lundi 10 septembre 2018

Singapour — Il est permis de copier

Lorsque l’île de Singapour est devenue un État indépendant en 1965, elle comptait peu d’amis et encore moins de ressources naturelles. Comment est-elle devenue l’un des plus grands centres commerciaux et financiers au monde ? Lee Kuan Yew, son premier Premier ministre, a expliqué que la stratégie consistait à « développer la seule ressource naturelle disponible de Singapour : ses habitants ».

Selon The Economist de Londres, aujourd’hui, le système éducatif de Singapour est considéré comme le meilleur au monde. Le pays se classe toujours en tête du Programme de l’OCDE pour l’évaluation des élèves (PISA), une série de tests que des élèves de 15 ans issus de dizaines de pays passent tous les trois ans dans trois matières : les mathématiques, la lecture et les sciences. Les élèves singapouriens ont environ trois ans d’avance sur leurs pairs américains en mathématiques. Singapour réussit tout aussi dans les examens auxquels sont soumis des enfants plus jeunes et les diplômés de ses meilleures écoles se retrouvent dans les meilleures universités du monde.

L’île État peut en apprendre à plus d’un titre au reste du monde. Mais les autres pays sont des élèves récalcitrants. Une des raisons qui explique cette réticence : Singapour privilégie la pédagogie traditionnelle où les enseignants donnent un cours magistral face à leur classe. Cela contraste avec la préférence de nombreux réformateurs qui privilégie un enseignement plus souple, plus « progressiste » dont le but est d’apprendre aux enfants à apprendre par eux-mêmes. Bien que les études internationales donnent à penser que l’enseignement magistral (« l’instruction directe ») est, en effet, un bon moyen de transmettre des connaissances, ses détracteurs soutiennent que la méthode de Singapour consiste à « bûcher et tuer » et qu’il produit de malheureux matheux sans imagination. Les parents s’inquiètent du stress que le système impose à leurs enfants et à eux-mêmes alors qu’ils convoient leurs enfants à des cours particuliers.

Pourtant, le cas de Singapour démontre qu’être premier de classe ne signifie pas avoir de mauvaises compétences interpersonnelles. En effet, en 2015, les étudiants singapouriens ont également obtenu la première place dans un nouveau classement PISA conçu pour observer comment les élèves collaborent pour résoudre des problèmes. Singapour a obtenu des résultats en collaboration qui surpassaient ses excellents résultats en lecture et en sciences. Les élèves singapouriens se sont également déclarés heureux, plus que les élèves en Finlande, par exemple, un pays que les pédagogues présentent souvent (pour les mauvaises raisons selon Nathalie Bulle) comme une façon d’obtenir des résultats exceptionnels avec des méthodes plus « affectueuses » d’enseignement. Non contente de ses réalisations, Singapour introduit actuellement des réformes pour améliorer la créativité et réduire le stress à l’école. Ce n’est pas un signe d’échec, mais plutôt le résultat d’une recherche constante et graduelle d’amélioration fondée sur des données probantes. C’est la première des trois leçons du Singapour au reste du monde.

Là où d’autres pays procèdent souvent à des réformes fragmentaires et non coordonnées, Singapour essaie de considérer le système dans son ensemble. Il investit beaucoup dans la recherche en éducation. Toutes les réformes sont éprouvées, les résultats sont suivis avec diligence avant que les réformes proposées ne soient généralisées. Une attention particulière est portée à la manière dont les nouvelles idées et résultats devraient être appliqués dans les écoles. Des manuels, des cahiers d’exercices et des exemples pratiques sont élaborés avec soin — des pratiques souvent considérées comme désuètes en Occident.

La deuxième leçon consisterait à adopter la méthode d’enseignement particulière de Singapour, notamment en mathématiques, comme le font déjà les États-Unis d’Amérique et l’Angleterre dans une certaine mesure. Elle met l’accent sur un programme moins ambitieux, mais plus approfondi et vise à ce que toute une classe progresse. Les élèves en difficulté doivent participer à des séances supplémentaires pour les aider à suivre le rythme ; et même les moins doués ont d’assez bons résultats. Une analyse menée en 2016 en Angleterre a montré que l’approche singapourienne avait amélioré les résultats, même si elle était quelque peu diluée dans son application anglaise.

La troisième leçon, la plus importante, est de privilégier la formation d’excellents enseignants. À Singapour, ils suivent 100 heures de formation par an pour se tenir au courant des dernières techniques. Le gouvernement les paie bien aussi. Il accepte la nécessité de classes plus importantes (la moyenne est de 36 élèves contre 24 dans l’ensemble de l’OCDE et 12 dans les classes dédoublées des banlieues immigrées en France). Car mieux vaut avoir de grandes classes données par d’excellents enseignants que de plus petites aux mains de médiocres. Les enseignants qui cherchent de l’avancement sans devenir directeurs d’école peuvent devenir de « maîtres enseignants », responsables de la formation de leurs collègues. Les meilleurs enseignants obtiennent des affectations au ministère de l’Éducation et des primes importantes. Dans l’ensemble, les enseignants sont payés à peu près comme les diplômés dans le secteur privé. Les enseignants sont également soumis à de rigoureuses évaluations de performance annuelles.

Le système singapourien n’est pas exempt de reproches. D’autres pays souhaiteraient peut-être éviter de diriger les élèves les moins performants vers des écoles séparées à partir de 12 ans. Les avantages de cette pratique ne sont pas prouvés et cela contribue au stress des examens. La taille de Singapour permet en outre un degré de centralisation inhabituel. Le directeur général du ministère de l’Éducation dit connaître personnellement plus de 80 % des directeurs d’école, ce qui facilite la surveillance de ce qui se passe.

Ajoutons, que comme ailleurs en Asie, l'investissement massif des parents dans l'éducation de leur progéniture semble mener à un singulier effondrement de la natalité. Ce paradis économique d’Asie du Sud-Est affiche l’un des pires taux de fécondité au monde. Bonus financiers, cadeaux, chansons pour émoustiller les esprits... mais plus rien ne donne envie d’être parent.


Voir aussi

« Promotion de l’homosexualité » — retrait de livres pour enfants à Singapour

Québec — L’apprentissage des tables de multiplication repoussé de deux ans

Enseigner les mathématiques, la méthode Singapour

La Finlande a perdu des places dans le classement PISA, elle essaie de se réformer (mise à jour)

Nathalie Bulle sur le modèle finlandais et les tests PISA

Méthode de Singapour pour la 3e année du primaire en français

Baisse inquiétante du QI en Occident, selon plusieurs études et L’inquiétant recul du quotient intellectuel

Les traits du système finlandais que copie l’étranger n’expliquent pas le succès finlandais, ils sont au contraire source de problèmes

Finlande — Immigration à 2 %, dont beaucoup de Caréliens

La non-exception scandinave : les bons côtés ont précédé l’État-providence

Scandinavie — Les élèves immigrés non occidentaux à la peine (y compris la 3e génération)

Suède — La baisse du niveau scolaire en partie imputable à l’immigration ?

Suède — Échec de l’intégration des immigrés, ce n’est pas faute de moyens ou de bons sentiments

« Le système de garderie universel en Suède forme des enfants moins instruits »

Suède : des résultats scolaires en baisse depuis dix ans

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire