mardi 29 avril 2025

Les États-Unis affichent les plus grosses dépenses de santé au monde, mais se trouve en queue de classement pour de nombreux paramètres.


Avec environ 43 % des adultes obèses, les États-unis présentent de loin le pire taux de tous les pays de L’OCDE, devant le Mexique (36 %).

C’est l’une des plus grandes puissances économiques du monde, et pourtant sa population ne se porte pas mieux qu’ailleurs. Au contraire : non seulement la santé des Américains est en moyenne moins bonne que dans la plupart des autres pays développés, mais elle se dégrade. L’espérance de vie en est un exemple frappant : alors qu’elle était comparable à celle des pays européens jusqu’aux années 1970, sa progression s’est peu à peu ralentie et la tendance s’est même inversée à partir des années 2010. Désormais, un Américain vit en moyenne 76,4 ans, soit quatre années de moins que dans les 38 pays membres de L’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques), et près de sept ans de moins qu’en France. Et pourtant, les États-Unis affichent les plus grosses dépenses de santé par habitant au monde. Un paradoxe qui révèle de profondes défaillances.

« Le fait que l’espérance de vie baisse aux États-unis est vraiment une exception, car elle continue de progresser dans les autres pays occidentaux », note Céline Jaeggy, ancienne conseillère pour les affaires sociales à l’ambassade de France à Washington. Pour ce paramètre, le pays occupe désormais la 32e position sur 38, entre la Pologne et la Colombie. Si ce phénomène touche de plein fouet les populations les plus défavorisées des États-Unis, il n’épargne pas non plus les plus riches. En effet, une récente étude a montré que même les Américains les plus fortunés ont une espérance de vie plus courte que leurs homologues européens, et plus proche de celle des habitants les plus pauvres d’Europe du Nord et de l’ouest.


L’espérance de vie n’est pas le seul indicateur de santé en berne aux États-Unis, comme le révèle un rapport de L’OCDE, publié fin 2023. Le pays se situe aussi en queue de classement pour la mortalité évitable, qui dénombre les vies qui auraient pu être sauvées par de la prévention ou des soins (maladies infectieuses, crises cardiaques, alcoolisme, BPCO, toxicomanie, suicide, etc.). Les États-Unis comptent ainsi 336 décès évitables pour 100 000 habitants, contre 237 dans L’OCDE et 160 en France.

Les chiffres concernant la santé des mères et des nouveau-nés ne sont guère plus réjouissants. La mortalité maternelle - c’est-à-dire le décès d’une femme pendant la grossesse, lors de l’accouchement ou dans les 42 jours suivant la fin de la grossesse - s’établit à 21 femmes sur 100 000 aux États-unis, soit deux fois plus que la moyenne de L’OCDE. Très récemment, une étude a non seulement montré que ce chiffre a bondi de 27 % ces quatre dernières années, mais aussi que certains États sont plus concernés que d’autres, avec des taux allant jusqu’à 60 décès parmi 100 000 femmes enceintes.

Bien que l’écart avec les autres pays soit moins important, la mortalité infantile n’affiche pas non plus de bons résultats : 5,4 enfants sur 1 000 décèdent avant leur premier anniversaire aux Étatsunis, contre 3,6 en France et 4 en moyenne dans L’OCDE. Un chiffre qui semble faible mais qui, rapporté au nombre de naissances aux USA, représente environ 19 000 décès par an !

« Ces mauvais résultats sont en grande partie dus à la forte prévalence de l’obésité », estime Céline Jaeggy, auteur d’une analyse récente sur le système de santé américain. L’obésité est en effet « un facteur de risque majeur pour de nombreuses maladies chroniques, dont le diabète, les maladies cardio-vasculaires et le cancer », rappelle L’OCDE dans son rapport. Cela rend également la grossesse et l’accouchement plus à risque, ce qui peut en partie expliquer les mauvaises performances en la matière.

Or, avec environ 43% des adultes obèses, les États-unis affichent de loin le pire taux de tous les pays de L’OCDE, devant le Mexique (36 %). Sans surprise, la prévalence du diabète est également très élevée, avec 11% de la population concernée. « Même si cela ne reflète pas réellement l’état du système de santé, le fait que le taux d’obésité soit si élevé montre l’échec des politiques de prévention et cela permet de comprendre pourquoi certains indicateurs sont mauvais », poursuit Céline Jaeggy.

En plus de l’épidémie d’obésité, les États-unis font également face à une crise sanitaire sans précédent due aux opioïdes depuis les années 2000. Ces antidouleurs puissants dérivés de l’opium y sont même devenus la première cause de mortalité évitable avant 50 ans, loin devant les accidents de la route et les décès par armes à feu. « Cette crise explique en partie la baisse de l’espérance de vie, commente Céline Jaeggy. Parce qu’elle a été créée par le système de santé, elle touche davantage les populations caucasiennes à faibles revenus, qui ont un accès minimum aux soins, davantage que les Hispaniques et les Noirs américains. »

« Ces mauvais résultats sont en grande partie dus à la forte prévalence de l’obésité, qui est un facteur de risque majeur pour de nombreuses maladies chroniques, dont le diabète, les maladies cardiovasculaires et le cancer » Céline Jaeggy ancienne conseillère pour les affaires sociales à l’ambassade de France à Washington

À l’heure actuelle, les États-unis enregistrent 223 décès liés aux opioïdes par million d’habitants, ce qui place le pays en tête du classement, très loin devant la moyenne de L’OCDE (30 décès par million d’habitants). Une tendance dramatique qui ne semble pas s’améliorer : ce taux a été multiplié par deux en seulement dix ans. Au total, environ 727 000 personnes sont décédées de cette manière ces vingt dernières années aux États-Unis.

Outre la faible proportion de fumeurs (8,8 % versus 25 % en France), il y a en revanche un domaine où les États-unis excellent : « Ils dépensent beaucoup plus que les autres pays, près de 17 % de leur PIB sont consacrés à la santé », rapporte Brigitte Dormont, professeur émérite d’économie à l’université Paris Dauphine. En 2021, les États-unis ont ainsi dépensé 12500 dollars par habitant, soit deux fois plus que la France, en tenant compte des différences de pouvoir d’achat. « Pourtant, ils ont de très mauvais résultats, c’est ce que certains appellent le “puzzle” américain », poursuit-elle.

Un paradoxe qui s’explique avant tout par le fonctionnement du système de santé, souligne Zeynep Or, directrice de recherche à l’irdes (Institut de recherche et de documentation en économie de la santé). « En France, il existe une assurance-maladie publique et universelle, tout le monde est couvert. Ce n’est pas le cas aux États-unis, où c’est un modèle d’assurance privée, rappelle l’économiste. Comme avec n’importe quelle assurance, les primes sont proportionnelles aux risques de santé des individus. Donc si vous avez certaines maladies, les primes seront plus élevées. Et surtout, elles augmentent avec l’âge. »

Environ la moitié des Américains sont couverts par une assurance proposée par leur employeur, comme l’a imposé l’obamacare en 2015 aux entreprises de plus de 50 salariés. « Le montant de la prime annuelle pour une famille américaine moyenne est d’environ 21000 dollars, dont les trois quarts sont pris en charge par l’entreprise, ce qui laisse environ 6 000 dollars à payer par l’assuré», illustre Céline Jaeggy. Mais certaines entreprises ont trouvé la combine pour échapper à cette obligation qui ne concerne que les salariés travaillant plus de 30 heures hebdomadaires : embaucher à temps partiel.

Par ailleurs, le fait d’être couvert ne signifie pas que tous les soins seront pris en charge. «Les assurances peuvent prévoir des franchises ou encore une part non remboursée du prix de consultation et souvent, elles ne couvrent pas les soins dentaires ou optiques », indique Céline Jaeggy. Selon elle, environ 30 millions de personnes assurées seraient en difficulté pour faire face à leurs dépenses de santé.

En plus de cela, 26,4 millions de personnes n’ont pas d’assurance santé, selon l’administration américaine, soit 8 % de la population. Il existe pourtant deux caisses publiques d’assurance-maladie : Medicaid, pour les familles pauvres avec enfants, et Medicare, pour les 65 ans et plus. Environ 36% de la population est couverte de cette manière. Mais les critères d’accès sont drastiques. « Par exemple, une mère célibataire qui gagne l’équivalent du SMIC (salaire minimal) n’est pas assez pauvre pour être éligible », rapporte Zeynep Or.

Dans les années 2010, sous l’ère Obama, des réformes avaient permis d’abaisser le seuil d’éligibilité. Mais il appartient aux États de les appliquer ou non. Résultat : beaucoup de personnes restent sur le carreau. « Il y a beaucoup de trous dans la raquette, souligne Brigitte Dormont. Si vous travaillez à votre compte, que vous êtes pauvre mais pas assez ou encore que vous êtes pauvre et sans enfant, vous n’avez droit à rien. »

En parallèle de cela, le prix des soins n’est pas réglementé et est donc très élevé. «Un médicament payé 10 euros en France coûte deux à trois fois plus cher aux États-unis, même en tenant compte des différences de pouvoir d’achat», indique Zeynep Or. Les honoraires des médecins sont également plus élevés. « Le coût de la consultation n’est pas encadré, les généralistes sont payés environ 2,5 fois plus, et les spécialistes, 5 fois plus. Cela s’explique en partie par le fait qu’ils doivent rembourser leurs études et que le coût de leur propre assurance est très important», analyse Céline Jaeggy.

Mi-avril, le Washington Post a indiqué que le gouvernement de Donald Trump envisagerait de réduire de 40 milliards de dollars le budget du ministère américain de la Santé. Quelques semaines plus tôt, le président américain avait déjà commencé une profonde refonte de cette administration, en supprimant près d’un quart de ses effectifs. « Ce n’est que le début, la situation va s’aggraver, estime Zeynep Or. Non seulement l’administration Trump est farouchement opposée aux assurances publiques, mais elle est aussi une ardente défenseur de l’économie libérale. Cette vision interdit la régulation du marché de la santé et celui des assurances. Mais tous les indicateurs montrent clairement que l’intervention publique et des règles sont nécessaires pour obtenir des résultats satisfaisants et surtout favorables à la santé de la population », conclut la spécialiste.

Source : Le Figaro

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