parole n’ont jamais suffi à résoudre des phénomènes doctrinaux, géopolitiques et culturels soutenus par une démographie de masse dynamique.
 
— Ne va-t-on pas sacrifier les libertés des chrétiens conservateurs dans un exercice vain, alors que le véritable problème est démographique, migratoire et civilisationnel au Québec ?

Les restrictions accrue du discours touchent d’abord :

  • les croyants traditionnels (catholiques, évangéliques, juifs orthodoxes),
  • les positions morales classiques,
  • les critiques doctrinales légitimes.

Ce sont les groupes les plus faciles à contraindre, parce qu’ils respectent la loi, n’ont pas de réseaux militants agressifs et n’utilisent pas la violence.

Entretemps, les défis clés du Québec — faible natalité, immigration massive, intégration difficile, fragilité de l’identité collective — ne sont pas traités. On légifère sur les mots parce qu’on est politiquement impuissant sur le fond.


Voir aussi

Cour suprême — « toutes les déclarations véridiques » ne doivent pas « être à l’abri de toute restriction » (arrêt Whatcott)

Tribunaux suprémacistes (arrêt Whatcott, suite)

Arrêt Whatcott : la Bible pas « haineuse », mais le juge Rothstein a-t-il tout lu ?

« Extirper l’hérésie et le blasphème » (progressistes) ?

Canada — 123 églises incendiées ou vandalisées depuis l'annonce de la découverte de tombes à l'ancien internat de Kamloops (aucune tombe n'a été trouvée après cette annonce largement relayée par les médias subventionnés).

 Faut-il continuer à réprimer les propos qui peuvent exposer à la haine ou au mépris, des « pré-crimes » ?

Qu’est-ce qu’un organisme quasi judiciaire ?

Ce n’est pas une cour de justice au sens strict, mais il agit comme une cour sur certains plans :

Il peut :

  • entendre des plaintes,
  • tenir des audiences,
  • recevoir des preuves,
  • rendre des décisions obligatoires,
  • imposer des réparations (dommages, ordonnances, sanctions administratives).

Mais il n’a pas :

  • le statut constitutionnel des tribunaux,
  • les mêmes garanties procédurales,
  • les mêmes règles de preuve,
  • les mêmes standards de responsabilité,
  • ni les mêmes protections pour les défendeurs.

Il s’agit donc d’un organisme administratif doté de pouvoirs judiciaires partiels. D’où le terme : quasi — « comme si », mais pas tout à fait.

Les critiques comme celles de Mark Steyn s’appuient sur des caractéristiques structurelles objectivement problématiques :

A) Norme de preuve beaucoup plus basse

Elles appliquent la norme civile prépondérance des probabilités et non la norme pénale. Cela rend plus facile la condamnation d’un défendeur.

B) Règles de preuve « souples »

Les commissions peuvent :

  • accepter des preuves indirectes,
  • restreindre le contre-interrogatoire,
  • voire contourner des règles qui seraient inadmissibles en cour.

C) Déséquilibre procédural

Très souvent :

  • le plaignant n’assume aucun risque financier,
  • alors que le défendeur paie sa défense,
  • même si la plainte est rejetée à la fin.

Certains parlent d’un « procès sans coût pour un côté, mais ruineux pour l’autre ». Mark Steyn dit que le procès (le processus) est la punition, la perte de temps et d’argent encouru pour se défendre devant ce qu’il nomme des parodies de tribunaux.

D) Mandat orienté

Le mandat légal des commissions est de détecter, corriger, sanctionner la discrimination. Pas d’être « neutres » : elles sont structurellement orientées vers la protection du plaignant qui n’engage le plus souvent aucuns frais à se plaindre. Cela crée un biais institutionnel réel.

E) Étendue des pouvoirs, mais absence de garanties judiciaires complètes

Ces organismes quasi judiciaires peuvent rendre des décisions très lourdes de conséquences — réputationnelles, financières, professionnelles — sans offrir les garanties équivalentes à une cour de justice.

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