mardi 6 novembre 2012

France — Malgré ses prétentions à réduire les inégalités, le système scolaire a été un accélérateur d’inégalités.

La conférence-débat des mercredis de la Documentation française du 24 octobre 2012 a réuni Antoine Prost, professeur émérite à l’Université Paris-I, Augustin d’Humières, professeur agrégé de lettres classiques, Georges Felouzis, sociologue et Anne Coffinier, normalienne et directrice générale de la Fondation pour l’école. Elle était animée par Guillaume Roquette, journaliste et rédacteur en chef du Figaro Magazine. La conférence devait traiter le thème « quelle école pour demain ? ». En pratique, elle a porté essentiellement sur la montée des inégalités dans le système éducatif public. La diversité des intervenants n’a pas empêché qu’émerge avec force le constat suivant : notre système scolaire s’est révélé être, malgré ses préoccupations sociales (il se propose de réduire les inégalités), un accélérateur d’inégalités. Les vidéos du débat montrent en revanche que s’il n’est plus question pour ces experts d’expliquer que « le niveau monte », il est pour autant difficile de leur faire désigner les causes de la catastrophe. À la question « demande-t-on trop à l’école ? », G. Roquette ne pourra pas obtenir de réponse. À croire qu’elle constitue encore un tabou !

Le débat montre que l’obsession égalitariste de l’école publique française est désormais critiquée.


Depuis 2000, les disparités de connaissances et de savoirs se sont fortement développées au sein de l’école publique française, explique G. Felouzis. Des pays pratiquant des filières d’enseignement comme l’Allemagne (avec la distinction hiérarchisée entre Gymnasium, Hauptschule ou Realschule) ou réputées inégalitaires comme la Grande-Bretagne sont en réalité, au regard des études publiées par l’OCDE, nettement moins inégalitaires que la France. Beau paradoxe ! Il y a de toute évidence un décalage croissant entre un discours généreux portant sur l’école de Jules Ferry et la réalité fortement inégalitaire de l’école française en 2012, reconnaît G. Felouzis.

Georges Felouzis
« Il ne faut pas mythifier l’école républicaine, affirme l’historien Antoine Prost. Elle était tout à fait indifférente à l’échec scolaire des mauvais élèves. » Ce qui l’intéressait, c’était de produire des bons élèves, capables de passer le certificat d’études, etc. Peu lui importait qu’il y en ait de mauvais. C’était aussi fatal que le fait qu’il y en ait de petits ou de gros. Le modèle de l’école républicaine façon IIIe République était en effet méritocratique et non pas fondé sur une recherche d’égalité, explique Antoine Prost en substance.

Antoine Prost
Antoine Prost donne une exemple concret des méfaits de cet égalitarisme dans le domaine des rythmes scolaires : notre système ressemble, selon lui, à « une rabotteuse qui traite tous les âges de la même façon » alors qu’il est évident que le temps scolaire des petits enfants soit être plus court que celui des enfants plus âgés. C’est d’ailleurs ce qui se passe dans certains cantons de Suisse, précise G. Felouzis. Augustin d’Humières, fort de son expérience de professeur en banlieue, fait un tableau sombre de la réalité de l’école publique telle qu’elle s’offre à ses yeux. On a voulu à tout prix adapter l’école à la modernité. En pratique, on obtient une école où l’on se demande ce qu’on y apprend, une école qui n’est pas démocratique vu la montée des inégalités qui la caractérise, une école en tout cas fortement anxiogène pour ses élèves, explique le jeune agrégé. Cependant la belle unanimité sur l’inégalité scandaleuse et l’état préoccupant de l’école publique actuelle cesse dès lors que l’on veut identifier les racines du mal.

Anne Coffinier
Anne Coffinier fait remarquer que l’école est devenue inégalitaire à partir du moment où les politiques l’ont chargée avant tout d’un objectif politique de réduction des inégalités alors qu’elle constituait un ascenseur social effectif pour nombre d’enfants à l’heure où l’on attendait seulement de l’école qu’elle instruise les élèves, qu’elle transmette des connaissances. La politisation de ses objectifs n’a pas eu, selon elle, d’heureux effets en termes de justice sociale. Il serait donc urgent de dépolitiser l’école, de cesser de la surinvestir d’objectifs sociaux et politiques pour la rendre à ses objectifs propres : transmettre les connaissances. En dénonçant les effets malheureux de l’instrumentalisation politique de l’école, Anne Coffinier s’est attirée les foudres d’Antoine Prost. Si ce dernier est prêt à dénoncer l’inégalité patente de l’école actuelle et l’égalitarisme excessif de son organisation, s’il est disposé à reconnaître que l’on mythifie l’école de la République alors qu’elle se désintéressait du sort des mauvais élèves, il n’est pas prêt en revanche à faire un lien entre la politisation de l’école et sa destruction en termes de performance académique et d’égalité sociale.

Augustin d'Humières
À mots couverts, Augustin d’Humières dénonce la tactique dialectique de l’historien émérite : en procédant par amalgame, en réduisant le débat sur l’identification des causes de la catastrophe scolaire à une querelle des Anciens et des Modernes, on évite ainsi fort habilement de parler des vrais problèmes. « Il n’y a pas de querelle entre les Anciens et les Modernes. Il y a juste des gens qui demandent des comptes pour savoir pourquoi l’école ne fonctionne plus depuis 30 ans », conclut l’auteur d’Homère et Shakespeare en banlieue.

Soutenons les familles dans leurs combats juridiques (reçu fiscal pour tout don supérieur à 50 $)

2 commentaires:

  1. Bizarre que personne n'ose parler du nombre croissant d'enfants immigrés dans les classes pour expliquer les "inégalités"... Tabou!

    RépondreSupprimer
  2. Felouzis est un sociologue socialiste. Il veut faire ce qui se fait en Belgique avec l'obligation de mixité sociale : mais les résultats en Belgique (surtout en région francophone qui concentrent l'immigration non européenne) sont mauvais aux tests PISA.

    RépondreSupprimer