mercredi 30 octobre 2024

Il faut cesser de parler « des religions » et oser parler de l’islam et de l’islamisme

Extraits d'un texte de Mathieu Bock-Côté paru dans le Journal de Montréal.


On parle beaucoup de «religion», des «religions» et du «religieux» au Québec en ce moment.

Le discours est à peu près le suivant: l’envahissement du religieux dans nos sociétés serait très inquiétant, et il faudrait aujourd’hui aller jusqu’au bout de son refoulement hors de la vie publique, notamment en cessant de financer les écoles «religieuses».

[...]

La sécularisation de nos sociétés semble achevée, elles sont plus que jamais indifférentes à leur religion historique, le christianisme, et préfèrent se lover dans des spiritualités contrefaites, comme le new age, lorsqu’elles ont le souci de l’au-delà.

Résumons le tout d’une formule: ce n’est pas la religion qui revient, c’est l’islam qui arrive. Il arrive dans notre société, et dans toutes les autres sociétés occidentales.

Je le dis tout de suite pour qu’on ne me comprenne pas mal: l’islam est une religion parfaitement honorable, et il est en droit de se sentir chez lui dans ce qu’on pourrait appeler sa zone historique ou naturelle. J’ajoute, sur une base bien personnelle, que je ne suis pas de ceux qui exècrent le phénomène religieux en lui-même.

La chose devient toutefois plus complexe quand l’islam s’implante massivement en Occident, dans la suite des grands courants migratoires de notre temps.

[...]

 Il cherche moins à s’adapter aux sociétés où il s’installe qu’il n’entend les forcer à s’adapter à lui.

Il arrive dans nos sociétés porté par une dynamique idéologique, culturelle, démographique, qui déstabilise profondément les sociétés occidentales.

On ajoutera, car ce n’est pas un détail, et parce qu’il nous faut penser sur la longue durée si on veut comprendre la dynamique des sociétés humaines, que l’islam est animé à certains égards par une forme de revanchisme historique.

[...]

L’islam a connu un grand réveil au XXe siècle, dans une forme assez radicale. La fondation des Frères musulmans, en 1928, qui porte explicitement le projet d’une conquête islamique de l’Europe, comme l’a remarquablement démontré Florence Bergeaud-Blackler dans son livre Le frérisme, paru en 2023, ou la révolution khomeyniste en Iran, en 1979, qui entendait ramener l’islam à sa définition fondamentaliste, autrement dit, qui le convertissait à l’islamisme, en témoignent.

Les Occidentaux, longtemps, ne sont pas parvenus à le comprendre puisqu’ils s’imaginaient le monde entier engagé dans une dynamique de sécularisation semblable à la leur. L’islam, de leur point de vue, était appelé à connaître le même mouvement que le christianisme – ses manifestations intégristes étaient ainsi perçues comme les derniers spasmes d’un traditionalisme religieux agonisant.

[...]

Cela dit, l’islamisme est indissociable de l’islam – il en représente la radicalisation pathologique. Et une société qui s’islamise progressivement verra inévitablement l’islamisme croitre chez elle. Elle lui fournira le terreau nécessaire à cela.

Surtout, comme je l’ai dit un peu plus haut, l’islam ne s’est implanté dans le monde occidental, où il n’avait jusqu’ici qu’une présence marginale, qu’avec l’immigration massive des dernières décennies.

Qui a sérieusement cru un jour qu’on pouvait permettre et même encourager l’immigration massive de millions de personnes porteuses de cultures et d’une civilisation profondément étrangères au monde occidental en pensant que tout cela pourrait se passer sans le moindre souci? La question du nombre demeure ici la plus fondamentale.

C’est une leçon élémentaire d’anthropologie: les cultures, et on devrait plutôt parler des peuples, qui cohabitent sur un territoire ne le font pas paisiblement et sont inévitablement appelées à connaitre des frictions, pour savoir laquelle se posera comme culture de référence. C’est pour cela qu’elles sont normalement portées chacune à se constituer en État et à réclamer des frontières, pour clairement marquer le pays où elles s’institutionnalisent comme normes.

L’histoire de la différenciation des cultures et des nations se confond avec celle de la multiplication des frontières et des États.

Car une culture n’est pas seulement une série de préférences personnelles, ce n’est pas qu’un folklore familial privé, n’ayant pas vocation à déborder dans la vie publique: elle structure les rapports sociaux fondamentaux, les rapports entre les sexes, la conception de la pudeur, du sacré, de la violence, de la propriété. Cette vérité est encore plus évidente quand on parle de civilisations.

On ne saurait par ailleurs assimiler la résistance des Occidentaux à l’islamisation de leur société et des mœurs de leurs pays respectifs à de l’islamophobie. Philippe d’Iribarne a démontré dans un ouvrage déterminant que l’accusation d’islamophobie n’avait aucun fondement à propos des sociétés occidentales. Il avait justement pour titre Islamophobie : intoxication idéologique. Il décortiquait ce concept de fine manière en montrant que les Occidentaux acceptent aisément la pratique personnelle d’une foi, mais ne s’enthousiasment guère lorsqu’une religion-civilisation cherche à redéfinir de manière unilatérale le fonctionnement de leur société.

On pourrait ajouter que ce concept cherche à mettre dans le même sac la critique de l’islam, celle de l’islamisme, ainsi que le simple constat de la très difficile intégration de l’islam en Occident.

La bêtise intellectuelle, conjuguée à l’inculture, et à une naïveté d’enfant d’école qui se prend pour de la bienveillance, pousse les sociétés à l’autodestruction. Seuls les théoriciens et idéologues du multiculturalisme ont pu croire un instant que le vivre-ensemble diversitaire, paisible et fructueux, était possible, et même probable.

Dans leur esprit, l’État devait devenir culturellement neutre, et s’ouvrir à la diversité des identités en traitant la culture du pays d’accueil comme une identité parmi d’autres, sans droits spécifiques. Le seul obstacle à cette grande conversion multiculturaliste se trouvait dans l’intolérance prêtée aux sociétés occidentales, refusant le pari diversitaire, en refusant justement de devenir chacune chez elle une culture optionnelle. Au Québec, de ce point de vue, le rapport Bouchard-Taylor, paru il y a un peu plus de quinze ans, fut d’une bêtise himalayesque.

C’était une logique à la fois aliénante et déracinante, contraire à un principe élémentaire, sans lequel aucune paix civile n’est possible: à Rome, on fait comme les Romains. Les peuples historiques occidentaux redoutent désormais, avec raison, de devenir étrangers et minoritaires dans leurs propres pays. Le sort de Londres, de Bruxelles, de Malmö, de la Seine-Saint-Denis, en France, et de tant d’autres territoires dans le monde occidental laisse présager un triste avenir.

Si le Maroc et l’Algérie devenaient des pays majoritairement catholiques, ils ne seraient plus marocains et algériens que de nom. Ils auraient alors perdu leur identité. Nul ne leur souhaitera cela. De même, il faut convenir qu’une société occidentale qui deviendrait majoritairement musulmane, même si elle ne devenait pas islamiste pour autant, ne serait plus elle-même, et est en droit de ne pas souhaiter le devenir.

Voir aussi

« Toutes les religions ne se valent pas »

« Un Dieu, trois religions »

Rémi Brague sur l'islam, la culture classique et l'Europe

Rémi Brague : « Dans les gènes de l'islam, l'intolérance »

Rémi Brague : Y a-t-il un islam des Lumières ?  

L’idée banale selon laquelle il suffirait d’oublier ce qui sépare ne mène à rien…

Le dialogue, au sens strict, entre les religions est impossible


 page 85 de Métamorphoses françaises de Jérôme Fourquet

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