mercredi 23 avril 2025

France — Le Retour en grâce des internats

[Le milliardaire français] Pierre-Édouard Stérin a promis d’accompagner la fondation de dix nouveaux internats d’excellence en France. Première de la série, l’Académie Saint-Louis, située en Sologne au domaine de Chalès, ouvrira ses portes en septembre prochain. À l’heure du « MeToo » scolaire et des scandales qui entachent l’image de certaines pensions, ce projet est-il visionnaire ou anachronique ?

3,6 % des élèves du second degré étudient dans un internat.


Quatre-vingts familles ont bravé les polémiques et les kilomètres samedi dernier pour découvrir l’internat qui accueillera peutêtre leur garçon à la rentrée prochaine. Sous un ciel nuageux, face à l’étang de 40 hectares qui élargit les regards, les futurs collégiens et leurs parents visitent les différents bâtiments enfoncés dans les bois : une poignée de maisons, un château du XIXe siècle, un théâtre de 400 places, un gymnase de 2 000 m2, un réfectoire à l’orée des arbres et une nature omniprésente. L’enthousiasme contamine les groupes bigarrés qui sillonnent les allées. Très vite, un ballon de football réchauffe l’ambiance entre ces jeunes qui ne se connaissent pas, venus pour moitié des environs – Orléans, Vierzon ou Bourges – ou de plus loin, certains même de Narbonne ou de Montauban, profitant d’attaches familiales à proximité.

Les parents questionnent l’équipe pédagogique : « Les élèves quittent le vendredi soir et reviennent le lundi matin, c’est bien ça ?, s’inquiète une mère. Ah, quand même, trois nuits à la maison, c’est bien. » La pension étant située à 10 minutes en voiture de la gare de Salbris– la plus proche –, elle-même à 1 h 27 en train de Paris, certains parents étudient les prix et le temps de trajet. Comme au collège-lycée de Pontlevoy (Loir-et-Cher) où 75 % des élèves sont de la région, à Saint-Joseph de Reims ou à l’académie musicale de Liesse (Sarthe), le recrutement des pensionnaires est moins élitiste qu’on ne l’imagine : « À Chalès, le spectre sociologique des familles qui inscrivent leur enfant est très très large, hétérogène, confirme Jean-Cyrille Péroteau, chef de cet établissement en gestation. Les frais de scolarité, qui comprennent l’enseignement, l’encadrement, les activités éducatives, la pension complète, sont échelonnés de 4 500 € à 14 500 € par an, en fonction du quotient familial, détaille-t-il. Les trois premières tranches sont volontairement basses, pour permettre aux familles nombreuses, rurales ou modestes de s’inscrire. L’argent ne doit pas être un critère. » Les trois communes sur lesquelles le domaine de Chalès se déploie, encouragent la création de ce nouvel internat, pourvoyeur d’emplois locaux.

AMBIANCE POUDLARD

Dans ce décor spectaculaire de 175 hectares, qui hébergea autrefois l’Œuvre des orphelins des Douanes, l’imaginaire associé à Oxford, à la saga Harry Potter ou même au film

Les Choristes surgit sans peine. Mais, très vite, il est percuté par les polémiques médiatiques qui entachent les institutions catholiques, dans lesquelles les garçons évoluent en uniforme, à l’abri des regards, selon des horaires établis, une assiduité obligatoire, autour d’un certain esprit de corps, comme à l’armée. Nulle congrégation religieuse ne fonde l’Académie Saint-Louis : les laïcs qui encadrent solliciteront un aumônier du diocèse pour les offices. L’internat naîtra en septembre prochain, sans aucun passif : c’est un atout certain.

Les antennes locales de partis politiques marqués à gauche et certains syndicats sont déjà vent debout. Ils fustigent une initiative « d’extrême droite ». Les sections du PS et de LFI (parti d'extrême gauche) du Loir-et-Cher, mais aussi de syndicats ou de la Ligue des droits de l’homme se dressent contre cette ouverture prochaine : « Devant le danger pour la protection de la jeunesse que laisse planer le projet d’Académie Saint-Louis, les organisations signataires demandent au préfet et aux autorités de l’Éducation nationale compétentes de s’opposer à l’ouverture de tels établissements », réclament-ils en décrivant le pensionnat situé sur la commune de Nouan-le-Fuzelier, comme « fondé sur les valeurs traditionalistes et donc intégristes ». Signe que l’incompréhension révèle un antagonisme idéologique profond, leur communiqué précise que ce projet éducatif « trouve sa source dans “l’éducation intégrale”, telle que définie par l’Église catholique, qui considère la personne humaine tout entière : corps, esprit et âme ». « En effet, c’est bien le projet, sourit, un brin provocateur, le chargé de mission, qui a mis en orbite l’internat de Chalès durant ces sept derniers mois, depuis la région parisienne. Notre objectif est de procurer à ces jeunes le cadre d’une enfance protégée, entourés de bons camarades et d’éducateurs expérimentés, pour les aider à s’épanouir dans leurs talents. »

CULTURE D’ÉTABLISSEMENT

L’équipe pédagogique sur place confirme l’objectif de favoriser un « sentiment d’appartenance » et de préserver un certain esprit d’enfance parmi les élèves. Mais l’inquiétude règne : l’affaire Bétharram secoue les établissements privés catholiques dans leur ensemble et vise tout spécialement les internats. Dans la presse, il est fait état de violences et de maltraitance. Les plaignants, souvent d’anciens élèves, mettent en cause « la culture d’établissement » qui musèle la parole.

« Nous voulons faire à nos collégiens et lycéens le cadeau d’une enfance paisible, loin de la pollution numérique, à l’abri de l’angoisse sourde, que l’on perçoit dans la jeunesse actuelle. Le but est qu’ils deviennent des hommes libres et bien construits, analyse Jean-Cyrille Péroteau, qui a travaillé plus d’une décennie comme chef d’établissement au lycée Notre-Dame des-Aydes à Blois, veillant sur 450 élèves. Il ne s’agit que de cela. On nous traite d’arriérés, de passéistes. En fait, nous proposons plutôt une formule d’avenir. »

DÉSARROI ÉDUCATIF

La ruée vers ces pensionnats traduit-elle un certain désarroi parental ? L’éclatement des cellules familiales, la prégnance des outils numériques dans les foyers, l’influence des réseaux sociaux sur la concentration jusque dans les chambres d’enfants, l’absence des parents pris par leur vie professionnelle et la carte scolaire aléatoire ont convaincu certains d’opter pour l’internat, si possible « d’excellence ». Le pensionnat, autrefois brandi comme une punition, est devenu une solution : les familles recherchent à la fois un cadre de vie attractif et un cadre de travail stimulant pour leurs enfants. Selon un sondage IFOP de 2020, 80 % des lycéens ruraux effectuent leurs études dans une autre commune que la leur, et la moitié des enfants de 6 à 16 ans prennent le bus pour aller à l’école chaque jour, parfois durant plus de trente minutes.

EXTRA-SCOLAIRE

Signe que l’engouement pour les pensions dépasse les clivages idéologiques et les dogmes, le ministère de l’Éducation nationale a multiplié par sept le nombre d’internats publics d’excellence labellisés entre 2020 et 2022, les portant à 304. En France, aujourd’hui, 3,6 % des collégiens et lycéens français sont internes. « L’internat répond à un enjeu social fort », estimait alors Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Éducation durant le premier quinquennat d’Emmanuel Macron, conscient que des « facteurs extrascolaires », comme « le sommeil, la nourriture, la vie de quartier », pouvaient « peser sur la trajectoire des élèves, parfois de manière décisive ». Face à un cadre public qui ne rassure pas toujours les familles, les internats privés, qui représentent 27 % des pensions de l’Hexagone, proposent une pédagogie identifiée, avec des axes forts autour de principes fondateurs. Jean Bosco, Jean-Baptiste de La Salle ou encore Ignace de Loyola sont des maîtres en éducation : les maisons qui s’en réclament attirent, surtout lorsque le directeur se montre doté de charisme, comme Vincent Le Flohic, à l’abbaye-lycée de Pontlevoy, près de Blois, qui dénombre cinquante lycéens en liste d’attente à l’internat pour sa prochaine rentrée.

NATURE APAISANTE

Dans ce décor hors du temps où le silence règne, interrompu par les craquements de feuilles sous les pieds, l’usage des portables ou des outils numériques est proscrit. Le catéchisme occupera deux heures hebdomadaires, pas de quoi effrayer les parents peu pratiquants.

Fragmenté en différentes maisonnées où les âges sont brassés, l’internat est pensé comme un espace de vie et d’échanges, afin de consolider un esprit de camaraderie. Chacune des trois maisons est dotée de neuf dortoirs de neuf lits chacun, séparés par des cloisons aux trois quarts de la hauteur, sous la vigilance d’un éducateur.

La prochaine rentrée devrait accueillir près de cent collégiens sur quatre niveaux. « On vise 400 élèves en internat d’ici trois ans », précise Héloïse Rossignol, membre de l’équipe sur place, ancienne cheftaine scoute. « Notre théâtre est le deuxième du Loir-et-Cher, il peut accueillir des conventions d’entreprises et le château, des réceptions haut de gamme, face à l’étang », renchérit Hubert Dambrine, père de famille, entrepreneur qui nous guide dans la forêt et qui a pour mission de commercialiser les bâtiments de Chalès hors temps scolaire : « Il nous faut remplir le plus possible de dates pour des séminaires et des mariages durant les vacances et les week-ends, afin de continuer à faire baisser les frais de scolarité », confirme-t-il. Le carnet de commandes se remplit, tout comme le planning des camps de scouts, qui viendront de toute la France profiter gracieusement de la forêt cet été.

« Nous percevons les défauts de notre époque fébrile, compulsive, mercantile, qui fait croire que tout peut s’obtenir instantanément. Ici, à l’Académie Saint-Louis de Chalès, nous souhaitons aider les jeunes à avoir confiance en eux, valoriser leurs qualités et les mettre en situation de se révéler, conclut le directeur Jean-Cyrille Péroteau. Chaque jeune aura 12 heures par semaine de sport et de théâtre, un lopin de jardin à cultiver à son rythme, un atelier de pêche, qui initie à la contemplation, à l’introspection et au silence. Il n’y a pas que les maths dans la vie. » Un programme ambitieux, empreint d’idéal humaniste, théorisé, il y a déjà bien longtemps, par Rabelais et Voltaire.

Source : Le Figaro Magazine

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