dimanche 14 septembre 2025

Natalité au plus bas — La Presse de Montréal s'étonne des femmes tradis qui font des enfants dans une société « laïque »

Rappel : tous les indicateurs démographiques sont au rouge foncé au Québec, nombre de naissances à un creux historique : 77 400 enfants nés en 2024, moins qu’en 1911 alors que la population était de 2 005 776 en 1911 soit près de 4,5 fois moins nombreuses (9,1 millions en 2024). Taux de natalité au plus bas : 8,5 enfants pour mille habitants, il était encore de 14,0 en 1990. Et enfin un indice de fécondité à un nadir : 1,33 enfant par femme alors qu’il était encore de 1,73 enfant par femme en 2008 et en 2009…

Dans un contexte où le peuple québécois constitue une minorité à l’échelle canadienne, il semble évident que ce peuple ne peut envisager d’intégrer et assimiler de larges vagues migratoires sans assurer d’abord sa propre pérennité démographique. Cela suppose, entre autres, de faire des enfants — des enfants 
assez nombreux auxquels les nouveaux arrivants pourront naturellement s’intégrer. Ce n’est déjà plus le cas à Montréal.

On pourrait donc s’attendre à ce que le retour de certaines femmes à la maternité et à des valeurs familiales traditionnelles soit salué. Or, c’est tout le contraire dans
La Presse, qui consacre un dossier spécial à ces femmes dites « traditionnelles », dont la foi — jugée trop visible par le quotidien en ligne — semble déranger dans un Québec qui se dit « laïque ».

Mais en quoi la laïcité de l’État devrait-elle interdire à des femmes adultes d’être croyantes, ou de faire des choix de vie conformes à leurs convictions traditionnelles ? Ce glissement entre laïcité et athéisme semble de plus en plus fréquent. La laïcité, pourtant, n’a jamais signifié l’effacement des croyances y compris jusque dans la sphère privée — mais simplement la neutralité de l’État face à celles-ci. 

Voici un de ces textes avec nos commentaires [entre crochets].


Zoé Roy berce sa fillette dans ses bras, debout dans sa cuisine de Limoilou. À 24 ans, la mère au foyer, qui s’identifie comme une conservatrice chrétienne, a déjà trois enfants. Elle aimerait un jour en avoir six.

On a beaucoup entendu parler des jeunes hommes qui seraient de plus en plus nombreux à prôner un retour aux rôles traditionnels de genre. Mais beaucoup moins des jeunes femmes. Pourtant, elles existent.

Elles prônent des valeurs chrétiennes, privilégient le fait de fonder une famille plutôt que de travailler, et estiment que leur place en tant que femme est en soutien à leur mari.

C’est vrai, les jeunes femmes comme Zoé Roy sont l’exception au Québec, pas la règle. Mais notre frontière avec les États-Unis n’est pas si étanche, en ce qui concerne les idées conservatrices et religieuses de nos voisins du Sud.

En fait, il suffit d’avoir accès à l’internet et de comprendre l’anglais pour y être exposé [comme on le verra, ce n’est pas vraiment le cas puisque des influenceuses tradis québécoises ont des milliers d’abonnées].

La preuve : quatre jeunes femmes nous ont raconté leur cheminement. L’une d’entre elles élève ses enfants à la maison en suivant la Bible, une autre veut déménager aux États-Unis pour vivre son conservatisme plus librement, et les deux dernières organisent des séances d’étude biblique chaque semaine.

Et elles font à leur tour la promotion de leur mode de vie sur leurs réseaux sociaux, cette fois pour un public québécois.

L’idéal de la féminité traditionnelle trouve bel et bien un public au Québec, même si un tel repli peut sembler anachronique dans une société laïque. Et c’est sur les réseaux sociaux qu’on peut retracer les origines de ce mouvement.

Zoé Roy explique avoir grandi dans une famille assez conservatrice, mais avoir été exposée à davantage d’idées progressistes à l’adolescence, surtout sur les réseaux sociaux. « Je voyais surtout des revendications, de la victimisation », rapporte-t-elle, la voix douce.

De fil en aiguille, l’algorithme a exposé Zoé à davantage d’idées conservatrices.

J’ai commencé à voir l’autre côté de la médaille. Et j’ai vu des familles, j’ai vu de la stabilité, j’ai vu des femmes qui acceptaient leur rôle féminin. J’ai vu des hommes qui acceptaient la masculinité. J’ai vu des familles unies.

Après avoir donné naissance à son premier enfant à l’âge de 18 ans, la jeune femme explique avoir entrepris une véritable quête spirituelle. Elle et son mari se sont convertis au christianisme il y a deux ans.

Sur sa chaîne TikTok, Zoé Roy affiche à son tour ses convictions. Dans ses vidéos, elle parle d’entretien ménager, de maternité et de religion à ses quelque 4000 abonnés, et elle s’affiche publiquement comme une conservatrice.

Le conservatisme de Zoé passe par une adoption du rôle féminin traditionnel : celui de mère, de femme et de responsable du foyer. « Mais mon identité, ce n’est pas juste ma maternité, affirme-t-elle. Moi aussi j’ai besoin d’avoir des accomplissements [succès, réalisations] dans la vie, que ça soit du bénévolat, du scrapbooking… »

Les idéaux de la jeune femme s’apparentent à un phénomène culturel qui a pris naissance aux États-Unis il y a quelques années : celui des épouses traditionnelles, femmes au foyer, les tradwives.

Ces influenceuses, généralement chrétiennes, se mettent en scène sur les réseaux sociaux en s’adonnant à des tâches typiquement féminines, souvent campées dans un décor champêtre, vêtues de robes vaporeuses et mariées avec plusieurs enfants.

L’exemple le plus notoire est sans doute celui de Ballerina Farm, le compte Instagram de l’influenceuse mormone Hannah Neeleman. La mère de huit enfants et ex-gagnante de concours de beauté exploite une énorme ferme avec son mari au cœur de l’Utah.

Dans les vidéos qu’elle partage avec ses 10 millions d’abonnés, elle se montre parfois en train de boire du lait fraîchement sorti du pis de ses vaches, parfois en train de cuire du pain au levain. On ne la voit jamais se plaindre, et on la voit rarement obtenir de l’aide pour accomplir ses innombrables tâches ménagères (à part, occasionnellement, un de ses enfants plus âgés).

Avec ses robes amples en coton, son insistance sur les produits naturels et son adhésion aux normes genrées traditionnelles, Zoé Roy coche certaines des cases de l’identité tradwife. Mais elle hésite à se décrire comme telle.

Pour moi, tradwife, c’est un mot positif. Si quelqu’un me dit que j’en suis une, c’est comme si tu me disais que j’étais belle. Mais moi, je ne suis pas quelqu’un de parfait, alors je ne me considère pas comme une tradwife.

En soi, documenter son quotidien de mère à la maison n’a rien de mal, souligne l’autrice, réalisatrice et chercheuse en science politique Léa Clermont-Dion. Mais c’est lorsque cette image sert à faire avancer une idéologie de droite plus radicale qu’elle devient inquiétante, selon elle.

Le mouvement conservateur, surtout aux États-Unis, est nataliste. Il prône la reproduction de patrie, de la nation, et particulièrement chez les Blancs. Et le rôle des femmes dans ce projet-là, c’est de se reproduire, c’est de s’occuper de la maison.

Léa Clermont-Dion, autrice, réalisatrice et chercheuse en science politique
[Note du carnet : Léa Clermont-Dion affirme que le mouvement conservateur, surtout aux États-Unis, est nataliste et qu’il prônerait la reproduction « particulièrement chez les Blancs ». Cette affirmation suggère que la valorisation de la maternité dans ces milieux serait racisée — c’est-à-dire uniquement réservée aux femmes blanches dans une logique nationaliste ethnique.

C’est une généralisation excessive qui ne tient pas compte de la diversité du conservatisme, même aux États-Unis. Il existe de nombreuses familles conservatrices afro-américaines, latinas, musulmanes ou Asiatiques qui valorisent des rôles traditionnels féminins sans adhérer à une idéologie racialiste.

Elle projette un cadre idéologique nord-américain extrême (blanc, chrétien, conservateur identitaire) sur un phénomène plus large, parfois spirituel, culturel ou simplement personnel.

Paradoxalement, Léa Clermont-Dion fait une lecture ethnocentrée qui invisibilise des millions de femmes non blanches qui choisissent la maternité comme vocation ou par conviction, hors de toute logique suprémaciste. N’est pas nécessairement l’antiraciste celle qui croit l'être ici…]

Émancipation domestique

Là où Zoé se distingue des conservatrices extrémistes, c’est dans le regard qu’elle pose sur les autres : « J’ai des amis qui ne sont pas chrétiens, j’ai des amies qui ont des carrières, j’ai de la famille qui s’identifie comme LGBTQ, puis ce sont toutes des personnes que j’aime », ajoute-t-elle.

Mais selon la jeune mère, les idéaux portés par le féminisme ont carrément heurté les femmes. Elle estime que les demandes du marché du travail sont généralement incompatibles avec la « nature » féminine, et que « forcer une femme à travailler, c’est de l’abus ».

Les femmes conservatrices comme Zoé se préoccupent d’enjeux qu’on associe habituellement à la gauche : un marché du travail parfois incompatible avec la vie familiale, des salaires individuels insuffisants pour faire vivre une famille, ou la dévalorisation du travail domestique effectué par les femmes.

Or, là où les progressistes blâment le capitalisme ou l’inégalité sociale pour ces problèmes, les tradwives pointent dans la direction opposée. « Pour ces femmes-là, le refuge familial paraît comme une option qui est plus simple que d’affronter un monde qui est violent, complexe, et qui fait peur », affirme Léa Clermont-Dion.

[Note du carnet : l'article formule ici un contraste biaisé. Il suggère que les progressistes auraient une analyse légitime — pointer le capitalisme ou l’inégalité sociale — tandis que les femmes tradis auraient une réaction presque irrationnelle, « pointant dans la direction opposée ». C’est une rhétorique subtile, mais dévalorisante : d’un côté des causes structurelles, de l’autre une sorte de fuite dans le « refuge familial ».

Mais cette dichotomie est simpliste et injuste. Car d’un point de vue analytique, les deux approches posent un diagnostic sur le même problème : la tension entre travail et vie familiale. Les progressistes voient l’injustice dans l’organisation économique ; les femmes tradis y voient un décalage entre la structure sociale et les besoins profonds (biologiques, psychologiques ou culturels) des femmes. Ce n’est pas « pointer à l’opposé », c’est identifier une autre causalité.

Par ailleurs, sous-entendre que le refuge familial n’est qu’un repli ou une peur du monde extérieur, c’est réduire à une fragilité psychologique ce qui est, pour beaucoup, un choix positif, réfléchi et cohérent avec leurs valeurs. C’est une manière élégante de disqualifier un modèle de vie sans le dire franchement.

Enfin, Léa Clermont-Dion oublie qu’une autre forme d’idéologie exerce une pression tout aussi forte : le féminisme carriériste, qui érige la carrière en horizon quasi obligatoire. Si les femmes tradis sont accusées de « fuir le monde du travail », le féminisme carriériste ferme la porte à toute alternative hors de lui — en présentant la femme au foyer comme une anomalie sociale.]


Car selon cette logique, c’est le féminisme et le progressisme qui sont responsables d’avoir « effrité l’équilibre social en donnant aux femmes un pouvoir qui n’est pas naturel », explique Léa Clermont-Dion.

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